Bienvenue sur le site de François Warin
Agrégé et docteur en philosophie, François Warin a enseigné dans des universités étrangères, au Brésil et en Afrique subsaharienne. Il est l'auteur de Nietzsche et Bataille. La parodie à l’infini (Puf, 1994) et de textes sur Montaigne (Actes-Sud 2001), sur l’esthétique et notamment sur l'esthétique des arts premiers (Ellipses, 2000, 2006, Laffond, 2010) ainsi que d'articles concernant des questions de société et des questions géopolitiques.
Alegre saber
Alegre saber c'est, en portugais, le gai savoir. Nous empruntons donc le titre de ce "site" à un livre de Nietzsche mais lui-même l'emprunta à la tradition provençale des troubadours, à celle des tropatores, des faiseurs de tropes et des maîtres d'amour, de la fine amor. Faut-il rappeler que pour cette tradition peut-être venue de la poésie arabe d'andalousie mais surtout imposée au XIIe siècle par un christianisme qui, après la réforme grégorienne et l'institution du sacrement du mariage, fait de l'amour, rencontre du charnel et du spirituel, sa grande affaire, l'amour en générant le chant ou la parole poétique était devenu, ainsi lesté d'une exigence d'absolu, la razo de trobar, la seule ratio inveniendi ? Et que la fine amor, ce qu'on appelera l'amour courtois était un contentement mêlé de douleur, un désir exaspéré, un amour pur et brûlant comme l'or affiné par la feu, un amour sacré et sacrilège, le seul capable de mettre en échec la convoitise cupide, l'impulsion à acquérir et à faire de sa dame une propriété ?
C'est à ce savoir que les textes ici rassemblés voudraient s'accorder. Savoir tragique qui n'est pas fait pour consoler mais qui rend d'une certaine façon joyeux même au coeur du malheur, savoir qui ne voudrait constituer que le contre-fort de la sphère du non-savoir qui se résout tout entiere dans une vision incandescente que nous avons qualifiée de mystique (une pensée de la déprise et de la Gelassenheit). Il n’y a en effet de grand parmi les hommes que ce qui échappe à leurs programmes et à leurs codes, il n'y a donc de grand que ce qui vient des dieux, que ce qui vient d’ailleurs et qui est en l'homme, qui n'a pas sa mesure en lui-même, la part du dehors[1].
Pour le dire autrement : après la grande parenthèse du rationalisme (17e-20e) alors que la croyance aussi bien que l'athéisme sont derrière nous, alors que l'"insensé" des psaumes a changé de camp et que nous retrouvons le "que sais-je ?" de Montaigne, comment prendre acte, disons, de la mort de Dieu, comment s'installer dans son deuil, sans donner son aval au monde plat et désolant du nihilisme, celui qui désespère Zarathoustra, "l'athèisme -avec son a privatif (n'ayant) pas été capable d'irriguer son propre désert" (J.C. Bailly) ; comment trouver, dans le monde, une ouverture sur le dehors, une ouverture vers le "Royaume", l’indécence consistant simplement à vouloir donner forme, identité, signification à cette ouverture comme le fait toute idéologie qu'elle soit religieuse ou politique. "Obéissez à vos porcs qui existent. Je me soumets à mes Dieux qui n'existent pas" écrivait René Char dans La parole en archipel. C'est vraiment cela qui nous fait encore problème. Que ces écrits parlent seulement des obstacles que, sur ce chemin, nous avons rencontrés et tenté de surmonter.
[1] De là la révolution capitale que représente la pensée de Heidegger. Elle consiste à dégager sous l’homme de l’humanisme, sous le sujet auto-fondé, mesure de toute chose, dressé au sein de l'étant dans une posture de domination et de maîtrise, portant à son comble l'oubli de l'être, le Dasein qui dit la dignité de l’homo humanus : être c’est avoir lieu, c’est venir en présence dans l’horizon du là, c’est se tenir selon cette modalité d’être foncièrement ouverte et disponible qu’est l’ek-sistence, c’est maintenir ouverte la dimension de manifestation de tout ce qui est. Vous y êtes ? comme on dit. Et cela aurait-t-il quelque rapport avec l’introduction du nazisme dans la philosophie ?
"J'appartiens à une génération qui a hérité du rejet de la croyance en la foi chrétienne et qui a institué en son sein le rejet de toutes les autres croyances. Chaque civilisation suit la voie intime d'une religion qui la représente. Passer à une autre religion c'est perdre celle la et finalement les perdre toutes. Nous avons donc été pour chacun de nous livrés à la désolation de nous sentir vivre". Pessoa, Le livre de l'intranquilité.