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Outre passer.

En architecture on a coutume  d’appeler l’arc musulman du nom d’ arc outrepassé ; et en effet il est plus grand que le demi cercle, il passe outre au demi cercle dont nous, chrétiens, nous nous contentons et il manifeste ainsi sensiblement l’emprise totale la générosité sans limite qu’on attribue à l’Absolu.

Qu’advient-il alors quand c’est l’homme lui-même qui passe outre aux dons et contre-dons qui rythment généralement les relations entre les humains comme il advient chaque fois que nous allons chez les Delon  ? Je ne saurais le dire.

Mais on appelle aussi du nom d’arc en fer à cheval cet arc qui, en terre wisigothique, fut inventé au XIe siècle en Al-Andalous. Chez nous il porte chance et annonce ce qu’on appelle le bon-heur, la bonne augure. Que, pour le moins, il en soit ainsi.

 

POUR MONIQUE ET GUY

Savez-vous qu’ici, à Quinson 
il y en a
qui donnent sans compter
qui sont accueillants, obligeants,
qui se soucient des plus petits
que l’on peut déranger à toute heure
qui ont une maison
pour accueillir le monde entier…
On n’avait jamais vu ça…

Dans mon pays on remercie

REMERCIEMENTS

 

Comment dire « merci » alors que c’est encore un mot du vocabulaire marchand (merx en latin c’est en effet la marchandise comme merces désigne le salaire et que l’euphémisation du terme « merci » entendu coPasted Graphic 2.tiffmme grâce, faveur, bienveillance, pitié dissimule très mal sa dure réalité économique, son appartenance à l’ordre du marché qui est devenu la forme d’un monde immonde…). Difficile décidément  de sortir des eaux glacées du calcul égoïste comme disait Marx, si je me souviens bien ! 

 

Nous avons été invités chez vous avec des amis très chers avec force viande, foie gras,  vins et succulentes ripailles, un repas digne, pour le sucré comme pour le salé, de François Vatel.

Et ici nous sommes, à l’évidence, hors marché, hors commerce. Et depuis toujours  les hommes ont été plus prompts et plus soucieux d’engager leur honneur que de calculer et d’assurer leur profit : la lutte pour la reconnaissance (pour être « reconnu » dans tous les sens du terme) et non l’avidité cupide, n’a-t-elle pas toujours été le moteur de l’histoire ?

 

C’est ce que montre la grande loi de l’échange-don  qui constitue le lien le plus puissant des sociétés humaines (pas de cité, pour les   anciens, sans un temple des Charites sur la place publique) et qui règne encore dans notre système d’invitation. Ce type d’échange est symbolisé par les trois grâces jeunes, joyeuses, transparentes, décrites par Sénèque (1) et que, pendant 25 siècles, les artistes de l’antiquité et de la Renaissance ont interprété ainsi : la première grâce qui donne et fait plaisir, traditionnellement représentée de dos, détournant, par modestie, le visage, symbolise l’obligation de donner, la deuxième, représentée de face, est celle qui manifeste le plaisir de recevoir par son visage ouvert, la troisième représentée de profil, symbolise l’obligation de rendre. Elles se donnent la main en une danse ou une ronde qui ne manque pas de revenir à la grâce la plus majestueuse (celle qui donne), mettant ainsi en scène le circuit des libéralités généreuses, des cadeaux gracieux, le réseau des obligations réciproques, la chaîne des bienfaits qu’échangent les amis, qui n'est pas charité qui sépare celui qui donne et celui qui reçoit mais solidarité car celui qui donne est aussi celui qui reçoit. Mais qu’advient-il quand on ne peut plus rendre et que le circuit est interrompu et que la règle impérieuse des dons et contre-dons est tout à coup suspendue ?

 

Si j’ai évoqué la figure du maître d’hôtel François  Vatel c’est pour rappeler un épisode tragi-comique et bien connu de notre histoire.  Louis XIV ainsi avait été invité par le surintendant du royaume, grand argentier du roi, Nicolas Fouché. On raconte que, possédé une sorte de folie des grandeurs, celui-ci donna le 17 aout  1661, en une cérémonie ostentatoire et dispendieuse, une fête d’une magnificence jamais égalée pour plaire au roi et pour l’impressionner : devant tant de munificence, ne pouvant rendre sans entrer dans le cercle d’une surenchère effrénée, le roi décida de la chute de son ministre et l’envoya, jusqu’à la fin de ses jours, (26 ans durant !), en prison tandis qu’il prenait modèle sur le château de Vaux le Vicomte pour faire construire le château de Versailles.

Les amérindiens de l’Ouest de l’Amérique du Nord connaissent de même une cérémonie qu’ils appèlent le potlatch (acte de donner) et qui répond à la même logique : il s’agit, entre chefs surtout, si je me souviens bien, d’affirmer sa souveraineté en « donnant » pour défier un rival, cela pouvant aller jusqu’à une destruction ostentatoire et gratuite de richesse. L’essentiel ici est d’affirmer son honneur : ou l’on brille, ou l’on disparaît.  

 

Cela n’a bien sûr que peu de  chose à voir avec ce qui se passe entre nous, entre amis qui leurs bienfaits ne cherchent qu’à embellir et favoriser la vie, même si, en principe, quand on est invité il faudrait rendre une invitation au moins équivalente et si possible supérieure : non seulement nous ne sommes ni des chefs Chokwé ni des rois, ni des ministres mais nous ne sommes pas dans ce qu’on pourrait appeler le premier circuit des échanges.  Dans ce circuit   il  s’agit   de donner et de donner pour recevoir, do ut des dit-on en latin, je donne afin que tu donnes puisque l’édifice de la vie sociale repose sur le couple  bienfait/reconnaissance.  Nous sommes ici au contraire dans un deuxième circuit d’échange qui consiste à donner sans contre-partie, sans s’attendre à un bénéfice ou à un paiement quelconque, sans esprit de retour, à remercier de façon gratuite. Cet acte confine à la notion religieuse de grâce, de cette  Kharis dont parlait Paul, d’une grâce qui passe  outre, qui outrepasse toute mesure et tout équilibre. Dans ce domaine, je l’ai déjà dit, vous excellez et la petite dissertation que je vous dédie  en une manière de ce qu’il faut bien encore appeler un « remerciement », en est un très humble et très modeste écho.

 

 

 

 

 

 

 

 

(1)« Selon les uns, ellesAglaé (do), Euphranyme (accipio) et Thalie (refero) représentent la bienfaisance dans ses trois acteurs, celui qui donne, celui qui reçoit, celui qui rend : selon d’autres, sous ses trois faces : le bienfait, la dette, et la reconnaissance". ». De beneficiis.

 

 

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