DEUS ORDINATOR
Le poème est l’anti-ordinateur
Paul Célan
Sans ses dieux une époque n’est que ruine m’a soufflé un ami. C’est avec cette sorte d’évidence au cœur que je me suis engagé dans la lecture des livres de Giuliano da Empoli en tentant d’entendre quelque chose à la marche du monde à l’heure des prédateurs. Difficile de ne pas penser ici au Bergson des deux sources pour lequel, le mécanique s’articulant sur le mystique, c’est l’univers lui-même qui est défini comme une machine à faire des dieux. L’homme, rêvant d’être dieu, capable d’incarner Dieu ou de le créer, c’était le cœur même de l’orthodoxie et c’est encore l’expression de la tentation messianique des seigneurs de la tech bien décidés à sauver l’humanité. Il font la part belle à la fonction fabulatrice comme si la théologie n’était, comme chez Borgès, qu’une sous-catégorie de la littérature fantastique.
La machine. Mais aujourd’hui, nous dit Da Empoli, c’est la machine qui a pris la place de Dieu car « nous avons transféré à la machine la plus grande partie des attributs que les anciens reconnaissaient au Seigneur. Il fut un temps où Dieu voyait tout et enregistrait tout en prévision du jugement dernier, il était l’archiviste suprême. Maintenant, la machine a pris sa place (…). Sa mémoire est infinie, sa capacité à assumer les décisions, infaillible. Il ne lui manque que l’immortalité et la résurrection, mais nous y arriverons. L’image du Dieu guerrier qui combat le dernier ennemi, la mort, qui figure dans l’apocalypse du prophète Isaïe, est en réalité -nous pouvons l’affirmer aujourd’hui-celle de l’ordinateur occupé à l’élaboration du dernier algorithme » [1].
Ordinator ! c’était dans la théologie médiévale un des attributs majeurs de Dieu. Le Deus ordinatorétait hier le Dieu qui met en ordre, qui organise, qui ordonne (en tous les sens du terme), mais aujourd'hui, la proposition ne devrait-elle pas être renversée ? La machine-ordinateur n’est-elle pas en passe de devenir notre dieu, très exactement un Deus ex machina, un dieu issu de la machine ? « Nous avons cru longtemps que les machines étaient l’instrument de l’homme », mais il est clair aujourd’hui que « la science n’existe plus dans le cerveau des travailleurs : au travers de la machine, elle agit plutôt sur eux comme une force étrangère[2] », les hommes n’en étant que les instruments. La machine que nous avons créée est un Frankenstein, un nouveau Golem animé qui rend possible non seulement l’accumulation des données sur chacun d’entre nous mais le pouvoir dans sa forme absolue, soit le pur exercice de la force. Le GPS, déjà, ne rendait plus seulement une expertise absolue sur l’état du trafic à un instant donné mais il suggérait, il choisissait, il décidait, il commandait le meilleur itinéraire. Si l’invention de l’écriture, disait Socrate dans le Phèdre, a rendu l’âme oublieuse et le savoir inerte, que faudrait-il alors dire de ces nouvelles machines ? Elles nous ont rendu la totalité du savoir très facilement disponible mais elles sont peut-être en passe de générer, à côté d’une grande compétence, une grande hébétude… Ne nous dispensent-elles pas tout simplement de penser en nous assurant un confort qui nous donne, comme l’écrivait cruellement Valéry, « les avantages de la mort »[3] ? Depuis combien de temps déjà les élèves ont cessé de s’élever, rendant comme devoir des coupés-collés ou pompant leurs copies sur ChatGPT[4]. L’IA qui risque de porter à l’achèvement un endormissement cognitif qui est le prodrome d’une destruction du système éducatif. Plus besoin d’aller à l’école puisque, dans tous les domaines de la vie, il y a des machines qui vont pouvoir faire mieux, plus vite et qui sont plus fiable que nous ! La crainte de cette menace qui pèse sur la transmission et donc tout simplement sur la Civilisation elle-même est si réelle et si inquiétante que les conquistadors de la tech (Empoli), conscients du désastre civilisationnel gigantesque qui s’annonce avec les nouvelles technologies interdisent déjà portables et tablettes à leurs enfants.
L’homme sans… La technique n’est pourtant pas œuvre du diable ! S’il n’y a pas de plus beau monstre que l’homme et, s’il se distingue des autres vivants, c’est paradoxalement par défaut et non par excès, disait le biologiste Hollandais Bolk. Bipède sans plume, sans poils, sans armes ni armures, c’est un être inachevé, un « fœtus de primate génériquement stabilisé ». L’homme sans a été oublié par Epiméthée selon le mythe du Protagoras de Platon. Incapable de s’adapter à son environnement n’est-il pas comme un raté de la téléologie naturelle ? La nature de l’homme est de ne pas en avoir car c’est à lui d’inventer sans cesse les moyens de son adaptation : son inachèvement, sa non-naturalité, son défaut d’origine est la raison, le fondement qui fait de lui une étrange espèce artificieuse. Sa monstruosité n’est plus un avertissement (le mot vient de moneo, avertir) du ciel. Ce que montre le monstre c’est tout simplement la vérité de l'homme, la vérité d’un homme qui, par essence, se définit par l’artifice technicien. Il a triomphé par ses vices et défaillances alors qu’il aurait péri par ses vertus (Nietzsche). Heidegger lui-même le reconnait : l’homme est commis et requis par quelque chose qu’il ne domine pas et qui est un destin inéluctable mais aussi par quelque chose, si l’on veut bien penser l’essence de la technique, qui pourrait être une chance, l’ouverture d’un autre commencement.
Le mythe grec avait déjà tout dit : Prométhée, en dérobant le feu aux dieux, avait fait de nous des dieux et la technique avait fini par nous libérer de nos chaines et de nos antiques servitudes. Mais Prométhée fut puni par les dieux, il s’est retrouvé enchaîné à un rocher du Caucase, le foie dévoré par un vautour. Ne serions-nous pas justement entrés, nous autres modernes, dans l’ère du vautour ? Ne sentons-nous pas comme jamais les morsures du vautour ? La violence que nous avons accumulé avec l’arme atomique pèse sur nos têtes et elle est suffisante pour déclencher le pire comme si le compte à rebours vers l’Armageddon avait déjà commencé[5].
L’obsolescence de l’homme. Avec l’invention de l’IA au nom étrangement oxymorique nous avons été mis en présence d’un véritable nouveau projet Manathan qui pourrait, lui aussi, arriver à en finir avec l’humanité. Commercialisée depuis 2023, elle est comme « la descente de Dieu dans le monde » (Empoli) et elle a une portée plus décisive encore que le méga-projet de Oppenheimer en 1941. L’IA générative est maintenant capable de produire des textes, des images, des musiques…. sans auteurs grâce à un langage mécanique et probabiliste qui régurgite des algorithmes préprogrammés et réorganise les quantités massives de data dont on l’a nourri. Ses compétences, ses résultats, dans tous les domaines, sont spectaculaires mais elle a en même temps l’inquiétante vertu de séparer l’humanité d’elle-même en s’immisçant toujours plus dans nos vies, via le smartphone, jusqu’à arriver à se substituer à nos partenaires comme dans le film « Her ». Parti en quête d’une écoute qui mettrait fin à une insondable solitude, chacun court le risque de s’enfermer dans une bulle conversationnelle sans regard et sans empathie qui donne l’illusion d’un échange parfait mais qui génère une dépendance assurée. Ne nous a-t-elle pas déjà fait entrés dans une nouvelle époque de la technique, celle qui voue à la destruction les métiers d’enseignants, de traducteurs, de journalistes, d’historiens, de juristes, d’analystes financiers…et qui a motivé par exemple les 5 semaines de grève des scénaristes d’Hollywood ? Avec ce Golem, avec ce gigantesque organisme artificiel créé par l’homme, n’est-ce pas la fin de l’homo sapiens qui est programmée (Harari) sinon la disparition d’une humanité incapable de rivaliser avec la puissance exponentielle d’évolution qui est celle des machines (Hawkings) ? Viendra un moment où l’IA sera capable de nous dépasser, de se retourner contre nous pour réaliser la prophétie d’un temps sans péché et sans douleur, sans katastrophè possible, d’un temps « où l’on veille à ce que rien n’arrive » (Ibid.). La ruche digitale[6] qui commence à recouvrir la planète est en train effectivement de nous livrer un monde lisse, sans aspérités, dépourvu d’altérité. L’IA conversationnelle, avec ses réponses instantanées est un miroir, un reflet de nous-mêmes toujours d’accord avec nous, elle ne nous permet plus de nous confronter à la résistance du réel et donc de penser si, toutefois, on ne pense que comme on se heurte (Valéry) sans oublier que la vraie fonction des machines est toujours d’accumuler des données sur chacun d’entre nous pour pouvoir aisément nous traquer, nous tracer, nous ficher, nous contrôler, nous manipuler. Tous les jours, ne faisons-nous pas l’expérience qu’il n’est déjà plus possible de sortir de l’orbe contraignant de leur empire ? Leur dictature est aussi implacable qu’elle est infiniment confortable puisqu’elle nous rend une infinité de services et augmente les capacités humaines de calcul, de mémorisation et, dans certaines conditions, pour les centaures, i.e. pour les élites éduquées qu’elle n’abrutit pas, de dialogue, d’invention et de création. L’histoire universelle progresse bien vers toujours plus de cohérence et de rationalité mais si Hegel est bel et bien vérifié, il risque de l’être jusqu’à l’horreur, dans la dystopie et « la tête en bas », (T.W. Adorno).
Le dieu numérique. Un nouveau projet Manathan ? -c’est donc bien en ces termes qu’il faut parler de l’IA, de ce projet d’une envergure considérable qui va révolutionner et affecter la face de la terre et la vie de ses habitants plus radicalement encore que ne l’avait fait celui qui nous a déjà mis objectivement dans une situation apocalyptique. À l’invention de l’ordinateur a succédé très rapidement celle de l’IA, l’ultime étape de la numérisation du monde qui, avec le virtuel, achève de brouiller les limites entre réel et imaginaire au profit d’un pouvoir qui pourra, à sa guise, arraisonner une nature devenue entièrement calculable et prévisible. Bien loin d’être un simple accélérateur et de n’envelopper qu’un enjeu technique, l’IA constitue en elle-même une nouvelle forme d’intelligence autoritaire qu’on ne peut soumettre et à laquelle, très vite, on s’habitue en prenant le risque d’une désocialisation et d’une totale sortie du réel. Enfermé, avec son IA personnalisée, dans la bulle cognitive d’un individualisme dévastateur, chacun, définitivement coupé du lien charnel, du lien réverbérant, privé de toute forme d’altérité, ne rencontre plus le réel qu’à travers un écran. L’IA ne se contente pas de centraliser les données, elle les transforme en une nouvelle forme de pouvoir et ce pouvoir, passé aux mains de sociétés privées avides de maximiser ses profits, bien vite, nous échappe. Ce moyen de surveillance et de contrôle peut être ainsi aisément instrumentalisé par des pouvoirs totalitaires. L’industrie numérique cible, extrait, transforme en algorithme, exploite et revend nos données personnelles aux entreprises, elle fait son or noir de ces data et enferme ainsi chacun d’entre nous, méticuleusement tracé, dans des profils de consommateur. Il est même possible, comme Elon Musk, de tordre les algorithmes pour y faire triompher une idéologie, l’idéologie anti-woke, par exemple, offrant ainsi le modèle de ce qui pourrait être un outil de propagande politique, de production d’infox, de deepfakes, de cyber-arnaques... Mais s’en remettre au « dieu numérique » c’était déjà accepter de réduire la réalité à une série codée de 0 et de 1, c’est accomplir une œuvre implacable d’homogénéisation qui élimine tout ce qui ne peut être quantifié, rompre le contrat multiséculaire que nous avions passés avec le visible sans ne pouvoir plus jamais trouver aucun référentiel dans un réel sur lequel on avait coutume de s’accorder pour faire société. C’était donc ouvrir le champ illimité de la post-vérité puisque la réalité n’aurait jamais été que l’effet de simulacres. La crédibilité de tous les artefacts est a priori désormais hypothéquée car des manipulations qui brouillent la frontière entre le vrai et le faux sot toujours possibles[7]. Le dieu numérique est ce dieu qu’on imagine, là-haut, occupant le Château comme le suggère Empoli[8] et qui a été mis en récit avec génie par Kafka. Depuis longtemps déjà, nous n’étions plus en état de comprendre quelque chose à son mode de fonctionnement et nous n’avions donc plus aucun contact avec le Château, les codeurs pas plus que les autres[9]. Déjà le livreur d’Amazone, par exemple, n’avait d’autre contact avec la machine que son appli de téléphone. Elle lui assignait les tâches à exécuter, le guidait dans son travail et l’évaluait dans ses performances mais la logique qui régit tout le système lui restait finalement impénétrable et, en cas de difficulté, impossible de se tourner vers un être humain pour y trouver réconfort et conseil, il n’y avait jamais personne au bout du fil ! Et, ce qui arrive tous les jours avec les livreurs, esclaves des Temps modernes transformés en robots, arrivera de la même façon, dans un futur très proche, avec les médecins généralistes, les avocats, les juges, les banquiers, chacun de nous disposant bientôt d’une demi-douzaine de bots personnels ou d’ IAgents semi autonomes… Le travail de chacun sera de plus en plus transformé en tâches machiniques avant que les machines elles-mêmes devenues les seules véritables surdouées ne les remplacent définitivement et ne fassent place à des robots humanoïdes qui, eux, seront plus empathiques. Mais comment accorder crédit à des entités qui n’auraient ni corps ni affects et dont l’amitié seraient profondément asymétrique ? « L’intelligence, écrivait Barrès, quelle petite chose à la surface de nous-mêmes ! ». Il faudrait, pour les êtres profondément affectifs que nous sommes, arriver à attribuer à ces androïdes que l’on cherche, par leurs noms, par le timbre de leurs voix, à féminiser, un visage, un regard, une proximité, une présence physique, tout ce qui caractérise une relation humaine avec un autre, tout ce qui excède la simple livraison d’informations que permet ce qu’on appelle pauvrement une connexion. Pour la première fois l’humanité serait alors en passe de rompre avec elle-même, prête à initier un renoncement civilisationnel, témoignage tragique de ce que Gunter Anders appelait l’obsolescence de l’homme.
Dans son dernier livre La France contre les robots, Bernanos, en véritable lanceur d’alertes, avait éveillé notre attention sur les menaces qui, dès 1945, se profilaient déjà à l’horizon : imbéciles que vous êtes d’abdiquer chaque jour un peu de votre liberté au profit de votre confort, écrivait-il, stigmatisant notre asservissement à la machine, notre course aux biens matériels, notre illusion de la vitesse, notre soumission à l’injonction de la performance gestionnaire qui a envahi tous les secteurs de la vie et « cette forme abjecte de propagande qu’on appelle la publicité » aujourd’hui multipliée par les contenus sponsorisés en ligne. Et de conclure par cet aphorisme définitif sans que l’on puisse pourtant l’accuser de luddisme : Un monde gagné pour la technique est perdu pour la liberté.
Du côté de la science fiction, dans la conjugaison de deux romans, 1984 de G. Orwell et le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (1930) on trouve déjà décrit, par le menu, tous les paquets de mesures que prennent aujourd’hui les régimes dits populistes. Les ploutocrates, Big Brothers débarrassés de tout souci de vérité, pratiquent, de fait, une novlangue, interdisent des mots et, pourvoyeurs de fakes, inventent des faits alternatifs. Leur foi transhumaniste en l’homme augmenté, foi enracinée dans la tradition eugéniste anglo-américaine, prospère comme une alternative à la religion et c’est dans la longévité et dans la modification génétique d’embryon qu’ils investissent. Ils refusent toute instauration de normes et toute régulation des usages. La prochaine génération de logiciels sera hors contrôle, capable, dit-on, de mener des tâches de manière autonome sans s’embarrasser de règles et de procédures. Le mot de machine lui-même n’évoque-t-il pas, dans le langage des peuples latins, aussi bien un dispositif technique qu’une véritable machination au pouvoir magique, que la perversité d’un piège qui nous oblige à poser la question dernière : qui aura le gouvernail (Kubernêsis), le pouvoir suprême de gouverner ?
Depuis le Frankenstein (1818) de Mary Schelley le dilemme fondateur de la SF -nouveau champ de bataille idéologique- était de savoir si la technique était porteuse de progrès pour l’humanité ; elle reste aujourd’hui déchirée entre technophilie ou technosolutionisme façon Elon Musk avec ses maîtres en SF[10] et collapsologie pour laquelle la technique mène l’humanité à sa perte. Ainsi dans Terminator,l’humanité après une catastrophe nucléaire, est mise en péril par les machines dirigées par un système informatique au pouvoir répressif, dominateur et génocidaire, système contrôlé par l’IA qui a pour objectif d’assurer la suprématie des machines sur l’humanité. Thème que l’on retrouve dans une dystopie majeure, celle de Matrix. Elle met en scène le cauchemar technologique et le vertige de l’homme face à l’IA à l’heure où l’humanité entière, branchée sur le web nous permettra de façonner ensemble une réalité alternative nous mettant au désespoir de distinguer la réalité de la fiction.
Totale Mobilisierung . On ne peut que se féliciter que l’écrivain et théologien Jacques Perret ait réussi à convaincre, en 1955, le directeur d’IBM de baptiser du nom d’ordinateur ce que les autres nations désignent du simple nom de computeur. Ce dernier terme avait pourtant l’avantage de trahir ce qui constitue le présupposé fondateur de toute l’entreprise du monde moderne, la réduction de la pensée à la computatio, computatio capable d’identifier des corrélations et de manipuler le langage sans en saisir le sens ni de distinguer le vrai du faux, réduction que l’on trouve déjà chez Leibniz et qui est le propre de ce que Heidegger appelle das rechnenden Denken, la pensée calculante, (opposée à la pensée méditante Besinnung); la computatio sive logica pourra réduire tous les raisonnements humains à une espèce de calcul, pour reprendre le mot de Leibniz énonçant aussi pour la première fois la domination du principe fondamental de la pensée, le très puissant et très noble principe de raison suffisante. Rationem reddere, rendre raison, tout peut être compté, mis en ligne de compte et le réel peut être traqué et rendu à reddition de sa raison d’être conformément à ce qu’on s’est par avance représenté.
On ne s’étonnera donc pas de constater que toutes les technologies les plus avancées d’aujourd’hui sont d’origine militaires, conçues pour contrôler, mobiliser, asservir… à commencer par l’ordinateurinventé par Alan Turing[11] pour décrypter les codes ennemis, ordinateur avec lequel ont été en même temps posées les bases de l’intelligence artificielle. C’était aussi le cas d’internet inventé pour assurer la communication en cas de guerre nucléaire, et du GPS « pour localiser les unités de combat »[12]. Aussi, loin d’être des « outils d’émancipation », ces technologies d’origine militaire ont créé les conditions pour l’émergence d’une mobilisation totale. Loin de faire de nous des dieux, le corps démesurément agrandi de la technique n’aurait-il pas fait plutôt de nous de pauvres bêtes, passives, soumises, serviles, disciplinées, résignées ? Le pouvoir des plateformes qui peut traquer chacun d’entre nous, en fonction de ses intérêts, de ses idées ou de ses goûts n’est-il pas une bonne illustration de cette servitude ? Totale Mobilisierung ! disait Jünger. L’expérience de la première guerre mondiale a été la première rencontre de masse avec ce que le déploiement de la technique a de métaphysique, i.e. avec le règne inconditionnel de la puissance et l’exacerbation de la volonté. Avec la possession de tous par la puissance, c’est désormais le travail qui mobilise le monde en totalité pour le mettre en ordre et l’organiser, i.e. pour en assurer, grâce à son pouvoir de déracinement absolu, la dévastation, die Verwüstung écrit Heidegger. Ce mot, calqué sur le latin vastus, dit bien l’anéantissement, la ruine ravageuse, le devenir toujours plus vaste, le devenir désert. Dévaster c’est faire exister le désert, déployer le vide désertique, la sécheresse, la désolation propre au désert, la « désertation » et la désertion, l’abandon et l’abandonnement de l’être, autant de termes qui disent la puissance du déracinement qui a fini par nous arracher le cerveau et stériliser nos rêves. Avec la mise en œuvre achevée du rien, du nihil, du nihilisme occidental, le hile nourricier a bien été coupé, tout ne peut maintenant que se dessécher et dépérir. Épuisement du vide, tout s’annihile, avancée du néant, horizon assassiné, chaos et désastre, c’est le ciel et la terre effondrés sur le noyau de la douleur[13], qui proclament maintenant le nihilisme qui vient et qui va venir, qui proclame que Dieu est mort, que Dieu reste mort. Le désert croît ! (die Wüste wächst !), malheur à qui protège le désert ! écrivait Nietzsche, il y a près d’un siècle et demi, dans une langue où le mot dévastation (Verwüstung) porte le nom, le radical maudit du désert (Wüste).
Les conquistadors de l’IA. À l’ère des réseaux, le contrôle cybernétique s’est partout installé subrepticement. Ce mot inventé en 1948 par Norbert Wiener comme un doublon de l’informatique a pour modèle les machines capables de se gouverner elles-même grâce au mécanisme du feed back. Nous serons ainsi bientôt des cyborgs - accouplement monstrueux de la nature vivante et de l’artifice machinique- traversés quotidiennement par des systèmes d’information multiples. Conformément au projet transhumaniste, une puce électronique implantée dans notre cortex pourra nous augmenterprogrammant ainsi la fin de l’homo sapiens et c’est ainsi que l’homme, le cerveau plein à craquer de machines, d’un pas de somnambule, marchera vers les mines meurtrières conduit par le chant des inventeurs[14].
Excentriques, effrontés, transgressifs, sans plus se préoccuper de droit ou de lois, s’évertuant à détruire non seulement tous les services de l’État mais tous les droits hors celui du plus fort, dans un combat devenu planétaire, la ploutocratie libertarienne des conquistadors de l’IA (Empoli), nouveaux maîtres du monde devenus plus riches et plus puissants que bien des États, se ruent vers un avenir post-humain comme des apprentis sorciers annonçant la mort de la mort. Ils s’en remettent au dieu numérique et au règne des algorithmes en multipliant le potentiel de manipulation et de contrôle de machines désormais soumise à l’être de la puissance. Obsédés par la baisse de la natalité et par l’immigration, les démiurges de la tech, affichant le haut niveau de leur QI, projettent d’ensemencer le maximum de femmes et cherchent à coloniser le cosmos conformément à la fiction Project Mars écrite par l’ex-ingénieur nazi des V5, W. Von Braun. La fièvre aveugle de l’exagération et du surpassement a passé outre la juste mesure du cœur et a aboli terre et ciel soit l’habitation poétique de l’homme dans l’oubli total de l’être. Dans une course folle en train de générer une dangereuse bulle spéculative, l’IA et les data center prolifèrent, dévorent électricité, eau, terres rares, uranium… et remplacent des millions d’emplois, un revenu universel de base est censé parer à l’arrivée imminente du chômage technique consécutif à ce tsunami technologique. Dans une bataille mondiale pour la domination, l’appli conversationnelle chinois, conçu à moindre coût par DeepSeek, après avoir été utilisée pour améliorer les algorithmes de traçage des caméras de surveillance, a désormais pris une bonne longueur d’avance sur les Américains. En soumettant nos vies à de puissants systèmes numériques qui renforcent les opinions majoritaires les plus probables et les plus insignifiantes -en éliminant donc les irremplaçables singularités hors norme- est en train de s’accomplir la fin de l’homo sapiens au profit d’une nouvelle forme d’humanité, humanité absente à elle-même mais dotée d’une croissance infinie et d’un savoir exponentiel[15], humanité avec laquelle le seuil de l’apocalypse pourrait être bientôt franchi…
A la fin de son roman Empoli écrit : « Reconnaître que la technique s’est transformée en métaphysique. Je ne sais pas combien de temps cela prendra, mais la voie est tracée…La vraie course n’est pas entre le pouvoir et l’apocalypse, mais entre l’avènement du Seigneur et l’apocalypse »[16]. Toute la pensée de Heidegger pourrait être comme un écho magistral à la première proposition. Quant à l’allusion à l’apocalypse elle est moins la fin du monde que, au sens littéral, la révélation de quelque chose, la révélation du chaos, de celui du monde des prédateurs dans lequel nous avons basculé. On peut certes se gausser de ce monstre narcissique et bouffi d’orgueil qu’est le Président Trump, on peut le remettre à sa place qui est celle d’un prétentieux bouffon, il reste qu’il faut prendre au sérieux le basculement disruptif du monde que cet agent provocateur du chaos, est en train d’opérer. En un temps record, il a réussi à bouleverser l’ordre international hérité de la dernière guerre tout en associant l’accélération technologique du numérique au conservatisme identitaire d’un populisme bêlant. Une stratégie de la crise permanente et de l’exacerbation vise aujourd’hui délibérément la sécession, l’extinction de la démocratie, un basculement politique et géostratégique qui a pris sa source dans l’idéologie réactionnaire subversive concoctée par un centre de recherche de l’Université de Warwick dans les années 1990[17].
Une nouvelle époque du monde a commencé et il faudra bien en prendre connaissance si l’Europe veut lui répondre et ne pas être balayée comme l’a été la vieille élite des Démocrates et ses bataillons d’avocats[18]. On ne peut vouloir sans fin exorciser l’immonde de notre monde et continuer de se blottir dans le politiquement correct.
Dark Enlightment. La pensée des Lumières, celle du progrès et de l’émancipation, avait prétendu bannir le conflit de notre horizon, elle était optimiste, naïve, irresponsable, incapable de penser le pire après les deux guerres mondiales qui avaient révélé, avec le retour sans fin de la violence, une faille considérable en l’homme. Il fallait donc changer de braquet, sortir de l’illusion des Lumières et, à la suite de Ayn Rand, figure tutélaire du capitalisme, ne pas craindre de défendre l’égoïsme rationnel du self made man, de dénoncer les valeurs démocratiques d’égalité, de solidarité et le sacrifice de soi qu’implique l’altruisme : autant de freins au progrès responsables de tous les malheurs du monde, disait-elle ! Déjà des écrivains comme Sade ménageant, comme Dostoievski plus tard, une fenêtre dans le sous-sol du phénomène humain avait réouvert, en France, la question métaphysique du mal au sein d’une époque des lumières encore tout étourdie des rêves de maîtrise de la raison. Sueño da razon, écrivait Goya au bas d’une eau forte célèbre des Caprices où il se représente lui-même terrassé par les dieux obscurs et les fantasmes immaitrisables de l’inconscient comme en un écho à l’expression créée par Nick Land en 2012 de Lumières obscures, la nouvelle idéologie du pouvoir américain qui a désormais acquis la notoriété d’une contre-culture. Ouvrir les yeux jusqu’à l’horreur, prendre, comme dans le film Matrix, la red pill pour s’éveiller à la réalité de la matrice, pour voir le monde tel qu’il est, c’est une condition pour défier ce que le bloggeur ultra-réactionnaire Curtis Yarvin appelle la Cathédrale. La Cathédrale c’est l’alliance des media traditionnels et des élites universitaires qui trop longtemps auraient œuvré pour imposer l’idéologie progressiste aux Américains et leur inoculer la démosclérose. Inventeur du Doge trumpien, l’ingénieur techno-monarchiste Curtis Yarvin, tablait sur une rupture technologique et entendait, en bon libertarien, démanteler un État englué dans une mystique démocratique et une obsession de justice sociale aussi onéreuse que destructrice. Il faut au contraire, disait-il, épouser le mouvement débridé du capitalisme et, de façon inconditionnelle, l’accélérer[19]. l’Amérique doit être une entreprise souveraine gouvernée par une élite techno-césariste avec, comme monarque absolu, un PDG ! Le but est donc de construire avant tout une ingéniérie politique efficace capable d’éviter la violence car « le bien c’est l’ordre » ; toutes les autres questions, celle de la pauvreté et du réchauffement climatique, par exemple, étant considérées comme insignifiantes.
Leçons de ténèbres. Il est souvent difficile de se repérer dans le mic mac idéologique semé de contradictions qui est celui du trumpisme mais, si l’on en croit son théoricien le plus influent, Péter Thiel[20], il est clair que toute cette mouvance contre-révolutionnaire se nourrit des anti-lumières européennes agrémentées de références bibliques. La politique ne commence t-elle avec Caïn, avec la possibilité du meurtre ? Elle présuppose, ainsi que Hobbes l’avait vu, la dangerosité de l’homme pour l’homme, dangerosité que seul l’État peut non pas abolir mais contenir : « toutes les théories politiques véritables postulent un homme corrompu, c’est-à-dire un être dangereux et dynamique, parfaitement problématique » écrira par exemple Carl Schmitt, le grand juriste souvent invoqué. Dans cette perspective, la guerre n’est que la réalisation extrême de l’hostilité, et avec la montée aux extrêmes qui se profile toujours derrière la guerre et l’hostilité potentielle, le combat devient la dimension fondamentale et tragique de l’existence et du politique. C’est, en dernière analyse, sur le fond mythologique du katekon (Paul 2 Th. 6-7), d’un combat ultime et apocalyptique (ce que fut pour Schmitt le nazisme avec lequel il se compromit) qui pourrait ralentir l’avance de l’inexorable décadence que ce catholique, aussi fascinant que sulfureux a pensé le politique en digne héritier du contre-révolutionnaire D. Cortès [4]. Tenter de dépasser l’antagonisme qu’implique la politique au profit d’une humanité une et réconciliée est une idée totalement chimérique. « Qui dit humanité veut tromper… l’humanité n’est pas un concept politique » écrit Schmitt. Impitoyable est sa critique du cosmopolitisme et du progressisme. Le prétendu dépassement de l’État au nom d’une libération de « l’humanité » ne provoquerait qu’un déchaînement de violence dans un état de nature retrouvé. Les motifs humanitaires souvent invoqués compromettent toujours la limitation de la guerre assurée par le droit international classique, ils le déstabilisent et ouvrent la voie à une spirale sans fin d’interventions et de criminalisation de l’adversaire. L’angélisme politique, de Rousseau à Marx, est une catastrophe, il repose toujours sur les prémisses antipolitiques de la bonté naturelle de l’homme et il ne peut aboutir qu’à une telle régression. Sans possibilité de sacrifice, sans autre horizon que la consommation et le divertissement, il n’y a plus que nihilisme et décadence, c’est l’avènement du « dernier homme » dont Nietzsche fut le prophète le plus lucide. Ainsi pourrait commencer la leçon de ténèbres de Peter Thiel, la figure de proue du nationalisme conservateur américain qui, face au vide spirituel croissant de l’Occident a adopté la posture de veilleur eschatologique. L’apocalypse pourrait pourtant prendre le visage de cette ère zombie où les hommes ne sont pas assez fous pour provoquer vraiment l’apocalypse mais pas assez sains d’esprit non plus pour désirer le royaume de Dieu. Dans ce règne de la médiocrité où il ne se passe presque plus rien, les Millénials de la génération Z pour lesquels le No Futur est devenu un destin plus qu’un cri de contestation, se montrent de plus en plus réticents à procréer, aussi se réfugient-ils dans le spectacle que leur offre les réseaux sociaux et dans la consommation de marijuana et de Netflix, i.e. dans la dépendance. Une telle conduite procède en vérité d’une haine de l’existence qui conduit à terme à l’extinction démographique qui guette désormais toute l’Europe. Le retour de Trump à la Maison blanche c’est l’augure d’une telle apokalypsis qui est moins la violence de Dieu comme l’interprètent les fondamentalistes, que, au sens littéral, la révélation des simulacres et des faux dieux à prétention messianique, révélation d’un chaos devenu hégémonique dans lequel, toutes les croyances effondrées, la violence monte aux extrêmes et les possibilités de manipulation deviennent infinies...Elon Musk, lors du premier mandat de Trump, l’avait dit de l’IA : Nous sommes en train de convoquer le démon. Prions pour que le Jour du Seigneur n’arrive pas de sitôt. Qui restera debout quand il paraîtra ? (Malachie, 3-2).
Dans l’étrange entracte dans lequel nous continuons de végéter, repoussant encore, comme Hamlet, le choix inévitable, un silence de mort s’est abattu sur le monde avant que l’Ange ne vienne un jour briser le 7ème sceau…
Populisme numérique 2.0. En attendant ce Dies irae, les leaders carnavalesques maintenant au pouvoir procèdent comme le faisait hier César Borgia (le modèle du Prince), nous dit Giulano da Empoli : par l’effet démultiplié de la force, ils ne persuadent pas -le vrai et le faux ne leur importent guère- mais ils manipulent l’opinion nourrie de malheur et de désespoir en produisant la sidération, l’effroi et une peur venue du plus profond de notre cerveau réptilien. Ils désarment l’expertise et laissent le peuple stupide et satisfait, selon l’expression de Machiavel.
Cette stratégie millénaire met aujourd’hui les outils des plateformes numériques au service de l’énergie révolutionnaire du populisme, au service donc de la colère porteuse de haine contre les élites, contre un establishment libéral complètement coupé des préoccupations du peuple générant et entretenant chez lui une profonde, une sourde, une inexpiable frustration. En conséquence l’arène politique avait cessé depuis longtemps d’être le parlement pour se focaliser uniquement sur les réseaux sociaux et la toile devenus l’exutoire illimité de la rage du peuple. La tâche n’était plus en effet d’unir mais de diviser la nation, de multiplier les milliers de mécontents en attisant leurs passions. La révolution des algorithmes, la maîtrise des big data permet d’envoyer à chacun les messages parfaitement conformes à ses inclinations, de l’enfermer dans sa bulle et de favoriser une droite extrême en transformant ceux qui n’étaient que fachés… en véritable fachos. Le binôme, le couple infernal qu’a formé Trump et Musk, l’illustre de façon exemplaire et paroxystique. Le magnat de l’immobilier, le producteur de télé-réalité vivant dans ce monde parallèle de simulacres où il n’y a jamais eu que des spectacles était, lui, porteur de l’énergie colossale de la colère populaire. Mais avant de virer le tech bros de la Silicon Valley (tel le double du roman dostoievkien), il avait fort bien compris le rôle essentiel que le champion de la nouvelle économie numérique, l’expert en big data, pouvait jouer pour que les leaders populistes l’emportent. Le pouvoir de mobilisation totale et de contrôle implacable que permettent les nouvelles technologies montre qu’une submersion du fonctionnement démocratique est devenue possible. Ces pouvoirs sont demeurés sans garde-fou, les démocrates déjà les avaient utilisés pour cibler, en 2012, 69 millions d’électeurs et ils n’ont jamais voulu les réguler…Ordinator c’est avec une lucidité prémonitoire qu’un Français a baptisé ainsi une machine qui rend possible le pouvoir dans sa forme absolue. Dictateur n’en était à tout prendre qu’une forme bien ancienne et complètement dépassée[21]…
[1] Le mage du Kremlin, Gall., p. 273, 274.
[2] Marx, Grundisse T II, p. 212.
[3] « Le monde qui baptise du nom de progrès sa tendance à une précision fatale, cherche à unir aux bienfaits de la vie les avantages de la mort ». Valéry, La crise de l’esprit, 1919.
[4] Il permet aussi de corriger des copies mais cet algorithme génère des standards qui ne peuvent sortir des paradigmes, des réponses statistiquement probables parmi lesquelles seul un humain peut choisir la plus « créative ».
[6] Si l’on écrit avec sa main -et donc avec tout son corps et sa pensée-, on compte, on calcule, on numérise et on tappe encore sur son clavier avec ses doigts (digitus) comme le rappelle Byung-Chul Han, La fin des choses, Actes Sud, p. 101 sq.
[7] Comme le soutient Sam Altman le patron glaçant d’OpenAI que sa course folle à l’IA générale a rendu aveugle à l’impact sociétal et environnemental de cette révolution technologique.
[8] L’heure des prédateurs, Gall., 2025, p. 138.
[9] Cf., Alain Damasio, « Il faudra apprendre à cohabiter avec elles » in Le nouvel Obs, n° 3150, 06/02/25.
[10] Avec Tolkien, la mortalité des civilisations et la promesse salvatrice d’éternité, Asimov et sa robotisation de l’humanité, Heinlein et ses rêves de colonisation spatiale, sans oublier Douglas Adam et son Guide du voyageur galactique. S’évader dans l’imaginaire encourage l’innovation et sert d’alternative à la religion…
[11] En la mémoire de ce génie persécuté (et liquidé !) pour son homosexualité, l’icône de la pomme croquée, celle de Blanche neige, figure sur tous les ordinateurs Apple.
[12] Le mage… Ibid., p. 271.
[13] Qu’hommage soit rendu au poète touareg Hawad qui nous a communiqué sa fièvre et sa rage. Cf., Le vent rouge, éditions Le tout monde.
[14] René Char, Pléïade, p. 205.
[15] L’heure des prédateurs, Gall., p ; 127.
[16] Le mage du Kremlin, Gall., p. 274-275.
[17] Dans l’effervescence cyberpunk de la culture pop, Le Cybernetic Culture Research Unit a commencé à gauche en mariant le souci révolutionnaire de Deleuze et Guattari (critique de la société de contrôle) et l’annonce de la fin des grands récits de la modernité avec J.F. Lyotard, thèse reprise par Mark Fisher. Théorisant la notion de réalisme capitaliste, cherchant à rouvrir les possibles, celui-ci s’est suicidé en 2017. CF., Philomag, n°191 et 192.
[18] L’heure des prédateurs, Gall., 2025, p. 83.
[19] La mouvance accélérationniste a des contours très flous et très mouvants elle vient de l’extrême gauche qui entendait pousser jusqu’à ses dernières limites le système capitaliste jusqu’à ce qu’il craque et qu’il s’effondre.
[20] Le milliardaire catholique et homosexuel Peter Thiel est d’origine germanique. Cocréateur de Paypal avec Elon Musk, passionné de philosophie, il reste pourtant très critique à l’égard du nihilisme rampant de notre monde post-religieux. Transhumaniste, survivaliste, c’est un postulant à la vie éternelle ! En attendant sa cryogénisation, il possède déjà son bunker en Nouvelle Zélande. Comme le Vice-Président des Etats-Unis J. D. Vance, il se réclame de René Girard. Cf. la revue en ligne dirigée par Gilles Gressani Le Grand Continent dont sont extraites toutes ces informations.
[21] Le mage du Kremlin,Gall., p. 273.
DEUS ORDINATOR
Le poème est l’anti-ordinateur
Paul Célan
Sans ses dieux une époque n’est que ruine m’a soufflé un ami. C’est avec cette sorte d’évidence au cœur que je me suis engagé dans la lecture des livres de Giuliano da Empoli en tentant d’entendre quelque chose à la marche du monde à l’heure des prédateurs. Difficile de ne pas penser ici au Bergson des deux sources pour lequel, le mécanique s’articulant sur le mystique, c’est l’univers lui-même qui est défini comme une machine à faire des dieux. L’homme, rêvant d’être dieu, capable d’incarner Dieu ou de le créer, c’était le cœur même de l’orthodoxie et c’est encore l’expression de la tentation messianique des seigneurs de la tech bien décidés à sauver l’humanité. Il font la part belle à la fonction fabulatrice comme si la théologie n’était, comme chez Borgès, qu’une sous-catégorie de la littérature fantastique.
La machine. Mais aujourd’hui, nous dit Da Empoli, c’est la machine qui a pris la place de Dieu car « nous avons transféré à la machine la plus grande partie des attributs que les anciens reconnaissaient au Seigneur. Il fut un temps où Dieu voyait tout et enregistrait tout en prévision du jugement dernier, il était l’archiviste suprême. Maintenant, la machine a pris sa place (…). Sa mémoire est infinie, sa capacité à assumer les décisions, infaillible. Il ne lui manque que l’immortalité et la résurrection, mais nous y arriverons. L’image du Dieu guerrier qui combat le dernier ennemi, la mort, qui figure dans l’apocalypse du prophète Isaïe, est en réalité -nous pouvons l’affirmer aujourd’hui-celle de l’ordinateur occupé à l’élaboration du dernier algorithme » [1].
Ordinator ! c’était dans la théologie médiévale un des attributs majeurs de Dieu. Le Deus ordinatorétait hier le Dieu qui met en ordre, qui organise, qui ordonne (en tous les sens du terme), mais aujourd'hui, la proposition ne devrait-elle pas être renversée ? La machine-ordinateur n’est-elle pas en passe de devenir notre dieu, très exactement un Deus ex machina, un dieu issu de la machine ? « Nous avons cru longtemps que les machines étaient l’instrument de l’homme », mais il est clair aujourd’hui que « la science n’existe plus dans le cerveau des travailleurs : au travers de la machine, elle agit plutôt sur eux comme une force étrangère[2] », les hommes n’en étant que les instruments. La machine que nous avons créée est un Frankenstein, un nouveau Golem animé qui rend possible non seulement l’accumulation des données sur chacun d’entre nous mais le pouvoir dans sa forme absolue, soit le pur exercice de la force. Le GPS, déjà, ne rendait plus seulement une expertise absolue sur l’état du trafic à un instant donné mais il suggérait, il choisissait, il décidait, il commandait le meilleur itinéraire. Si l’invention de l’écriture, disait Socrate dans le Phèdre, a rendu l’âme oublieuse et le savoir inerte, que faudrait-il alors dire de ces nouvelles machines ? Elles nous ont rendu la totalité du savoir très facilement disponible mais elles sont peut-être en passe de générer, à côté d’une grande compétence, une grande hébétude… Ne nous dispensent-elles pas tout simplement de penser en nous assurant un confort qui nous donne, comme l’écrivait cruellement Valéry, « les avantages de la mort »[3] ? Depuis combien de temps déjà les élèves ont cessé de s’élever, rendant comme devoir des coupés-collés ou pompant leurs copies sur ChatGPT[4]. L’IA qui risque de porter à l’achèvement un endormissement cognitif qui est le prodrome d’une destruction du système éducatif. Plus besoin d’aller à l’école puisque, dans tous les domaines de la vie, il y a des machines qui vont pouvoir faire mieux, plus vite et qui sont plus fiable que nous ! La crainte de cette menace qui pèse sur la transmission et donc tout simplement sur la Civilisation elle-même est si réelle et si inquiétante que les conquistadors de la tech (Empoli), conscients du désastre civilisationnel gigantesque qui s’annonce avec les nouvelles technologies interdisent déjà portables et tablettes à leurs enfants.
L’homme sans… La technique n’est pourtant pas œuvre du diable ! S’il n’y a pas de plus beau monstre que l’homme et, s’il se distingue des autres vivants, c’est paradoxalement par défaut et non par excès, disait le biologiste Hollandais Bolk. Bipède sans plume, sans poils, sans armes ni armures, c’est un être inachevé, un « fœtus de primate génériquement stabilisé ». L’homme sans a été oublié par Epiméthée selon le mythe du Protagoras de Platon. Incapable de s’adapter à son environnement n’est-il pas comme un raté de la téléologie naturelle ? La nature de l’homme est de ne pas en avoir car c’est à lui d’inventer sans cesse les moyens de son adaptation : son inachèvement, sa non-naturalité, son défaut d’origine est la raison, le fondement qui fait de lui une étrange espèce artificieuse. Sa monstruosité n’est plus un avertissement (le mot vient de moneo, avertir) du ciel. Ce que montre le monstre c’est tout simplement la vérité de l'homme, la vérité d’un homme qui, par essence, se définit par l’artifice technicien. Il a triomphé par ses vices et défaillances alors qu’il aurait péri par ses vertus (Nietzsche). Heidegger lui-même le reconnait : l’homme est commis et requis par quelque chose qu’il ne domine pas et qui est un destin inéluctable mais aussi par quelque chose, si l’on veut bien penser l’essence de la technique, qui pourrait être une chance, l’ouverture d’un autre commencement.
Le mythe grec avait déjà tout dit : Prométhée, en dérobant le feu aux dieux, avait fait de nous des dieux et la technique avait fini par nous libérer de nos chaines et de nos antiques servitudes. Mais Prométhée fut puni par les dieux, il s’est retrouvé enchaîné à un rocher du Caucase, le foie dévoré par un vautour. Ne serions-nous pas justement entrés, nous autres modernes, dans l’ère du vautour ? Ne sentons-nous pas comme jamais les morsures du vautour ? La violence que nous avons accumulé avec l’arme atomique pèse sur nos têtes et elle est suffisante pour déclencher le pire comme si le compte à rebours vers l’Armageddon avait déjà commencé[5].
L’obsolescence de l’homme. Avec l’invention de l’IA au nom étrangement oxymorique nous avons été mis en présence d’un véritable nouveau projet Manathan qui pourrait, lui aussi, arriver à en finir avec l’humanité. Commercialisée depuis 2023, elle est comme « la descente de Dieu dans le monde » (Empoli) et elle a une portée plus décisive encore que le méga-projet de Oppenheimer en 1941. L’IA générative est maintenant capable de produire des textes, des images, des musiques…. sans auteurs grâce à un langage mécanique et probabiliste qui régurgite des algorithmes préprogrammés et réorganise les quantités massives de data dont on l’a nourri. Ses compétences, ses résultats, dans tous les domaines, sont spectaculaires mais elle a en même temps l’inquiétante vertu de séparer l’humanité d’elle-même en s’immisçant toujours plus dans nos vies, via le smartphone, jusqu’à arriver à se substituer à nos partenaires comme dans le film « Her ». Parti en quête d’une écoute qui mettrait fin à une insondable solitude, chacun court le risque de s’enfermer dans une bulle conversationnelle sans regard et sans empathie qui donne l’illusion d’un échange parfait mais qui génère une dépendance assurée. Ne nous a-t-elle pas déjà fait entrés dans une nouvelle époque de la technique, celle qui voue à la destruction les métiers d’enseignants, de traducteurs, de journalistes, d’historiens, de juristes, d’analystes financiers…et qui a motivé par exemple les 5 semaines de grève des scénaristes d’Hollywood ? Avec ce Golem, avec ce gigantesque organisme artificiel créé par l’homme, n’est-ce pas la fin de l’homo sapiens qui est programmée (Harari) sinon la disparition d’une humanité incapable de rivaliser avec la puissance exponentielle d’évolution qui est celle des machines (Hawkings) ? Viendra un moment où l’IA sera capable de nous dépasser, de se retourner contre nous pour réaliser la prophétie d’un temps sans péché et sans douleur, sans katastrophè possible, d’un temps « où l’on veille à ce que rien n’arrive » (Ibid.). La ruche digitale[6] qui commence à recouvrir la planète est en train effectivement de nous livrer un monde lisse, sans aspérités, dépourvu d’altérité. L’IA conversationnelle, avec ses réponses instantanées est un miroir, un reflet de nous-mêmes toujours d’accord avec nous, elle ne nous permet plus de nous confronter à la résistance du réel et donc de penser si, toutefois, on ne pense que comme on se heurte (Valéry) sans oublier que la vraie fonction des machines est toujours d’accumuler des données sur chacun d’entre nous pour pouvoir aisément nous traquer, nous tracer, nous ficher, nous contrôler, nous manipuler. Tous les jours, ne faisons-nous pas l’expérience qu’il n’est déjà plus possible de sortir de l’orbe contraignant de leur empire ? Leur dictature est aussi implacable qu’elle est infiniment confortable puisqu’elle nous rend une infinité de services et augmente les capacités humaines de calcul, de mémorisation et, dans certaines conditions, pour les centaures, i.e. pour les élites éduquées qu’elle n’abrutit pas, de dialogue, d’invention et de création. L’histoire universelle progresse bien vers toujours plus de cohérence et de rationalité mais si Hegel est bel et bien vérifié, il risque de l’être jusqu’à l’horreur, dans la dystopie et « la tête en bas », (T.W. Adorno).
Le dieu numérique. Un nouveau projet Manathan ? -c’est donc bien en ces termes qu’il faut parler de l’IA, de ce projet d’une envergure considérable qui va révolutionner et affecter la face de la terre et la vie de ses habitants plus radicalement encore que ne l’avait fait celui qui nous a déjà mis objectivement dans une situation apocalyptique. À l’invention de l’ordinateur a succédé très rapidement celle de l’IA, l’ultime étape de la numérisation du monde qui, avec le virtuel, achève de brouiller les limites entre réel et imaginaire au profit d’un pouvoir qui pourra, à sa guise, arraisonner une nature devenue entièrement calculable et prévisible. Bien loin d’être un simple accélérateur et de n’envelopper qu’un enjeu technique, l’IA constitue en elle-même une nouvelle forme d’intelligence autoritaire qu’on ne peut soumettre et à laquelle, très vite, on s’habitue en prenant le risque d’une désocialisation et d’une totale sortie du réel. Enfermé, avec son IA personnalisée, dans la bulle cognitive d’un individualisme dévastateur, chacun, définitivement coupé du lien charnel, du lien réverbérant, privé de toute forme d’altérité, ne rencontre plus le réel qu’à travers un écran. L’IA ne se contente pas de centraliser les données, elle les transforme en une nouvelle forme de pouvoir et ce pouvoir, passé aux mains de sociétés privées avides de maximiser ses profits, bien vite, nous échappe. Ce moyen de surveillance et de contrôle peut être ainsi aisément instrumentalisé par des pouvoirs totalitaires. L’industrie numérique cible, extrait, transforme en algorithme, exploite et revend nos données personnelles aux entreprises, elle fait son or noir de ces data et enferme ainsi chacun d’entre nous, méticuleusement tracé, dans des profils de consommateur. Il est même possible, comme Elon Musk, de tordre les algorithmes pour y faire triompher une idéologie, l’idéologie anti-woke, par exemple, offrant ainsi le modèle de ce qui pourrait être un outil de propagande politique, de production d’infox, de deepfakes, de cyber-arnaques... Mais s’en remettre au « dieu numérique » c’était déjà accepter de réduire la réalité à une série codée de 0 et de 1, c’est accomplir une œuvre implacable d’homogénéisation qui élimine tout ce qui ne peut être quantifié, rompre le contrat multiséculaire que nous avions passés avec le visible sans ne pouvoir plus jamais trouver aucun référentiel dans un réel sur lequel on avait coutume de s’accorder pour faire société. C’était donc ouvrir le champ illimité de la post-vérité puisque la réalité n’aurait jamais été que l’effet de simulacres. La crédibilité de tous les artefacts est a priori désormais hypothéquée car des manipulations qui brouillent la frontière entre le vrai et le faux sot toujours possibles[7]. Le dieu numérique est ce dieu qu’on imagine, là-haut, occupant le Château comme le suggère Empoli[8] et qui a été mis en récit avec génie par Kafka. Depuis longtemps déjà, nous n’étions plus en état de comprendre quelque chose à son mode de fonctionnement et nous n’avions donc plus aucun contact avec le Château, les codeurs pas plus que les autres[9]. Déjà le livreur d’Amazone, par exemple, n’avait d’autre contact avec la machine que son appli de téléphone. Elle lui assignait les tâches à exécuter, le guidait dans son travail et l’évaluait dans ses performances mais la logique qui régit tout le système lui restait finalement impénétrable et, en cas de difficulté, impossible de se tourner vers un être humain pour y trouver réconfort et conseil, il n’y avait jamais personne au bout du fil ! Et, ce qui arrive tous les jours avec les livreurs, esclaves des Temps modernes transformés en robots, arrivera de la même façon, dans un futur très proche, avec les médecins généralistes, les avocats, les juges, les banquiers, chacun de nous disposant bientôt d’une demi-douzaine de bots personnels ou d’ IAgents semi autonomes… Le travail de chacun sera de plus en plus transformé en tâches machiniques avant que les machines elles-mêmes devenues les seules véritables surdouées ne les remplacent définitivement et ne fassent place à des robots humanoïdes qui, eux, seront plus empathiques. Mais comment accorder crédit à des entités qui n’auraient ni corps ni affects et dont l’amitié seraient profondément asymétrique ? « L’intelligence, écrivait Barrès, quelle petite chose à la surface de nous-mêmes ! ». Il faudrait, pour les êtres profondément affectifs que nous sommes, arriver à attribuer à ces androïdes que l’on cherche, par leurs noms, par le timbre de leurs voix, à féminiser, un visage, un regard, une proximité, une présence physique, tout ce qui caractérise une relation humaine avec un autre, tout ce qui excède la simple livraison d’informations que permet ce qu’on appelle pauvrement une connexion. Pour la première fois l’humanité serait alors en passe de rompre avec elle-même, prête à initier un renoncement civilisationnel, témoignage tragique de ce que Gunter Anders appelait l’obsolescence de l’homme.
Dans son dernier livre La France contre les robots, Bernanos, en véritable lanceur d’alertes, avait éveillé notre attention sur les menaces qui, dès 1945, se profilaient déjà à l’horizon : imbéciles que vous êtes d’abdiquer chaque jour un peu de votre liberté au profit de votre confort, écrivait-il, stigmatisant notre asservissement à la machine, notre course aux biens matériels, notre illusion de la vitesse, notre soumission à l’injonction de la performance gestionnaire qui a envahi tous les secteurs de la vie et « cette forme abjecte de propagande qu’on appelle la publicité » aujourd’hui multipliée par les contenus sponsorisés en ligne. Et de conclure par cet aphorisme définitif sans que l’on puisse pourtant l’accuser de luddisme : Un monde gagné pour la technique est perdu pour la liberté.
Du côté de la science fiction, dans la conjugaison de deux romans, 1984 de G. Orwell et le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (1930) on trouve déjà décrit, par le menu, tous les paquets de mesures que prennent aujourd’hui les régimes dits populistes. Les ploutocrates, Big Brothers débarrassés de tout souci de vérité, pratiquent, de fait, une novlangue, interdisent des mots et, pourvoyeurs de fakes, inventent des faits alternatifs. Leur foi transhumaniste en l’homme augmenté, foi enracinée dans la tradition eugéniste anglo-américaine, prospère comme une alternative à la religion et c’est dans la longévité et dans la modification génétique d’embryon qu’ils investissent. Ils refusent toute instauration de normes et toute régulation des usages. La prochaine génération de logiciels sera hors contrôle, capable, dit-on, de mener des tâches de manière autonome sans s’embarrasser de règles et de procédures. Le mot de machine lui-même n’évoque-t-il pas, dans le langage des peuples latins, aussi bien un dispositif technique qu’une véritable machination au pouvoir magique, que la perversité d’un piège qui nous oblige à poser la question dernière : qui aura le gouvernail (Kubernêsis), le pouvoir suprême de gouverner ?
Depuis le Frankenstein (1818) de Mary Schelley le dilemme fondateur de la SF -nouveau champ de bataille idéologique- était de savoir si la technique était porteuse de progrès pour l’humanité ; elle reste aujourd’hui déchirée entre technophilie ou technosolutionisme façon Elon Musk avec ses maîtres en SF[10] et collapsologie pour laquelle la technique mène l’humanité à sa perte. Ainsi dans Terminator,l’humanité après une catastrophe nucléaire, est mise en péril par les machines dirigées par un système informatique au pouvoir répressif, dominateur et génocidaire, système contrôlé par l’IA qui a pour objectif d’assurer la suprématie des machines sur l’humanité. Thème que l’on retrouve dans une dystopie majeure, celle de Matrix. Elle met en scène le cauchemar technologique et le vertige de l’homme face à l’IA à l’heure où l’humanité entière, branchée sur le web nous permettra de façonner ensemble une réalité alternative nous mettant au désespoir de distinguer la réalité de la fiction.
Totale Mobilisierung . On ne peut que se féliciter que l’écrivain et théologien Jacques Perret ait réussi à convaincre, en 1955, le directeur d’IBM de baptiser du nom d’ordinateur ce que les autres nations désignent du simple nom de computeur. Ce dernier terme avait pourtant l’avantage de trahir ce qui constitue le présupposé fondateur de toute l’entreprise du monde moderne, la réduction de la pensée à la computatio, computatio capable d’identifier des corrélations et de manipuler le langage sans en saisir le sens ni de distinguer le vrai du faux, réduction que l’on trouve déjà chez Leibniz et qui est le propre de ce que Heidegger appelle das rechnenden Denken, la pensée calculante, (opposée à la pensée méditante Besinnung); la computatio sive logica pourra réduire tous les raisonnements humains à une espèce de calcul, pour reprendre le mot de Leibniz énonçant aussi pour la première fois la domination du principe fondamental de la pensée, le très puissant et très noble principe de raison suffisante. Rationem reddere, rendre raison, tout peut être compté, mis en ligne de compte et le réel peut être traqué et rendu à reddition de sa raison d’être conformément à ce qu’on s’est par avance représenté.
On ne s’étonnera donc pas de constater que toutes les technologies les plus avancées d’aujourd’hui sont d’origine militaires, conçues pour contrôler, mobiliser, asservir… à commencer par l’ordinateurinventé par Alan Turing[11] pour décrypter les codes ennemis, ordinateur avec lequel ont été en même temps posées les bases de l’intelligence artificielle. C’était aussi le cas d’internet inventé pour assurer la communication en cas de guerre nucléaire, et du GPS « pour localiser les unités de combat »[12]. Aussi, loin d’être des « outils d’émancipation », ces technologies d’origine militaire ont créé les conditions pour l’émergence d’une mobilisation totale. Loin de faire de nous des dieux, le corps démesurément agrandi de la technique n’aurait-il pas fait plutôt de nous de pauvres bêtes, passives, soumises, serviles, disciplinées, résignées ? Le pouvoir des plateformes qui peut traquer chacun d’entre nous, en fonction de ses intérêts, de ses idées ou de ses goûts n’est-il pas une bonne illustration de cette servitude ? Totale Mobilisierung ! disait Jünger. L’expérience de la première guerre mondiale a été la première rencontre de masse avec ce que le déploiement de la technique a de métaphysique, i.e. avec le règne inconditionnel de la puissance et l’exacerbation de la volonté. Avec la possession de tous par la puissance, c’est désormais le travail qui mobilise le monde en totalité pour le mettre en ordre et l’organiser, i.e. pour en assurer, grâce à son pouvoir de déracinement absolu, la dévastation, die Verwüstung écrit Heidegger. Ce mot, calqué sur le latin vastus, dit bien l’anéantissement, la ruine ravageuse, le devenir toujours plus vaste, le devenir désert. Dévaster c’est faire exister le désert, déployer le vide désertique, la sécheresse, la désolation propre au désert, la « désertation » et la désertion, l’abandon et l’abandonnement de l’être, autant de termes qui disent la puissance du déracinement qui a fini par nous arracher le cerveau et stériliser nos rêves. Avec la mise en œuvre achevée du rien, du nihil, du nihilisme occidental, le hile nourricier a bien été coupé, tout ne peut maintenant que se dessécher et dépérir. Épuisement du vide, tout s’annihile, avancée du néant, horizon assassiné, chaos et désastre, c’est le ciel et la terre effondrés sur le noyau de la douleur[13], qui proclament maintenant le nihilisme qui vient et qui va venir, qui proclame que Dieu est mort, que Dieu reste mort. Le désert croît ! (die Wüste wächst !), malheur à qui protège le désert ! écrivait Nietzsche, il y a près d’un siècle et demi, dans une langue où le mot dévastation (Verwüstung) porte le nom, le radical maudit du désert (Wüste).
Les conquistadors de l’IA. À l’ère des réseaux, le contrôle cybernétique s’est partout installé subrepticement. Ce mot inventé en 1948 par Norbert Wiener comme un doublon de l’informatique a pour modèle les machines capables de se gouverner elles-même grâce au mécanisme du feed back. Nous serons ainsi bientôt des cyborgs - accouplement monstrueux de la nature vivante et de l’artifice machinique- traversés quotidiennement par des systèmes d’information multiples. Conformément au projet transhumaniste, une puce électronique implantée dans notre cortex pourra nous augmenterprogrammant ainsi la fin de l’homo sapiens et c’est ainsi que l’homme, le cerveau plein à craquer de machines, d’un pas de somnambule, marchera vers les mines meurtrières conduit par le chant des inventeurs[14].
Excentriques, effrontés, transgressifs, sans plus se préoccuper de droit ou de lois, s’évertuant à détruire non seulement tous les services de l’État mais tous les droits hors celui du plus fort, dans un combat devenu planétaire, la ploutocratie libertarienne des conquistadors de l’IA (Empoli), nouveaux maîtres du monde devenus plus riches et plus puissants que bien des États, se ruent vers un avenir post-humain comme des apprentis sorciers annonçant la mort de la mort. Ils s’en remettent au dieu numérique et au règne des algorithmes en multipliant le potentiel de manipulation et de contrôle de machines désormais soumise à l’être de la puissance. Obsédés par la baisse de la natalité et par l’immigration, les démiurges de la tech, affichant le haut niveau de leur QI, projettent d’ensemencer le maximum de femmes et cherchent à coloniser le cosmos conformément à la fiction Project Mars écrite par l’ex-ingénieur nazi des V5, W. Von Braun. La fièvre aveugle de l’exagération et du surpassement a passé outre la juste mesure du cœur et a aboli terre et ciel soit l’habitation poétique de l’homme dans l’oubli total de l’être. Dans une course folle en train de générer une dangereuse bulle spéculative, l’IA et les data center prolifèrent, dévorent électricité, eau, terres rares, uranium… et remplacent des millions d’emplois, un revenu universel de base est censé parer à l’arrivée imminente du chômage technique consécutif à ce tsunami technologique. Dans une bataille mondiale pour la domination, l’appli conversationnelle chinois, conçu à moindre coût par DeepSeek, après avoir été utilisée pour améliorer les algorithmes de traçage des caméras de surveillance, a désormais pris une bonne longueur d’avance sur les Américains. En soumettant nos vies à de puissants systèmes numériques qui renforcent les opinions majoritaires les plus probables et les plus insignifiantes -en éliminant donc les irremplaçables singularités hors norme- est en train de s’accomplir la fin de l’homo sapiens au profit d’une nouvelle forme d’humanité, humanité absente à elle-même mais dotée d’une croissance infinie et d’un savoir exponentiel[15], humanité avec laquelle le seuil de l’apocalypse pourrait être bientôt franchi…
A la fin de son roman Empoli écrit : « Reconnaître que la technique s’est transformée en métaphysique. Je ne sais pas combien de temps cela prendra, mais la voie est tracée…La vraie course n’est pas entre le pouvoir et l’apocalypse, mais entre l’avènement du Seigneur et l’apocalypse »[16]. Toute la pensée de Heidegger pourrait être comme un écho magistral à la première proposition. Quant à l’allusion à l’apocalypse elle est moins la fin du monde que, au sens littéral, la révélation de quelque chose, la révélation du chaos, de celui du monde des prédateurs dans lequel nous avons basculé. On peut certes se gausser de ce monstre narcissique et bouffi d’orgueil qu’est le Président Trump, on peut le remettre à sa place qui est celle d’un prétentieux bouffon, il reste qu’il faut prendre au sérieux le basculement disruptif du monde que cet agent provocateur du chaos, est en train d’opérer. En un temps record, il a réussi à bouleverser l’ordre international hérité de la dernière guerre tout en associant l’accélération technologique du numérique au conservatisme identitaire d’un populisme bêlant. Une stratégie de la crise permanente et de l’exacerbation vise aujourd’hui délibérément la sécession, l’extinction de la démocratie, un basculement politique et géostratégique qui a pris sa source dans l’idéologie réactionnaire subversive concoctée par un centre de recherche de l’Université de Warwick dans les années 1990[17].
Une nouvelle époque du monde a commencé et il faudra bien en prendre connaissance si l’Europe veut lui répondre et ne pas être balayée comme l’a été la vieille élite des Démocrates et ses bataillons d’avocats[18]. On ne peut vouloir sans fin exorciser l’immonde de notre monde et continuer de se blottir dans le politiquement correct.
Dark Enlightment. La pensée des Lumières, celle du progrès et de l’émancipation, avait prétendu bannir le conflit de notre horizon, elle était optimiste, naïve, irresponsable, incapable de penser le pire après les deux guerres mondiales qui avaient révélé, avec le retour sans fin de la violence, une faille considérable en l’homme. Il fallait donc changer de braquet, sortir de l’illusion des Lumières et, à la suite de Ayn Rand, figure tutélaire du capitalisme, ne pas craindre de défendre l’égoïsme rationnel du self made man, de dénoncer les valeurs démocratiques d’égalité, de solidarité et le sacrifice de soi qu’implique l’altruisme : autant de freins au progrès responsables de tous les malheurs du monde, disait-elle ! Déjà des écrivains comme Sade ménageant, comme Dostoievski plus tard, une fenêtre dans le sous-sol du phénomène humain avait réouvert, en France, la question métaphysique du mal au sein d’une époque des lumières encore tout étourdie des rêves de maîtrise de la raison. Sueño da razon, écrivait Goya au bas d’une eau forte célèbre des Caprices où il se représente lui-même terrassé par les dieux obscurs et les fantasmes immaitrisables de l’inconscient comme en un écho à l’expression créée par Nick Land en 2012 de Lumières obscures, la nouvelle idéologie du pouvoir américain qui a désormais acquis la notoriété d’une contre-culture. Ouvrir les yeux jusqu’à l’horreur, prendre, comme dans le film Matrix, la red pill pour s’éveiller à la réalité de la matrice, pour voir le monde tel qu’il est, c’est une condition pour défier ce que le bloggeur ultra-réactionnaire Curtis Yarvin appelle la Cathédrale. La Cathédrale c’est l’alliance des media traditionnels et des élites universitaires qui trop longtemps auraient œuvré pour imposer l’idéologie progressiste aux Américains et leur inoculer la démosclérose. Inventeur du Doge trumpien, l’ingénieur techno-monarchiste Curtis Yarvin, tablait sur une rupture technologique et entendait, en bon libertarien, démanteler un État englué dans une mystique démocratique et une obsession de justice sociale aussi onéreuse que destructrice. Il faut au contraire, disait-il, épouser le mouvement débridé du capitalisme et, de façon inconditionnelle, l’accélérer[19]. l’Amérique doit être une entreprise souveraine gouvernée par une élite techno-césariste avec, comme monarque absolu, un PDG ! Le but est donc de construire avant tout une ingéniérie politique efficace capable d’éviter la violence car « le bien c’est l’ordre » ; toutes les autres questions, celle de la pauvreté et du réchauffement climatique, par exemple, étant considérées comme insignifiantes.
Leçons de ténèbres. Il est souvent difficile de se repérer dans le mic mac idéologique semé de contradictions qui est celui du trumpisme mais, si l’on en croit son théoricien le plus influent, Péter Thiel[20], il est clair que toute cette mouvance contre-révolutionnaire se nourrit des anti-lumières européennes agrémentées de références bibliques. La politique ne commence t-elle avec Caïn, avec la possibilité du meurtre ? Elle présuppose, ainsi que Hobbes l’avait vu, la dangerosité de l’homme pour l’homme, dangerosité que seul l’État peut non pas abolir mais contenir : « toutes les théories politiques véritables postulent un homme corrompu, c’est-à-dire un être dangereux et dynamique, parfaitement problématique » écrira par exemple Carl Schmitt, le grand juriste souvent invoqué. Dans cette perspective, la guerre n’est que la réalisation extrême de l’hostilité, et avec la montée aux extrêmes qui se profile toujours derrière la guerre et l’hostilité potentielle, le combat devient la dimension fondamentale et tragique de l’existence et du politique. C’est, en dernière analyse, sur le fond mythologique du katekon (Paul 2 Th. 6-7), d’un combat ultime et apocalyptique (ce que fut pour Schmitt le nazisme avec lequel il se compromit) qui pourrait ralentir l’avance de l’inexorable décadence que ce catholique, aussi fascinant que sulfureux a pensé le politique en digne héritier du contre-révolutionnaire D. Cortès [4]. Tenter de dépasser l’antagonisme qu’implique la politique au profit d’une humanité une et réconciliée est une idée totalement chimérique. « Qui dit humanité veut tromper… l’humanité n’est pas un concept politique » écrit Schmitt. Impitoyable est sa critique du cosmopolitisme et du progressisme. Le prétendu dépassement de l’État au nom d’une libération de « l’humanité » ne provoquerait qu’un déchaînement de violence dans un état de nature retrouvé. Les motifs humanitaires souvent invoqués compromettent toujours la limitation de la guerre assurée par le droit international classique, ils le déstabilisent et ouvrent la voie à une spirale sans fin d’interventions et de criminalisation de l’adversaire. L’angélisme politique, de Rousseau à Marx, est une catastrophe, il repose toujours sur les prémisses antipolitiques de la bonté naturelle de l’homme et il ne peut aboutir qu’à une telle régression. Sans possibilité de sacrifice, sans autre horizon que la consommation et le divertissement, il n’y a plus que nihilisme et décadence, c’est l’avènement du « dernier homme » dont Nietzsche fut le prophète le plus lucide. Ainsi pourrait commencer la leçon de ténèbres de Peter Thiel, la figure de proue du nationalisme conservateur américain qui, face au vide spirituel croissant de l’Occident a adopté la posture de veilleur eschatologique. L’apocalypse pourrait pourtant prendre le visage de cette ère zombie où les hommes ne sont pas assez fous pour provoquer vraiment l’apocalypse mais pas assez sains d’esprit non plus pour désirer le royaume de Dieu. Dans ce règne de la médiocrité où il ne se passe presque plus rien, les Millénials de la génération Z pour lesquels le No Futur est devenu un destin plus qu’un cri de contestation, se montrent de plus en plus réticents à procréer, aussi se réfugient-ils dans le spectacle que leur offre les réseaux sociaux et dans la consommation de marijuana et de Netflix, i.e. dans la dépendance. Une telle conduite procède en vérité d’une haine de l’existence qui conduit à terme à l’extinction démographique qui guette désormais toute l’Europe. Le retour de Trump à la Maison blanche c’est l’augure d’une telle apokalypsis qui est moins la violence de Dieu comme l’interprètent les fondamentalistes, que, au sens littéral, la révélation des simulacres et des faux dieux à prétention messianique, révélation d’un chaos devenu hégémonique dans lequel, toutes les croyances effondrées, la violence monte aux extrêmes et les possibilités de manipulation deviennent infinies...Elon Musk, lors du premier mandat de Trump, l’avait dit de l’IA : Nous sommes en train de convoquer le démon. Prions pour que le Jour du Seigneur n’arrive pas de sitôt. Qui restera debout quand il paraîtra ? (Malachie, 3-2).
Dans l’étrange entracte dans lequel nous continuons de végéter, repoussant encore, comme Hamlet, le choix inévitable, un silence de mort s’est abattu sur le monde avant que l’Ange ne vienne un jour briser le 7ème sceau…
Populisme numérique 2.0. En attendant ce Dies irae, les leaders carnavalesques maintenant au pouvoir procèdent comme le faisait hier César Borgia (le modèle du Prince), nous dit Giulano da Empoli : par l’effet démultiplié de la force, ils ne persuadent pas -le vrai et le faux ne leur importent guère- mais ils manipulent l’opinion nourrie de malheur et de désespoir en produisant la sidération, l’effroi et une peur venue du plus profond de notre cerveau réptilien. Ils désarment l’expertise et laissent le peuple stupide et satisfait, selon l’expression de Machiavel.
Cette stratégie millénaire met aujourd’hui les outils des plateformes numériques au service de l’énergie révolutionnaire du populisme, au service donc de la colère porteuse de haine contre les élites, contre un establishment libéral complètement coupé des préoccupations du peuple générant et entretenant chez lui une profonde, une sourde, une inexpiable frustration. En conséquence l’arène politique avait cessé depuis longtemps d’être le parlement pour se focaliser uniquement sur les réseaux sociaux et la toile devenus l’exutoire illimité de la rage du peuple. La tâche n’était plus en effet d’unir mais de diviser la nation, de multiplier les milliers de mécontents en attisant leurs passions. La révolution des algorithmes, la maîtrise des big data permet d’envoyer à chacun les messages parfaitement conformes à ses inclinations, de l’enfermer dans sa bulle et de favoriser une droite extrême en transformant ceux qui n’étaient que fachés… en véritable fachos. Le binôme, le couple infernal qu’a formé Trump et Musk, l’illustre de façon exemplaire et paroxystique. Le magnat de l’immobilier, le producteur de télé-réalité vivant dans ce monde parallèle de simulacres où il n’y a jamais eu que des spectacles était, lui, porteur de l’énergie colossale de la colère populaire. Mais avant de virer le tech bros de la Silicon Valley (tel le double du roman dostoievkien), il avait fort bien compris le rôle essentiel que le champion de la nouvelle économie numérique, l’expert en big data, pouvait jouer pour que les leaders populistes l’emportent. Le pouvoir de mobilisation totale et de contrôle implacable que permettent les nouvelles technologies montre qu’une submersion du fonctionnement démocratique est devenue possible. Ces pouvoirs sont demeurés sans garde-fou, les démocrates déjà les avaient utilisés pour cibler, en 2012, 69 millions d’électeurs et ils n’ont jamais voulu les réguler…Ordinator c’est avec une lucidité prémonitoire qu’un Français a baptisé ainsi une machine qui rend possible le pouvoir dans sa forme absolue. Dictateur n’en était à tout prendre qu’une forme bien ancienne et complètement dépassée[21]…
[1] Le mage du Kremlin, Gall., p. 273, 274.
[2] Marx, Grundisse T II, p. 212.
[3] « Le monde qui baptise du nom de progrès sa tendance à une précision fatale, cherche à unir aux bienfaits de la vie les avantages de la mort ». Valéry, La crise de l’esprit, 1919.
[4] Il permet aussi de corriger des copies mais cet algorithme génère des standards qui ne peuvent sortir des paradigmes, des réponses statistiquement probables parmi lesquelles seul un humain peut choisir la plus « créative ».
[6] Si l’on écrit avec sa main -et donc avec tout son corps et sa pensée-, on compte, on calcule, on numérise et on tappe encore sur son clavier avec ses doigts (digitus) comme le rappelle Byung-Chul Han, La fin des choses, Actes Sud, p. 101 sq.
[7] Comme le soutient Sam Altman le patron glaçant d’OpenAI que sa course folle à l’IA générale a rendu aveugle à l’impact sociétal et environnemental de cette révolution technologique.
[8] L’heure des prédateurs, Gall., 2025, p. 138.
[9] Cf., Alain Damasio, « Il faudra apprendre à cohabiter avec elles » in Le nouvel Obs, n° 3150, 06/02/25.
[10] Avec Tolkien, la mortalité des civilisations et la promesse salvatrice d’éternité, Asimov et sa robotisation de l’humanité, Heinlein et ses rêves de colonisation spatiale, sans oublier Douglas Adam et son Guide du voyageur galactique. S’évader dans l’imaginaire encourage l’innovation et sert d’alternative à la religion…
[11] En la mémoire de ce génie persécuté (et liquidé !) pour son homosexualité, l’icône de la pomme croquée, celle de Blanche neige, figure sur tous les ordinateurs Apple.
[12] Le mage… Ibid., p. 271.
[13] Qu’hommage soit rendu au poète touareg Hawad qui nous a communiqué sa fièvre et sa rage. Cf., Le vent rouge, éditions Le tout monde.
[14] René Char, Pléïade, p. 205.
[15] L’heure des prédateurs, Gall., p ; 127.
[16] Le mage du Kremlin, Gall., p. 274-275.
[17] Dans l’effervescence cyberpunk de la culture pop, Le Cybernetic Culture Research Unit a commencé à gauche en mariant le souci révolutionnaire de Deleuze et Guattari (critique de la société de contrôle) et l’annonce de la fin des grands récits de la modernité avec J.F. Lyotard, thèse reprise par Mark Fisher. Théorisant la notion de réalisme capitaliste, cherchant à rouvrir les possibles, celui-ci s’est suicidé en 2017. CF., Philomag, n°191 et 192.
[18] L’heure des prédateurs, Gall., 2025, p. 83.
[19] La mouvance accélérationniste a des contours très flous et très mouvants elle vient de l’extrême gauche qui entendait pousser jusqu’à ses dernières limites le système capitaliste jusqu’à ce qu’il craque et qu’il s’effondre.
[20] Le milliardaire catholique et homosexuel Peter Thiel est d’origine germanique. Cocréateur de Paypal avec Elon Musk, passionné de philosophie, il reste pourtant très critique à l’égard du nihilisme rampant de notre monde post-religieux. Transhumaniste, survivaliste, c’est un postulant à la vie éternelle ! En attendant sa cryogénisation, il possède déjà son bunker en Nouvelle Zélande. Comme le Vice-Président des Etats-Unis J. D. Vance, il se réclame de René Girard. Cf. la revue en ligne dirigée par Gilles Gressani Le Grand Continent dont sont extraites toutes ces informations.
[21] Le mage du Kremlin,Gall., p. 273.