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Raku

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Le Raku ou le bonheur dans le hasard

A Maud

 

Pour bien comprendre le raku il faut, me semble-t-il, se reporter plus de 26 siècles en arrière et revenir à la pensée taoïste telle qu’elle s’exprime dans le Tao Te King, le livre (King) de la voie (Tao) et de la vertu (Te) attribué à Lao Tseu.

le Tao, la Voie, c’est la nature,  le réel en totalité et en perpétuel devenir. Pour suivre la Voie, pour avoir une longue vie en évitant la hâte et le stress, pour ne pas faire le jeu de la mort, la méthode adéquate est celle de l’efficacité du non-agir. Agir en effet c’est être en perpétuel rupture avec la nature car la nature, elle, n’agit pas, elle est pure spontanéité, elle ne prémédite rien, elle est sans but et ne va nulle part.Nous sommes ici aux antipodes de la pensée occidentale pour laquelle l’homme, homo faber suprêmement actif, doit devenir, comme maître et possesseur de la nature et lui imposer sa volonté.

La science occidentale a en effet réduit la nature à n’être qu’un ordre intelligible. La nature parle en langage mathématique, disait Galilée, et les caractères avec lequel le grand livre de l’univers est écrit sont des triangles, des cercles et d’autres formes géométriques. Mais ces formes régulières, ces formes symétriques sont privées de toute spontanéité, elles appartiennent, disent les Indous, au voile de maya, à l’ordre de la mesure qui est celui de la convention, elles restent à l’écart de la vraie naturalité qui est celle de l’écoulement intemporel et paisible du Tao. Celui-ci, parce qu’il est fluide, totalement insaisissable et que, sans but et dénué de sens, il nous semble inhumain, ne remplit d’effroi que celui qui veut classer, mesurer, saisir et accaparer toute chose.

L’art occidental lui-même entièrement anthropocentré et construit à partir du point de vue d’un sujet qui impose une forme, un ordre ou un style à une matière ou à une nature qui en serait dépourvue.Le planificateur souverain impose à une matière brute et inerte (hylé) une forme (morphé) visualisée mentalement (c'est le schéma hylémorphique selon Tim Ingold). C’est ce qu’on voit typiquement dans un jardin à la française où la nature a été mise sous le joug et soumise à la liberté d’un projet et d’une intention. 

Pour la pensée orientale au contraire, l’homme n’est pas un individu et un sujet, il est un être d’appartenance, il appartient au monde, il ne le domine pas et, dans l’art pictural chinois, il ne fait que s’insérer, minuscule, dans la totalité que forment  terre et ciel, divins et mortels. C'est ma matière que l'on écoute, qui vous inspire et qui vous guide et la main n'est plus un instrument car c'est elle qui sent, qui dit, qui raconte une histoire et ouvre un monde. L’Orient est femelle, disait Saint-Simon, comme l’Occident est mâle. Cela ne signifie pas que l’Orient ignore le côté ou le versant mâle de la réalité, bien au contraire puisque l’opposition du Yin et du Yang est pour le taoïsme le moyen de toute création ;  mais il donne le privilège au féminin, au Yin, à ce qui est faible sur ce qui est fort, à ce qui est souple sur ce qui est rigide, à ce qui est  doux sur ce qui est dur.  « La faiblesse, dit le Tao Te King, est la méthode de la Voie » et la nature en effet accomplit toujours le grand par le faible et le menu.

C’est bien longtemps après les origines du taoïsme qu’est née au Japon, au XVIe  siècle, la technique de la céramique raku. La rencontre d’un potier venu de Corée et d’un grand maître de thé, la rencontre donc d’un homme du peuple et d’un lettré raffiné sachant goûter, avec la légère amertume du thé vert, le sentiment d’un présent indéfiniment durable, en fut l’occasion. Le maître de thé reconnut d’emblée dans les bols rustiques du potier l’esprit de wabi-cha, i.e. la spontanéité et le charme de l’irrégularité caractéristique du wabi. L’humilité et la simplicité mais aussi la beauté fugace de l’imperfection dont peut témoigner un simple bol peut résonner de toute l'ampleur du monde et avoir alors le pouvoir de nous relier directement à la nature : il rassemble le monde et donne figure au vide matriciel. "Ce qui fait du vase une chose ne réside aucunement dans la matière qui le constitue mais dans le vide qui contient". Heidegger, Essais et conférences Gall., p. 200)

Toute la technique du raku consiste à être disponible à ce qui vient du dehors, à admettre qu’on ne maîtrise pas tout et  même à suspendre la maîtrise du sujet en provoquant des événements ou des accidents qu’il est impossible de reproduire à l’identique pour deux poteries. Cela donne des résultats très aléatoires mais à chaque fois des œuvres uniques et variant à l’infini.  Ce sont par exemple les bols de thé sur les flancs desquels, par l’effet d’une heureuse maladresse, on a laissé couler l’émail  de façon irrégulière.  Mais c’est surtout le choc thermique subi par la pièce qui provoque le tressaillement, l’étoilement ou la craquelure de l’émail caractéristique du raku. La céramique sortie brutalement du four est ensuite enfumée, plongée dans une atmosphère carbonée. La glaçure et la pâte réagissent alors encore en produisant des effets de surface lustrés tout à fait singuliers.

On pourrait  à ce sujet inverser la célèbre formule de Freud Wo es war soll ich werden[1] et écrire : Wo ich war soll es werden puisqu’une telle technique permet au sujet de lâcher prise, d’écarter le moi, d'ébranler l’ « ego » et de laisser « ça » agir.  Et le « ça », avec le raku ce pourrait être la rencontre et l’histoire de la terre, de celles du feu et de l’eau, ou bien le jeu de la terre et de l’émail. La technique alors loin de se réduire à un simple procédé pourrait être le principe générateur de l’œuvre.

Il y a pourtant bien style mais le style bien loin d’être indiscret et de s’affirmer comme tel, reste inapparent, imperceptible, insoupçonnable. Il y a bien création mais comme dans la kabbale d’Isaac Louria, le créateur s’est comme retiré et anéanti dans la création, l’artiste s’est effacé dans son œuvre, il n’est présent que par son absence et c’est l’art, cette fois-ci qui cache l’art ainsi qu’Ingres le préconisait.  C’est alors que, comme dans un jardin zen, le comble de l’artificiel coïncide avec celui du naturel.

Le raku n’est lui aussi rien d’autre que cela : la rencontre de l’art le plus raffiné et des obscures et imprévisibles pouvoirs de métamorphoses de la matière, l’accouplement de l’ homme et de la terre, de l’ homme et d’une  terre puisée avec respect et d’une terre caressée. Et c’est bien le sentiment que donnent les œuvres discrètes, secrètes, féminines, sensibles et si raffinées de Maud, la potière qui n’a jamais cessé de s’ouvrir à l’impossible. A chaque cuisson c’est la surprise devant les nouvelles possibilités réalisées, rappel par delà les millénaires traversés, de l’antique adage : celui qui se livre au Tao, dès qu'il pratique le non-agir, rien ne lui est impossible. A chaque cuisson c’est la surprise et quelques fois l’émerveillement selon que l’augure a été bonne ou mauvaise.

Le nom de raku que l’on traduit quelques fois par le bonheur dans le hasard nous le rappelle : l’heur, le bon-heur (bon-augurium) ici aussi, s’il se prépare, est, essentiellement, un bonheur de rencontre. Ce qui compte c’est toujours ce qui arrive du dehors.

 

[1] Là où était le « ça », le « je » doit advenir. Cf. Dialogues de G. Deleuze.

 

 

 

 

 

Pour bien comprendre le raku il faut, me semble-t-il, se reporter plus de 26 siècles en arrière et revenir à la pensée taoïste telle qu’elle s’exprime dans le Tao Te King, le livre (King) de la voie (Tao) et de la vertu (Te) attribué à Lao Tseu.

le Tao, la Voie, c’est la nature,  ce que les Grecs, nous dit Marcel Conche, appelaient la phusis, le réel en totalité et en perpétuel devenir. Pour suivre la Voie, pour avoir une longue vie en évitant la hâte et le stress, pour ne pas faire le jeu de la mort, la méthode adéquate est celle de l’efficacité du non-agir. Agir en effet c’est être en perpétuel rupture avec la nature car la nature, elle, n’agit pas, elle est pure spontanéité, elle ne prémédite rien, elle est sans but et ne va nulle part.

Nous sommes ici aux antipodes de la pensée occidentale pour laquelle l’homme, homo faber suprêmement actif, doit devenir, disait Descartes, comme maître et possesseur de la nature et lui imposer sa volonté.

La science occidentale a en effet réduit la nature à n’être qu’un ordre intelligible. Pour comprendre l’univers, pour que la réalité ne reste pas inconnaissable et à jamais cachée il faut d’abord connaître la langue et les caractères dans lesquelles le grand livre de l’univers est écrit. Or la nature parle en langage mathématique, disait Galilée, et les caractères avec lequel le grand livre de l’univers est écrit sont des triangles, des cercles et d’autres formes géométriques. Mais ces formes régulières, ces formes symétriques ne sont pas seulement (contrairement au topos médiéval du livre de l’univers) privées de sens, elle sont surtout privées de toute spontanéité, elles appartiennent, disent les Indous, au voile de maya, à l’ordre de la mesure qui est celui de la convention, elles restent à l’écart de la vraie naturalité qui est celle de l’écoulement intemporel et paisible du Tao. Celui-ci, parce qu’il est fluide, totalement insaisissable et que, sans but et dénué de sens, il nous semble inhumain, ne remplit d’effroi que celui qui veut classer, mesurer, saisir et accaparer toute chose.

L’art occidental lui-même entièrement anthropocentré et construit à partir du point de vue d’un sujet, a souvent été interprété comme l’imposition, par la puissance dominatrice du génie,  d’une forme, d’un ordre ou d’un style à une matière ou à une nature qui en serait dépourvue. C’est ce qu’on voit typiquement dans un jardin à la française où la nature a été complètement maîtrisée et ordonnée, entièrement jugulée et soumise à la liberté d’un projet et d’une intention.

Pour la pensée orientale au contraire, l’homme n’est pas un individu et un sujet, il est un être d’appartenance, il appartient au monde, il ne le domine pas et, dans l’art pictural chinois, il ne fait que s’insérer, minuscule, dans la totalité que forment  terre et ciel, divins et mortels. L’Orient est femelle, disait Saint-Simon, comme l’Occident est mâle. Cela ne signifie pas que l’Orient ignore le côté ou le versant mâle de la réalité, bien au contraire puisque l’opposition du Yin et du Yang est pour le taoïsme le moyen de toute création ;  mais il donne le privilège au féminin, au Yin, à ce qui est faible sur ce qui est fort, à ce qui est souple sur ce qui est rigide, à ce qui est  doux sur ce qui est dur.  « La faiblesse, dit le Tao Te King, est la méthode de la Voie ». La nature en effet accomplit toujours le grand par le faible et le menu. Ne savons-nous pas tous qu’il n’y a pas d’homme qui n’ait d’abord été enfant, pas de vivant qui ne soit sorti d’un germe minuscule et, en général qu’il n’y a rien de fort qui n’ait eu à le devenir ? Le sage, celui qui ne fait qu’un avec la Voie est par conséquent celui qui retourne  à l’état de nouveau-né, celui qui n’agit pas, qui n’a rien en vue et ne se propose rien. Sa seule présence est efficace ; comme le corps sans organe du nouveau-né il met tout le monde en mouvement.

C’est bien longtemps après les origines du taoïsme qu’est née au Japon, au XVIe  siècle, la technique de la céramique raku. La rencontre d’un potier venu de Corée et d’un grand maître de thé, la rencontre donc d’un homme du peuple et d’un lettré raffiné sachant goûter, avec la légère amertume du thé vert, le sentiment d’un présent indéfiniment durable, en fut l’occasion. Le maître de thé reconnut d’emblée dans les bols rustiques du potier l’esprit de wabi-cha, i.e. la spontanéité et le charme de l’irrégularité caractéristique du wabi. L’humilité et la simplicité mais aussi la beauté fugace de l’imperfection dont peut témoigner un simple bol peut en effet nous relier directement à la nature.  

Toute la technique du raku consiste à être disponible à ce qui vient du dehors, à admettre qu’on ne maîtrise pas tout, à suspendre la maîtrise du sujet en provoquant des événements ou des accidents qu’il est impossible de reproduire à l’identique pour deux poteries. Cela donne des résultats très aléatoires mais à chaque fois des œuvres uniques et variant à l’infini.  Ce sont par exemple les bols de thé sur les flancs desquels, par l’effet d’une heureuse maladresse, on a laissé couler l’émail  de façon irrégulière.  Mais c’est surtout le choc thermique subi par la pièce qui provoque le tressaillement, l’étoilement ou la craquelure de l’émail caractéristique du raku. La céramique sortie brutalement du four est ensuite enfumée, plongée dans une atmosphère carbonée. La glaçure et la pâte réagissent alors encore en produisant des effets de surface lustrés tout à fait singuliers.

Simon Hantaï le peintre célèbre pour son travail qui, par ses plis et ses nouages, rappelle la technique du batik ou de  la teinture à la réserve citait  la formule de Freud Wo es war soll ich werden[1] pour caractériser le parcours qui le fit advenir comme sujet, comme un « je » ou un ipse à partir du « ça » informe de sa jeunesse. Mais on peut bien plutôt  inverser la formule et écrire : Wo ich war soll es werden puisqu’une telle technique permet au sujet de lâcher prise, d’écarter le moi ou l’ « ego » et de laisser « ça » agir.  Et le « ça », avec le raku ce pourrait être la rencontre et l’histoire de la terre, de celle du feu et de l’eau, ou bien le jeu de la terre et de l’émail. La technique alors loin de se réduire à un simple procédé pourrait être le principe générateur de l’œuvre qui sortirait de rien (de res, la chose, la matière première) et se formerait d’elle même.

Hantaï parle néanmoins d’ipséité mais d’« ipséité par abandon », la « psyché dans la poche », le « désir avalé ». Il y donc bien création mais comme dans la kabbale d’Isaac Louria, le créateur s’est retiré et anéanti dans la création. Il y a bien style -cette manière très reconnaissable pour un peuple ou pour un homme de se poser face au monde et face aux autres- mais le style bien loin d’être indiscret et de s’affirmer comme tel, reste inapparent, imperceptible, insoupçonnable. L’art cache l’art disait Ingres, l’artiste s’efface dans son œuvre et n’est présent que par son absence.  Il n’y a pas de meilleure illustration de ce paradoxe que le jardin zen avec lequel le comble de l’artificiel coïncide avec celui du naturel.  Ici l’incroyable simplicité du jardin donne l’impression que la main de l’homme n’a fait qu’accompagner un mouvement qui va vers le « rien » et qui a participé à l’arrangement ou à l’agencement  général sans jamais aucunement imposer une volonté.

Le raku n’est lui aussi rien d’autre que cela : la rencontre de l’art le plus raffiné et des obscures et imprévisibles pouvoirs de métamorphoses de la matière, l’accouplement d’un homme et de la terre, d’un homme et d’une  terre puisée avec respect et d’une terre caressée. Et c’est bien le sentiment que donnent les œuvres discrètes, sensibles et secrètement raffinées de Maud, la potière qui n’a jamais cessé de s’ouvrir à l’impossible. A chaque cuisson c’est la surprise devant les nouvelles possibilités réalisées, rappel par delà les millénaires traversés, de l’antique adage : celui qui se livre au Tao, dès qu'il pratique le non-agir, rien ne lui est impossible. A chaque cuisson c’est la surprise et quelques fois l’émerveillement selon que l’augure a été bonne ou mauvaise. Le nom de raku que l’on traduit quelques fois par le bonheur dans le hasard nous le rappelle : l’heur, le bonheur (bon-augurium) ici aussi, s’il se prépare, est, essentiellement, un bonheur de rencontre. Ce qui compte c’est toujours ce qui arrive du dehors.

 

(Dessin de J. Bruel, Poterie de Maud Warin)

Maud et le parti pris des choses

 

Fils de rien et promis à rien, nous n’aurions que quelques gestes à faire et quelques mots à donner.

René Char, L’atelier, p. 907.

 

 

Ce n’est pas d’ « objets[1] » dont nous sommes entourés, leur abstraction trop sèche, leur normes exclusives d'ustensilité (utilité, mensurabilité, efficience, efficacité) les fait disparaître dans l'accomplissement de leur finalité qui ne renvoient qu'à nous mêmes et qu'à nos désirs insatiables, il  ne correspondent à rien dans notre expérience car ils n'ouvrent sur aucun monde. Nous sommes entourés de « choses », de choses sans doute utiles à notre pratique (les Grecs les appelaient ta pragmata) mais qui ne s'épuisent pas dans l'usage qui est fait d'elles. Ces choses que tu as ouvrées que tu as façonnées ne sont pas simplement des objets, des produits relatifs à un sujet qui les déterminent par son projet en imposant une forme à une matière, ce sont des oeuvres qui existent même quand elles ne servent pas ou ne servent plus, elles excèdent la satisfaction des besoins car elles ont vocation de révéler par leur étrangeté et leur présence le vide de l'ouvert où nous avons notre séjour. La chose dit Heidegger recueille ou rassemble le monde, rassemble le ciel et la terre comme lorsque la cruche dans sa modeste insignifiance  verse la libation dans la gratuité d'un sacrifice. La chose nous donne le là que nous avons à être.

Il y a bien longtemps déjà que je voulais, à ta suite et à ma manière, prendre leur parti, « le parti pris des choses », pour reprendre le titre d’un recueil du poète Françis Ponge. Je le voulais  pour rendre hommage à la potière, à celle qui se veut seulement potière mais qui est vraiment potière, à celle qui, femme entre toutes les femmes (depuis le néolithique, les rares potiers ne font que confirmer la règle : la vocation féminine attachée à un tel métier), a développé un amour élémentaire pour la terre, à celle qui la pétrit et la caresse, à celle qui a d'instinct retrouvé le geste artistique le plus ancien, le plus originel, le plus archaïque, le plus élémentaire : refaire de ses mains l’antre nourricière, la matrice protectrice qui nous a donné naissance. La poterie : l’origine de l’art, l’art natif du jour natal et du commencement du monde[2].

 

Et comme dans la grande tradition des icônes qui ne sont jamais signées, elle a effacé ses traces et ne prononce pas son nom comme si elle savait que les œuvres véritables sont toujours acheiropoïètes : filles de la grâce qui toujours surgi de la non-maîtrise, enfants ici de la rencontre miraculeuse et toujours aléatoire de la terre et du feu de sorte qu’elles ne sont pas uniquement faîtes (poîète) de la main (cheïr) des humains. Ne t’enfle pas, diminue et diminue encore, nous dit le Tao, perd ton moi et tu gagneras le Tao ! Tels sont les éléments d’une scène primitive depuis toujours mise en place, depuis toujours mise en jeu, tels sont les éléments fondateurs d'une éthique, d’un éthos c’est-à-dire d'une habitation terrestre que les mots devraient nous aider à dire et à voir. Partons donc des mots et de leur étymologie pour mieux parler des choses.

 

Mais comment appeler les choses qui mettent le monde en cause ? Le mot chose en français comme la cosa en langues romanes vient en effet du causa latin, la cause, l’affaire, mot qui a supplanté res, rem à l’accusatif, qui signifiait « chose » en ancien français, puis « nulle chose » et puis « rien » en raison de son emploi très fréquent en phrase négative.

 

Et c’est ce « rien » justement qui nous requiert devant cette œuvre silencieuse à l’élégance si tenue, si retenue, si sensible, si discrète, si douce et délicate qui tellement te ressemble. Ces choses de rien, ces choses minuscules et si modestes en leur grande simplicité nous prodiguent justement ce que Rilke en son Rodin appelait «  le grand apaisement des choses poussées vers rien ».

 

Ces choses ce sont d’abord ici des bols, des pots, des vases, des pichets, des saladiers quelques fois des théières. Et ces choses ont bien des caractères en commun.

Elles ont d’abord en commun d’être creuses, façonnées autour d'un vide matriciel, autour d’un trou, d’une lacune.  Dans ce vide, l’âme même de l’œuvre s’y concentre comme en un abri et une ressource silencieuse et muette. Georges Braque qui peignit tant de bols l'avait très justement exprimé en nous proposant cette analogie : « Le vase donne une forme au vide comme la musique au silence ».

 

Bel aphorisme qui fait bien évidement écho à ce poème de Francis Ponge :

 

« Pas d’autre mot qui sonne comme cruche. Grâce à cet U qui s’ouvre en son milieu, cruche est plus creux que creux et l’est à sa façon. C’est un creux entouré d’une terre fragile : rugueuse et fêlable à merci.

Cruche d’abord et vide et le plus tôt possible vide encore.

Cruche vide et sonore. 

Cruche d’abord et vide et s’emplit en chantant.

De si haut que l’eau s’y précipite, cruche d’abord et vide et s’emplit en chantant ».

 

Ces choses font partie de notre environnement, de la vie la plus quotidienne, elles sont utiles, Zeug dit Heidegger[3], c’est-à-dire qu’elles renvoient à autre chose qu’elles-mêmes. Et l’on voit bien quelle est l’utilité de leur utilité mais on ne voit pas toujours que ce sont aussi des œuvres, qu’elles sont belles et l’on ne comprend pas toujours bien, comme disait Tchouang-Tseu, l’utilité de leur inutilité. Le métier ne produit ce qu’il œuvre que pour le confier à l’usage et à l’usure si bien que le calcul utilitaire nous voile le sens des choses. L’œuvre, au contraire, se produit en s’en retirant et n’a d’autre destination que d’être parce que justement on ne peut rien en faire.

 

Ces choses qui enveloppent un rien en leur creuse blancheur, résonnent pourtant de toute l’ampleur du monde. Heidegger laisse au presque rien de la chose[4] dire ce qui essentiellement nous concerne, nous touche, nous embrasse dans notre finitude d’être mortel. La terre fragile rugueuse et fêlable à merci, renvoie ainsi à l’eau du ciel et au jeu du monde qui  porte secrètement l’être des choses. Personne plus que Rilke dans la neuvième élégie ne l’a dit d’une façon aussi intense et déchirante.

 

«  Une fois chaque chose, seulement une fois.

Une fois et jamais plus. Et nous aussi

une fois. Jamais plus.

Mais ceci, avoir été une fois - même si ce ne fut qu'une fois -

avoir été de cette terre, cela semble irrévocable. »

 

 Cette fois, à la fois éphémère, éternelle et irrévocable, c’est à chaque fois la première fois, la première fois du commencement du monde. En écho, c’est ce que nous rappelle en cette période axiale[5], ces versets duTao :

 

« Trente rayons convergent au moyeu

mais c'est le vide médian

qui fait marcher le char.

On façonne l'argile pour en faire des vases,

mais c'est du vide interne

que dépend leur usage.

 

Une maison est percée de portes et de fenêtres,

c'est encore le vide

qui permet l'habitat.

 

L'Être donne des possibilités,

c'est par le Non-Être qu'on les utilise »

 

Dans leur silencieuse proximité, les choses déploient un espace qui leur est propre et qui nous donne la conviction que c’est par le faible et le menu que le grand s’accomplit.  

 

Celle qui donne forme au vide est elle-même habitée par l’absence, par la place vide laissée par l’objet perdu, par la mère, trou angoissant et rebelle au symbolique, irréductible à l’ordre du langage. Lacan après Freud l’appelle la Chose, la chose inapprivoisable qui échappe à la représentation qui rappelle la chose en soi de Kant, zone interdite qui ne peut être approchée que par soustraction[6].  Mais ce rien, cette lacune, ce creux, ce trou est dynamique et créatif de sorte que l’on pourrait reprendre et traduire ainsi la parole célèbre de Freud[7] : Là où était la Chose le « je » doit advenir. Paul Valéry pouvait dire aussi : « Angoisse mon véritable métier ». C’est dans ce trou qui ne s’atteint que dans le désespoir absolu que le sujet peut venir loger son être de désir et devenir créatif : nous avons l’art pour ne pas sombrer en vérité[8].

 

 Et en effet sans angoisse, sans ce métier véritable qu’est l’angoisse, pas de création : pas de paroles mais des bavardages ou un système computationnel binaire ignorant le signe Ø qui ne peut que le gripper et l’éteindre alors qu’il pourrait l’embraser mais aussi pas d’œuvre ouverte sur le monde mais des produits[9] : être aujourd’hui c’est être remplaçable[10]. Et c’est à partir de ce qui a lieu dans l’œuvre et dans l’œuvre d’art, que, au moment où s’abolit le proche comme le lointain[11], l’on peut seulement redécouvrir la chose dans sa plus essentielle proximité.

 

Fragile et douce œuvre de terre au centre vide que nous dit-elle en sa proximité ?

 

L’univers a été créé à partir du rien, Dieu a tout fait de rien, avec le rien, ex nihilo, disait la Bible, mais « le rien perce », ajoutait Valéry. L’univers est sorti du vide, d’un vide dynamique et créatif nous dit le Tao. Et il y retourne. Pétris d'argile le vide nous a été insufflé pour lui donner vie.

 

Finalement n’est-elle pas ainsi prise et éprise celle qui, des choses, dès son plus jeune âge, prit le parti ?

 

L’Orient tout entier dans un simple bol

Fils de rien et promis à rien, nous n’aurions que quelques gestes à faire et quelques mots à donner.[1]

René Char.

À Maud

C’est sur le cas d’un des beaux arts, celui de la poterie, celui d’une céramique dont la tradition nous vient d’Orient et que l’on appelle le raku[2], que nous voudrions illustrer de façon exemplaire, rendre manifeste et faire resplendir ce que nous autres Européens entendons lorsque nous rencontrons le monde singulier et le mode de pensée que nous appelons oriental, qui trouve effectivement sa finalité pratique dans les activités et les choses les plus modiques de la vie de tous les jours[3].

La poterie d’abord n’est pas un art secondaire, un art parmi d’autres, mais sans doute l’art qui nous met en présence du geste artistique le plus ancien, le plus originel, le plus archaïque, le plus élémentaire : celui qui consiste à refaire de ses mains l’antre nourricier, la matrice protectrice qui nous a donné naissance. La poterie : l’origine de l’art, l’art natif du jour natal, l’art du commencement du monde.  Voilà qui explique peut-être que, depuis le néolithique, les quelques rares potiers ne font que confirmer la règle la plus fréquente qui assigne le plus souvent aux femmes l’exercice d’un tel métier.

Pour bien comprendre le secret de ce genre de poterie il faut en outre, me semble-t-il, se reporter plus de 26 siècles en arrière et revenir à la pensée taoïste telle qu’elle s’exprime dans le Tao tö king, dans le livre (king) de la voie (Tao) et de la vertu (Te) attribué à Lao Tseu, mot à mot, au « vieil enfant », à ce personnage plus ou moins légendaire que l’on imagine traversant la vie, insouciant, émerveillé et rieur.

Le verset, celui du § 11 de ce livre, cite et met justement la poterie en honneur.  Le Tao, le cheminement qui abrite en silence, dit Heidegger, le secret du dire pensif, c’est plus proprement la Voie, la nature,  le réel en totalité et en perpétuel devenir, le chemin qui ne mène nulle part et qu’il faut suivre sous peine de vivre dans la désharmonie, l’errance et l’affliction, sous peine de tomber dans tous les pièges tendus par les caprices de l’ego. Mais sans le vide, lieu des mutations entre les pleins, il n’y aurait pas de devenir, de même que sans le blanc entre les mots il n’y aurait pas de sens[4] et que sans le « vide », l‘apparent «non-être», il n’y aurait rien et, en particulier, pas de poterie. Nous savons que ces traductions du chinois et du japonais sont bien aventureuses : la vacuité bouddhique n’a rien à voir avec le nihilisme occidental, le vide n’est pas le zéro, l’ouk on de la négation, le rien n’est pas l’effrayant rien du tout. Il est plutôt le rien de tout et, en tant que tel, « le visage de l’être tel qu’il brille par son absence en tout étant » écrit Pascal David[5] de sorte que le vœu de Flaubert, écrire un livre sur rien, pourrait, en en détournant le sens, être celui de tout artiste. Le Ne-ant, le ne-ens, rappelons le, c’est le non-étant, le mè on de la privation, « une sorte d’indétermination absolue qui contient en elle la détermination concrète sous toutes ses formes » écrit le traducteur dans un repentir[6] et comme embarrassé de traduire le caractère wou par « Néant ». Nishitani, le fondateur de l’école de Kyôto, est le premier à avoir risqué de lancer une passerelle entre Orient et Occident, rapprochement qui supposait d’abord de penser hors du paradigme occidental marqué par le dualisme cartésien, la logique binaire[7] et l’espace homogène newtonien. Ses successeurs ont tout naturellement amorcé un dialogue avec Heidegger, le philosophe occidental le plus lu au Japon[8]. C’est dans le pays d’Hiroshima et de Nagasaki que peut retentir mieux que partout ailleurs la parole du penseur : La bombe atomique a déjà explosé dans le cogito cartésien, i.e. dans cette manière qu’a eu Descartes de dresser la seigneurie du sujet pensant face à un nature entièrement surmontée.

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Mais les images sont toujours ici plus parlantes que la langue des concepts et, de même que c’est par son creux et son évidement que le pot peut avoir contenance ou que la cloche peut sonner, le « sermon visuel » du peintre Hakuin Ekaku (XVIIIe) : « aveugles traversant un pont » témoigne aussi, à sa manière, d’un art du vide. Mais ce pont débouche-t-il vraiment sur le vide catastrophique[9], comme dans le tableau de Bruegel et comme ces acrobates terrorisés se l’imaginent ? Ces humains réduits à la silhouette de menus insectes

erratiques avançent par une persévérance absurde sur ce qu’ils imaginent être la Voie et le dessin pointe leur erreur mais ils dessinent en même temps de souples et élégantes figures qui dansent au dessus du vide donnant un autre sens à la Voie. C'est le pinceau du moine qui leur confère cette grâce en les absolvant de leur erreur. Evacuées la peur du néant et l'ambition d'atteindre un but, ils seraient libres danseurs, ouverts à la vacuité du réel. Ils rappelleraient alors le danseur de corde dans la parabole qui ouvre le Zarathoustra de Nietzsche et la ligne tendue par Rimbaud d’étoile en étoile pour y danser. N’est-ce pas ainsi que, toujours, du vide et de l’impermanence des choses, peut surgit la beauté ? Voilà ce que semble en effet nous dire, en souriant, le peintre Hakuin, réformateur de l’école bouddhiste rinzaï.

Pour ce mode de pensée qui, comme on le pressent, est beaucoup plus que l’expression d’un art de vivre, celui qui nous enjoindrait simplement de nous adapter aux changements, et pour le dire dans une langue cette fois-ci plus spéculative, et, comme telle, toujours suspecte, le vide est d’abord pour le taoïsme le fondement et la racine de toute chose. On l’appelle aussi le tao d’origine, la mère du monde, la matrice d’où émane l’Un, le souffle primordial, le Qi qui engendre à son tour les deux souffles vitaux du Yin (ombre) et du Yang (lumière) dont l’interaction régit les changements incessants qui font l’impermanence du monde et de toutes choses. Le vide est ainsi au cœur de la substance et de la mutation des choses[10].

« Trente rayons convergent au moyeu

mais c'est le vide médian

qui fait marcher le char.

On façonne l'argile pour en faire des vases,

mais c'est du vide interne

que dépend leur usage.

 

Une maison est percée de portes et de fenêtres,

c'est encore le vide,

qui permet l'habitat.

 

L'Être donne des possibilités,

c'est par le Non-Être qu'on les utilise »[11]

Arrêtons-nous d’abord sur le vide médian qui est dit mouvoir toute chose. Ce milieu est proprement le site que l’homme habite et ce site est l’unité originaire de l’espace et du temps dans leur réciprocité[12]. C’est « ici et maintenant » et c’est à même la moindre chose que le monde se déploie dans un jeu de contrastes qui n’est pas sans évoquer la pensée d’Héraclite[13] dans la mesure où les termes opposés se répondent les uns aux autres. Il faut par conséquent éviter de figer et d’opposer dans un tragique face à face ou dans une opposition stérile, le ciel et la terre, la vie et la mort, le proche et le lointain, le féminin et le masculin, le bien et le mal… comme nous le faisons en magnifiant la rupture, la Krisis qui sépare à jamais.  Nous obéissons alors à la logique occidentale qui stipule, selon le texte d’Aristote, que A et non A ne peuvent pas être vrais en même temps ce qui est une façon de toujours privilégier la disjonction et la tragédie. C’est ainsi, par exemple,  qu’au face à face du « duel » et à la « montée aux extrêmes » théorisés par le général prussien Clausewitz, s’opposent les principes d’une stratégie proprement taoïste, celle de l’efficacité du non-agir, celle du stratège et général Sun tzu. Cinq siècles avant JC,  au temps de Périclès et des stratèges athéniens, il avait défini un Art de la guerre qui imprégna profondément la pensée militaire d’un  Mao Zedong qui n’hésitera pas à procéder à bien d’autres frauduleuses récupérations. « L’art suprême de la guerre, c’est soumettre l’ennemi sans combat », écrit-il, car la guerre est une affaire d’esprit beaucoup plus qu’un affrontement de forces. Ce que le « surfer », rusant avec la déferlante de la vague, sait aussi à sa manière, ce que connaissent également tous les judoka cherchant à déséquilibrer en souplesse leur adversaire afin de le mettre hors de combat.

L’exemple le plus topique du contraste et de la réciprocité des contraires est certainement celui de la respiration que l’Orient bouddhiste, aussi bien que l’Orient des Véda (d’où sont issus les Upanishad) et celui du Yoga, à l’époque que Karl Jaspers appelle la « période axiale » (6e siècle A.C), a posé au fondement de toutes les techniques de relaxation. Privilégier la respiration, c’est-à-dire l’alternance d’inspiration et d’expiration, c’est priver de toute signification l’idée même de commencement et de fin. En attirant l’attention sur le renouvellement continu  du dedans par le dehors qu’effectue justement la respiration si toutefois l’on expire profond et ne garde rien pour soi, l’Orient est parvenu à dédramatiser ou à relativiser la mort, nous dit François Jullien. Si le milieu, le vide médian, l’entre-deux, a la préséance sur les bords, s’il prime sur les extrémités,  alors la vie ne peut plus être considérée comme un parcours, comme une traversée qui va de la naissance à la mort. La vie est en effet une continuité, un processus de mûrissement qui nous permet de cueillir les fruits de toutes nos saisons, elle n’a pas de sens, elle n’a ni signification ni orientation unidirectionnelle.  Cette façon de voir ne donne aucune prise à la nost-algie (mal du retour) et aux états d’âme mélancoliques dans lesquels se complaisent trop souvent les Occidentaux, elle nous ouvre au contraire à une merveilleuse vacuité où, sans but et sans hâte, ne forçant jamais rien, nous avons loisir de tout développer : « il n’y a pas de chemin vers le bonheur, le bonheur c’est le chemin ». 

Il en va de même du proche et du lointain : aux sources de la terre répondent les nuages du ciel et à l’extrême lointain, le Tao qui ne cesse de s’étendre, fait retour dans un recommencement sans fin, un jeu ininterrompu, une alternance en quelque sorte de big bang et de big crush, l’être et le non être étant l’envers et l’endroit l’un de l’autre. Il y a donc une proximité du lointain comme un éloignement du proche et un simple bol peut atteindre aux confins de l’univers comme nous l’écrivit un jour le plasticien Jacques Bruel. « Supprimer les distances tue »  disait aussi René Char et cela tue aussi bien le proche que le lointain[14].

Mais en troisième lieu, ce vase, cette cruche, ce bol ne sont pas à proprement parler des « objets ».

Leurs normes exclusives de fonctionnalité, d' « ustensilité » (utilité, mensurabilité, efficience, efficacité) font disparaître les objets pour la main qui les prend (14) ([1] L’être sous la main c’est le Zuhandenes car c’est la main qui ouvre originellement l’environnement et l’éprouve dans son ustensilité en deçà de toute objectivation. Ëtre et temps, Gall., p. 105. C’est aussi la main qui, dans l’écriture manuscrite, reçoit le don de la pensée avant que le langage ne se dégrade,  désenchanté,  pour devenir, grâce au bien nommé « digital » i.e. au « numérique », un simple moyen de communication, un instrument de l’information. Les doigts qui comptent, les doigts qui calculent sont en effet ceux aussi qui frappent la machine ou l’ordinateur. La pensée pourtant est « un travail manuel » écrit Heidegger dans Was heisst Denken qui ne connaît pas le dessèchement de l’âme et la dévastation du monde.  Byung Chul Han qui le cite ajoute « L’intelligence artificielle ne pense pas parce qu’elle n’a pas de main ». La fin des choses, Actes Sud 2021, p. 101.). Ils ont accompli simplement leur finalité et l’on peut aujourd’hui acheter des fonctionnalités (une voiture de location par exemple) sans devenir propriétaire de l’objet.  Comme dans son abstraction si sèche le mot l’indique, en français aussi bien qu’en allemand (Gegenstand), l’ob-jet est ce qui est jeté « devant » le sujet, relatif à lui, il est ce qui se tient (stand, stehen), ce qui existe dans un face à face (gegen) par rapport à un sujet, celui qui les a conçus ou formatés[15]. L’objet, satellite du sujet, ne renvoie donc qu'à nous-mêmes et qu'à nos désirs insatiables. L’objet ne correspond à rien dans notre expérience dans la mesure où il n'ouvre sur aucun monde et ne dévoile plus rien. Il n’en va pas de même des « choses » dont nous sommes d’abord entourés, celles dont nous prenons soin, dont nous avons souci (Sorge) et dont il serait peut-être bon de prendre enfin… le parti.

Ces choses sont sans doute elles aussi utiles à notre pratique, à notre praxis, elles renvoient à autre chose qu’elles-mêmes et les Grecs d’ailleurs les appelaient ta pragmata, mais elles n’épuisent pas leur être dans l'usage que nous faisons d'elles. Un passage célèbre, souvent cité, de Tchouang-tseu[16], celui qui, assoupi, rêvait d’être papillon sans savoir si ce n’était pas plutôt le papillon qui était en train de rêver qu’il était Tchouang-tseu, distingue ceux qui voient l’utilité de l’utilité et ceux qui voient l’utilité de l’inutilité. Alors que le métier ne produit ce qu’il fabrique que pour le confier généralement à l’usage et à l’usure, l’artiste, au contraire,  fait œuvre, il façonne une chose qui peut être belle et qui n’a d’autre destination que d’être, surtout lorsque, justement, on ne peut rien en faire. Mais, disait déjà Balzac dans Beatrix, aujourd’hui, nous n’avons plus d’œuvres, nous n’avons que des produits…

De ce que l’on ne peut rien en faire, l’inutilité tire pourtant sa grandeur propre et sa puissance durable. Si, d’une façon générale, de l’art comme de la philosophie « on ne peut rien en faire » c’est, dit Heidegger, parce que ce sont elles qui font vraiment quelque chose de nous si tant est que l’on s’engage vraiment en eux[17]. Et puis, demandait Lessing aux philosophes utilitaristes : à quoi sert l’utilité ? Si tout doit servir pour avoir de la valeur, alors l’utilité devient  une fin en soi et tout prend le statut de moyen, tout doit servir et plus rien n’a de valeur en soi-même. Tristesse de la venue d’un nihilisme utilitaire qu’Hannah Arendt résumait ainsi : « l’utilité instaurée comme sens engendre le non-sens ».

Si nous partions des mots et de leur étymologie pour mieux parler des choses, ils pourraient peut-être nous aider à les dire et à les voir. Les « choses » sont d’abord ce qui met le monde en « cause ». Aucun jeu de mot dans ce rapprochement. Le mot chose en français, comme le terme cosa, en langues romanes, vient du causa latin, la cause, le cas, l’affaire en cause. C’est elle qui nous touche, qui nous concerne mais, comme l’Ereignis (événement appropriant) elle nous touche de façon inapparente, modique, gering en allemand, mot dans lequel Heidegger entend le Ring, l’anneau qui rassemble (ge), soit la ronde du ciel et de la terre, des divins et des mortels, ce qui délimite pour nous le monde et nous recueille dans notre finitude : die Dinge be-dingen die Sterblichen[18], les choses pourvoient au déploiement de notre être fini qui s’accompagne d’un renoncement à la prétention démesurée de la subjectivité inconditionnée à arraisonner le monde. C’est avec elle que la modernité, dans sa prétention, s’est tragiquement ouverte. Ce mot causa a été lui-même supplanté par le mot res, rem à l’accusatif, qui signifiait « chose » en ancien français, puis « nulle chose » et puis « rien » en raison de son emploi très fréquent en phrase négative.

 Or c’est justement ce « rien » qui nous requiert devant ces œuvres silencieuses à l’élégance si tenue, si retenue, si sensible, si discrète, si douce, si délicate et qui ressemblent tant à la potière. Ces choses de rien, ces choses minuscules et si modestes en leur grande simplicité nous prodiguent justement ce que Rilke en son ouvrage sur Rodin[19] appelait «  le grand apaisement des choses poussées vers rien », ce goût d’absolu que les peintures silencieuses d’un Morandi, par exemple, cherchent inlassablement dans le presque rien.

Ces choses ce sont d’abord ici des bols, des pots, des vases, des pichets, des saladiers parfois des théières. Et ces choses ont bien des caractères en commun.

Elles ont d’abord en commun d’être creuses, façonnées autour d'un vide matriciel, autour d’un trou, d’une lacune qui donne contenance, et la contenance dans notre langue, est précisément ce qui donne stature et tenue.  Dans ce vide, l’âme même de l’œuvre s’y concentre comme en un abri et une ressource silencieuse et muette. Georges Braque qui peignit tant de bols l'avait très justement exprimé en nous proposant cette analogie : « Le vase donne une forme au vide comme la musique au silence ».

 

Bel aphorisme qui fait bien évidement écho à ce poème de Francis Ponge, l’auteur du recueil : Le parti pris des choses :

 

« Pas d’autre mot qui sonne comme cruche. Grâce à cet U qui s’ouvre en son milieu, cruche est plus creux que creux et l’est à sa façon. C’est un creux entouré d’une terre fragile : rugueuse et fêlable à merci.

Cruche d’abord et vide et le plus tôt possible vide encore.

Cruche vide et sonore. 

Cruche d’abord et vide et s’emplit en chantant.

De si haut que l’eau s’y précipite, cruche d’abord et vide et s’emplit en chantant »[20].

"Ce qui fait du vase une chose ne réside aucunement dans la matière qui le constitue mais dans le vide qui contient" écrit Heidegger, dans l’article intitulé justement La chose[21]. Ces choses qui enveloppent un rien en leur creuse blancheur, résonnent pourtant de toute l’ampleur du monde et au presque rien de la chose Heidegger laisse dire ce qui nous embrasse dans notre finitude d’être mortel. La terre fragile « rugueuse et fêlable à merci », renvoie ainsi à l’eau du ciel qui l’emplit et au jeu du monde qui  porte secrètement l’être des choses. Personne plus que Rilke dans la neuvième élégie n’a su dire d’une façon aussi intense et déchirante le miracle que peut constituer une telle présence à la fois éphémère, éternelle et irrévocable. Elle contraste avec la sérialité  monotone  de l’objet industriel. A chaque fois, écrit-il, c’est la première fois, la première fois du commencement du monde, le miracle d’un éveil instantané, le cœur de l’éternel.

«  Une fois chaque chose, seulement une fois.

Une fois et jamais plus. Et nous aussi

une fois. Jamais plus.

Mais ceci, avoir été une fois - même si ce ne fut qu'une fois -

avoir été de cette terre, cela semble irrévocable. »[22]

 

Pour suivre la Voie, pour agir en étant en accord avec elle, pour avoir une Longue Vie en évitant la hâte et le stress, pour tout bonnement ne pas faire le jeu de la mort, la méthode adéquate est celle de l’efficacité du non-agir. « Agir » en effet c’est bien souvent être en perpétuelle rupture avec la nature et la nature, elle, n’agit pas, elle est pure spontanéité, elle ne prémédite rien, elle ne pilote rien, elle est sans but et ne va nulle part. Nous sommes ici aux antipodes de la pensée occidentale pour laquelle l’homme, homo faber suprêmement actif, doit devenir, comme maître et possesseur de la nature en lui imposant sa volonté. On sait que Descartes annonçait ainsi, dans la sixième partie du Discours, la venue d’une philosophie qui ne serait plus seulement spéculative, mais il ne faisait finalement que s’inscrire dans une longue tradition et que répondre à un commandement venue du plus profond de l’ancien testament, commandement totalement inaudible pour la pensée orientale : tu domineras la terre et tu la soumettras.

Et le fait est que la science occidentale a modélisé la nature et l’a réduite à n’être qu’un ordre intelligible. La nature parle en langage mathématique, disait Galilée, et les caractères avec lesquels le grand livre de l’univers est écrit sont des triangles, des cercles et d’autres formes géométriques. Toute ma physique n’est que géométrie, disait de son côté Descartes, dont la physique, toute fantaisiste qu’elle soit, était pourtant philosophiquement réussie puisqu’elle reposait sur la réduction métaphysique de la nature à la substance étendue et au mouvement. Mais ces formes géométriques régulières, ces formes symétriques sont privées de toute spontanéité, elles appartiennent, disent les Hindous, au voile de maya, à l’ordre de la mesure qui est celui de l’illusion et de la convention[23], elles restent à l’écart de la vraie naturalité qui est celle de l’écoulement intemporel et paisible du Tao. Celui-ci, parce qu’il est fluide, totalement insaisissable et que, sans but et dénué de sens, il nous semble inhumain, ne remplit d’effroi que celui qui veut classer, mesurer, saisir et accaparer toute chose. « Le ciel et la terre ne sont pas humains:/Ils traitent tous les êtres comme chiens de paille » est-il écrit au chapitre V du Tao-tö-king sans que cela affecte le moins du monde une sérénité désabusée mais joyeuse.

L’art occidental lui-même est entièrement centré sur l’homme, construit à partir du point de vue d’un sujet qui impose une forme, un ordre ou un style à une matière ou à une nature qui en seraient dépourvues. Le planificateur souverain impose à une matière brute et inerte (hylé) une forme (morphé) visualisée mentalement (c'est le schéma hylémorphique selon Tim Ingold). C’est ce qui apparait typiquement dans un jardin à la française où la nature a été mise sous le joug, entièrement soumise à la liberté d’une volonté, d’un projet, d’une intention. Mutatis mutandis, on pourrait dire la même chose de notre agriculture. Elle est intensive, interventionniste, à haut rendement, elle « shoote » artificiellement une monoculture artificielle sur une terre qui est devenue un désert virtuel, la microbiologie des sols ayant été irréversiblement détruite par la toxicité des intrants.

 

Pour la pensée orientale au contraire, l’homme n’est pas un individu ni un sujet, il est un être d’appartenance, il appartient au monde, il ne le domine pas et, dans l’art pictural chinois, par exemple, il ne fait que s’insérer, minuscule, dans la totalité que forment  terre et ciel, divins et mortels. C'est d’abord la matière que l'on écoute, c’est elle qui vous inspire et qui vous guide et la main n'est plus un simple instrument car c'est elle qui sent, qui dit, qui raconte une histoire et ouvre un monde. L’Orient est femelle, disait Saint-Simon, comme l’Occident est mâle. Cela ne signifie pas que l’Orient ignore le côté ou le versant mâle de la réalité, bien au contraire puisque l’opposition du Yin et du Yang est pour le taoïsme le moyen de toute création ;  mais il donne le privilège au féminin, à la « femelle mystérieuse », au Yin, à ce qui est faible sur ce qui est fort, à ce qui est souple sur ce qui est rigide, à ce qui est  doux sur ce qui est dur, une façon de perturber le cerveau, de briser, par des paradoxes, des koan, les cadres rigides et réifiants de la pensée.  « La faiblesse, dit le Tao-tö-king, est la méthode de la Voie et la nature accomplit toujours le grand par le faible et le menu". Mais la réciproque est vraie et si l’Occident veut rester humain, il lui faudra bien de quelque façon prendre au sérieux ce qu’il y a d’oriental en lui et qui, heureusement, commence enfin à s’éveiller.

Bien longtemps après les origines du taoïsme est née, au Japon, au XVIe  siècle, la technique de la céramique raku. La rencontre d’un potier venu de Corée et d’un grand maître de thé, la rencontre donc d’un homme du peuple et d’un lettré raffiné sachant goûter, avec la légère amertume du thé vert, le sentiment d’un présent indéfiniment durable, en fut l’occasion. Le maître de thé reconnut d’emblée dans les bols rustiques du potier l’esprit de wabi-cha, i.e. la spontanéité et le charme de l’irrégularité caractéristiques du wabi. L’humilité et la simplicité mais aussi la beauté fugace de l’imperfection dont témoigne (wabi) un simple bol peuvent résonner de toute l'ampleur du monde et avoir alors le pouvoir de nous relier directement à la nature : il rassemble le monde et donne figure au vide matriciel.

Toute la technique du raku consiste à être disponible à ce qui vient du dehors, à admettre qu’on ne maîtrise pas tout et  même à suspendre la maîtrise du sujet en provoquant des événements ou des accidents qu’il est impossible de reproduire à l’identique pour deux poteries successives. Cela donne des résultats très aléatoires mais à chaque fois des œuvres uniques et variant à l’infini.  Ce sont par exemple les bols de thé sur les flancs desquels, par l’effet d’une heureuse maladresse, on a laissé couler l’émail  de façon irrégulière.  Mais c’est surtout le choc thermique subi par la pièce qui provoque le tressaillement, l’étoilement de l’émail caractéristique du raku qui rappellent les craquelures des écailles chauffées de tortue dans le tracé capricieux desquelles la divination chinoise du Yi King cherche, depuis 3000 ans, à interpréter, comme sur la tache d’encre éclatée d’un Rorschach, l’énigmatique destin des hommes, et à réduire la tragique incertitude de leurs prises de décisions. La céramique sortie brutalement du four est donc craquelée et tout de suite enfumée, plongée dans une atmosphère carbonée. Alors la glaçure et la pâte réagissent encore en produisant des effets de surface lustrés tout à fait singuliers.

On pourrait  à ce sujet inverser la célèbre formule de Freud Wo es war soll ich werden[24] et écrire : Wo ich war soll es werden puisqu’une telle technique permet au sujet de lâcher prise, d’écarter le « moi », d'ébranler l’ « ego » et de laisser « ça » agir.  Et le « ça », avec le raku pourrait être la rencontre et l’histoire de la terre, de celles du feu et de l’eau, ou bien le jeu de la terre et de l’émail. La technique alors, loin de se réduire à un simple procédé, pourrait être le principe générateur de l’œuvre.

 

Il y a évidemment du style dans une telle céramique mais le style, bien loin d’être indiscret et de s’affirmer comme tel, reste inapparent, imperceptible, insoupçonnable. Il en va en art comme il en est dans la méditation : on reste dans la quiétude, on s’installe dans le rien, jamais on n’ajoute (du savoir, de la vertu…), toujours on retranche (les idées reçues, les désirs encombrants…), on ne cherche pas à gagner mais à perdre, on va vers la pauvreté, vers une pureté et une austérité comme, en Occident, le poverello d’Assise nous l’a enseigné : heureux les pauvres en esprit, heureux ceux qui ont le cœur pur, heureux ceux qui ont fait le vide de toutes choses et ont tout quitté. En étant absolument rien, n’ont-ils pas fait l’expérience du tout ? Il y a bien pourtant ici création mais comme dans la kabbale d’Isaac Louria, le créateur s’est, selon toute apparence, retiré et anéanti dans la création, il a fait le vide, l’artiste s’est effacé dans son œuvre, il n’est présent que par son absence et cette fois, c’est l’art qui cache l’art ainsi qu’Ingres le préconisait.  Alors seulement, comme dans un jardin zen, le comble de l’artificiel coïncide avec le comble du naturel.

C’est aussi dans la sphère proprement éthique que la pensée asiatique de la Voie a cherché à échapper à cette prétendue « volonté » exaltée par l’Occident, faculté qui, dans la morale, semble réprimer et réduire en servitude tout ce qu’il y a en nous le plus vivant. Mais  la « volonté » n’a t-elle jamais été qu’une fiction, qu’un fantasme sans réalité ? Le pilote en son navire, pour reprendre la métaphore de Descartes,  n’est bon marin que parce qu’il sait que c’est uniquement le vent qui fait avancer le navire et qu’il doit d’abord savoir lire les vents pour les infléchir et ruser avec eux afin de louvoyer et d’arriver au port. Pendant des siècles les morales traditionnelles de l’Occident ont été des morales ascétiques du ressentiment, solidaires d’un dualisme opposant, dans l’arène de la psyché, la raison à la chair et aux passions et demandant aux hommes de mater les désirs ou de réprimer les pulsions. « La morale (a) fait (ainsi) de nous des êtres peureux et timides, réguliers et corrects, des bêtes de troupeaux », écrivait Nietzsche, dénonçant le destin de mort -le nihilisme- qui, avec platonisme et christianisme s’est abattu sur l’Occident. Mais celui qui pense le plus profond aime le plus vivant, disait Hölderlin.  Et quoi de plus vivant en nous que l’éros qui n’a jamais été battu au combat, quoi de plus fougueux que le désir vivifiant, que le conatus qui nous fonde et qui, loin de procéder du manque et de l’indigence, ne fait qu’un avec le sentiment de force et de puissance d’où provient toute générosité. Celle-ci est elle-même surabondance et force, comme le soulignait encore Nietzsche[25]. Mais au lieu d’écouter ce désir unifiant qui, disait Spinoza, fait notre essence, au lieu de faire confiance à la « grande raison du corps » (Nietzsche) et d’orienter la vie désirante dans le sens de la joie et d’une direction ascendante et généreuse, le christianisme n’a su proposer à ses fidèles que brimades et mortifications de la chair comme s’il fallait abaisser le corps pour élever l’esprit alors que l’élévation de l’un ne va pas sans l’élévation de l’autre, l’augmentation de la puissance d’agir du corps accompagnant toujours la puissance de penser de l’âme. On voit que le wou wei n’est pas le déchaînement sans frein du laisser aller mais au contraire que celui-ci -le laisser faire éthique- n’est que le résultat d’un pernicieux, d’un toxique retour du refoulé, comme Nietzsche l’avait pronostiqué : « Le christianisme a empoisonné Eros, il n’en est pas mort, mais il est devenu vicieux[26] ». Victimes du refoulement, les pulsions qui font retour reviennent comme des bêtes irrationnelles, incoercibles et monstrueuses, incapables de se conduire d’elles-mêmes et à nouveau sommées de se soumettre à la répression, au contrôle, à la domestication, aux efforts surhumains d’une « volonté » qui fait pourtant à chaque fois l’expérience de son impuissance.

 

« Je suis maître de  moi comme de l’univers, je le suis, je veux l’être, ô siècles, ô mémoire ! » proclame le Cinna de Corneille. Le fantasme d’une volonté despotique dont l’empire absolu s’élèverait fièrement au dessus de l’animalité en nous et hors de nous, voilà justement ce que la pensée orientale du wou wei récuse, comme elle récuse la séparation et la soi-disant hiérarchie qui, de l’animal, nous mènerait jusqu’à l’homme. Reconquérir au contraire le silence originel dont nous nous sommes écartés dès notre plus jeune âge, retrouver la quiétude animale d’avant le langage, tel est le vœu d’une pensée qui ne se laisse pas aveugler par la démesure et l’excès d’intellectualité dont l’Occident a souffert depuis toujours. Il est merveilleusement résumé dans le conseil que nous donna, en son temps (17eme), Sir Thomas Browne : « nage calmement dans le courant de ta propre nature et agis comme un seul homme[27] ».  Ou encore, pour tenter de se régler sur un modèle absolument autre mais nullement inférieur, celui de l’animal : comme le sage zen, approche-toi au plus près de l’énigme et du secret du vivant, approche-toi de ton chat, de celui qui échappe radicalement à ta prise et à ta compréhension et qui jamais ne se laissera affaiblir ni domestiquer.

Le raku s’inscrit lui aussi dans la tradition du wou wei et il n’est lui aussi rien d’autre que cela : la rencontre de l’art le plus raffiné et des obscurs et imprévisibles pouvoirs de métamorphoses de la matière, l’accouplement de l’homme et de la terre salvatrice qui vous rebranche à l’essentiel et reconduit  l’œil et la main au vent, au fleuve, aux nuages, au cratère et aux flammes, aux quatre éléments appelés ici à se conjoindre. La  terre a été puisée avec respect, sensuellement caressée, charnellement malaxée, pressée, modelée avant que la pièce crue soit passée au four et soudainement plongée dans le froid et le sec afin que les tensions de la terre en viennent presque à se rompre. C’est ainsi que dans ce qui est pourtant œuvré peut advenir la convergence et la réconciliation d’ondes adverses avec lesquelles se résolvent et s’apaisent les contraires.  C’est le sentiment que donnent les œuvres vibrantes, à la fois si douces, raffinées et si âpres et si barbares de l’ouvrière qui, dans cet art du feu et cette sorte d’ « alchimie du quotidien »[28] n’a jamais cessé de s’ouvrir à l’impossible. Mais que de temps, de patience, d’efforts et de difficultés pour atteindre la simplicité et le laisser-être[29], aux prises avec les paradoxes et avec l’aporie récurrente de tous les exercices spirituels : non seulement on ne cherche jamais que ce que l’on a déjà trouvé, mais celui qui regarde trop où il va et qui le cherche, le perd[30] ! Ne saisissez pas ! Ne cherchez pas ! A chaque cuisson, comme devant la combinaison inattendue d’un coup de dés, c’est la surprise devant la chance, devant l’échéance, devant les nouvelles possibilités réalisées, rappel par delà les millénaires traversés, de l’antique adage : celui qui se livre au Tao, rien ne lui est impossible dès qu'il pratique le non-agir ou wou wei. A chaque cuisson, c’est la surprise et parfois l’émerveillement selon que l’augure a été bon ou mauvais.

Il n’y a peut-être pas de meilleur analogon matériel de l’infinie précarité du vivre et du vivant que ces bols de  raku qui, de toutes leurs craquelures exhibent, mettent en avant leur splendide et éclatante fragilité. Elle ne s’impose pas mais ainsi qu’on le dit, elle s’expose.

Mais bien sûr, c’est toutes les poteries qui sont fragiles, qui sont passibles non seulement de chutes, de bris accidentels mais, lorsque lignes de faille et fêlures internes à une terre trop poreuse s’élargissent, de craquelures, d’éclatement, de cassures annonçant les prémisses d’une rupture à venir[31]. De même à tout moment, la vie, tout d’un coup, peut se fracasser et  nous être ainsi ôtée.

Face au péril, l’Occident a généralement choisi le déni et la fuite, il a partout passé en force et s’est lancé dans une quête incessante de perfection cherchant à nous immuniser contre l’adversité, à « augmenter » les facultés humaines jugées trop limitées, trop déficientes, trop vulnérables. « Les blessures de l’Esprit guérissent sans laisser de cicatrice » écrivait Hegel[32]. Le fantasme occidental de maîtrise et de toute puissance instrumentalise ici le négatif jusqu’à l’épuiser, jusqu’à à l’effacer, dans la triomphale plénitude qui conclut le procès de la réconciliation absolue. L’idéologie aujourd’hui dominante de la flexibilité et de la résilience est une autre façon de nier la mort, de rappeler qu’ « il faut s’adapter » ou de refuser, dans un rebond, de se briser.

Mais il y a pourtant des blessures dont on ne se remet pas, une vulnérabilité contre laquelle nulle forteresse ne peut nous protéger, une enfance dont on ne guérit pas, des pertes dont on ne fait jamais son deuil si bien, que pour l’essentiel, nous sommes les fruits de nos propre blessures.

. « Oubliez la perfection.  Il y a une fêlure en toutes choses. Et c’est à travers elle que passe la lumière », chante aujourd’hui Léonard Cohen comme en écho à cet adage ou  ce mantra bouddhiste : « Notre cœur peut devenir fort à l’endroit de la coupure » et l’on ne construit jamais rien qu’à partir de ce qui a cédé, qui a cassé, qui est entré en crise. En 1878 Nietzsche écrivait : la santé d’un individu ou d’une communauté suppose toujours la blessure, la mutilation ou la faille de la maladie car c’est par cette lésion que s’introduit « l’infection du nouveau[1] ». Le « génie du cœur », poursuivait-il  rend chacun « plus incertain, plus tendre, plus fragile, plus brisé[2] ».

 

[1] Humain trop humain  § 224, cité par B. Ziegler, op. cit, p. 332.

[2] Par delà Bien et mal, § 295.

Alors, faisons comme dans la technique japonaise du kintsugi, coulons un filet d’or dans la fêlure du bol qui s’est brisé[33] et, disait Tchékhov,  réparons les vivants en rehaussant d’or leurs cicatrices sans les faire disparaître. Une façon à la fois de conjurer et de magnifier les blessures, les fêlures, les fractures au lieu de les occulter, de les dissimuler, de les cacher, de les faire oublier. Réparer plutôt que maîtriser en faisant éclater la beauté jusque dans l’imperfection, la fugacité et l’impermanence.

Plutôt que de tenter de retrouver une impossible perfection, une improbable intégrité, plutôt que de dissimuler  défauts, failles, fissures, fentes, déchirures affronter, assumer l’absoluité de notre insubstituable finitude qui seule nous élève et nous grandit. C’est peut-être à cela aussi que nous convient ces techniques venues du Japon.

Le nom de raku que l’on traduit souvent par le bonheur dans le hasard nous le rappelle : l’heur, le bon-heur (bon-augurium) ici aussi, s’il se prépare, est essentiellement, un bonheur de rencontre que l’on ne recherche ni ne convoite et qui ne dépend pas de nous. Quand on est disponible à l’émerveillement et lorsque enfin cela arrive, cela s’appelle un événement, un événement qui relance la vie et la sort de l’enlisement, un événement qui se suffit à lui-même et n’a pas besoin de se justifier : quand je danse, je danse, écrivait Montaigne, le plus taoïste de nos écrivains[34]. Quand je travaille et tourne la terre en me concentrant sur cette activité manuelle, je travaille et je tourne la terre… pourrait dire la potière, coupant court à tous nos discours. Et, à l’évidence, se confier ainsi, dans le non-vouloir, à la vie sans but et au monde comme il va, cela suffit[35].

 

[1] La nuit talismatique, Pléiade, 1983, p. 496.

[2] Cf., Bernard Leach, Le livre du potier. Ed. La revue de la céramique et du verre, 2003.

[3] Comme une antidote ou un contre-point à la hâte, frénésie, affolement, crispation, anxiété d’un mode de vie de plus en plus dominé, dans un monde hyper-connecté où tout s’accélère, par la production, la performance, les affaires, le divertissement, les hommes d’Occident, dans une fuite éperdue,  éprouvent toujours plus le besoin de marquer un temps d’arrêt et de revenir à l’essentiel ou à l’initial. D’où le succès populaire rencontré par le taoïsme aussi bien que par cette religion philosophique qu’est, en particulier, le bouddhisme zen venu, lui aussi, de Chine (bouddhisme chan) et le regain d’intérêt que connaissent les arts martiaux, le tai chi, le qi kong, la médecine préventive chinoise, l’acupuncture, les techniques de relaxation, la cérémonie du thé, le raku, la calligraphie, l’art du haïku, de l’arrangement floral, du jardin zen, le tir à l’arc…techniques qui sont comme autant de branches issues de ces modes de pensée auxquels nous avons si longtemps refusé le nom de philosophie sous prétexte que, parlant d’énergie et de souffle vital, 1) ils étaient apparemment dépourvus de langue conceptuelle, 2) n’avaient donc pas connu de véritable rupture avec le monde mythico-religieux comme ce fut le cas de la Grèce au Ve siècle A.C. C’est elle qui inventa ce mode de pensée spécifiquement grec qu’est la philosophie, 3) restaient captifs d’une éducation ésotérique fondée sur l’initiation et  4) éducation visant la libération de l’âme beaucoup plus que la vérité. En prenant acte du caractère proprement européen de la philosophie, Heidegger est le premier, nous semble-t-il, à avoir enfin clarifié les conditions de ce qui pourrait être un dialogue de l’Occident devenu planétaire avec la pensée est-asiatique.

[4] Cf. François Cheng, Vide et plein, Seuil, Points. Cf., aussi L’unique trait de pinceau de Shi t’ao « Propos sur la peinture du moine - Citrouille Amère (1710) trad., Pierre Ryckmans (Simon Leys), Hermann, 1970. Le grand traité sur l’aspect philosophique de la peinture, le rôle primordial de l’unique trait de pinceau, quintessence de la peinture, « origine de toutes choses, racine de tous les phénomènes » et la nécessité de laisser des espaces vides pour ne pas « étouffer le souffle ».

[5] Dictionnaire Heidegger, op. cit., p 1155.

[6] Liou Kia-hway, Philosophes taoïstes, Pléiade, Gall. 1980, p. 636.

[7] Dans son Traité du milieu, au IIe IIIe siècle, le philosophe indien Nãgãrujna s’inspirant de logiciens antérieurs et ouvrant ainsi la voie à nos logiques possibilistes, revient sur la voie moyenne des bouddhistes qui permet de se libérer du principe de contradiction, de soutenir une chose et son contraire et d’affirmer, comme Frédéric Nef le fait, que le vide existe et qu’il n’existe pas.

[8] Cf. Fabrice Midal, Nishitani, La religion et le rien, cité in Dictionnaire, Heidegger, op. cit., p 677, 735.

[9] La version du Manya’an Collection ne comporte que deux silhouettes et le pont ne débouche pas sur le vide…Prunelle:Users:imacg5:Desktop:Chap. 3 Brueghel and co:variantes du pont:Sur Wiki.png

[10] Est-ce si éloigné du discours biblique ? L’univers a été créé à partir du rien, Dieu a tout fait de rien, avec le rien, ex nihilo, nous dit-il, mais « le rien perce », ajoutait Valéry. L’univers est sorti du vide, d’un vide dynamique et créatif nous dit le Tao. Et il y retourne. Ne sommes-nous pas pétris d'argile comme le dit aussi le mythe mésopotamien, égyptien…  et le vide ne nous a-t-il pas été insufflé pour nous donner vie ? C’est ce qui fait dire à Job, désespéré : « Souviens-toi, je te prie, que tu m’as façonné comme de l’argile, et que tu me feras retourné à la poussière » (Job, 19 :9).

[11] Tao-tö-king. Philosophes taöistes, § 11, Gall., Pléiade, p. 13.

[12] Heidegger GA 75, 43, cité in dictionnaire Heidegger, Cerf, 2013, p. 753. En remettant en cause le primat traditionnel de la conscience, en libérant la pensée de la représentation au profit d'une ouverture plus essentielle au monde, en rendant problématique l’histoire de la métaphysique occidentale en son entier, Heidegger a rendu possible un dialogue avec d'autres traditions, avec L'Orient notamment comme dans le Dialogue avec un Japonais (Acheminement vers la parole, Gall.,1979) dans lequel Heidegger, au lieu de s’approprier l’Orient comme l’ont fait Hegel et Schopenhauer en le ramenant à une détermination que seul l’Occident avait accomplie, se tourne vers lui et se met en position de « questionnant » cherchant ainsi à préserver, en se mettant à l’écoute de sa langue, le site de son originalité propre.

[13] « Dieu est jour et nuit, hiver été, guerre paix, satiété faim ; il se différencie comme [le feu], quand il est mêlé d’aromates, est nommé suivant le parfum de chacun d’eux ». Après sa traduction des fragments d’Héraclite, Marcel Conche a pu tout naturellement proposer une traduction du Tao-tö-king, le livre du « royaume du Milieu », signe qu’il existe bien des passerelles entre les pensées venues des antipodes. La vallée en son ubac et en son adret, la vallée qu’on ne peut ni emplir ni épuiser, est pour le taoïsme la meilleure représentation du vide et nous montre comment le Un peut engendrer le deux.

[14] Pléiade op. cit., p. 767. « Quelle est cette uniformité dans laquelle les choses ne sont ni près, ni loin, et où tout est pour ainsi dire sans distance ? ». Heidegger, Essais et conférences, Gall., p. 195.

[15] Que puis-je savoir à priori de quoi que ce soit = x pour autant que cet x puisse figurer dans notre expérience ? La Critique de la raison pure –l’analytique des principes particulièrement– répond magistralement à cette question en énonçant les conditions de possibilité de l’objectivité, en déterminant le domaine d’ouverture, en traçant l’horizon transcendantal qui est celui de l’ontologie du monde moderne : je sais a priori que cet x doit figurer dans l’espace et le temps, être cause et effet de lui-même etc…. Le réel a été ainsi fixé dans la figure de l’objectivité à partir des propres procédures de vérification et de reproduction d’un sujet pour lequel vérité = certitude. A la limite, dira Max Planck, « est réel ce qu’on peut mesurer ».

[16] Philosophes taoïstes, op.cit., § 1, p. 92, § 26, p. 299.

[17] Introduction à la métaphysique, PUF.

[18] Mot à mot : les choses conditionnent les mortels mais Heidegger écrit be-dingen pour faire ressortir das Ding, la chose. GA 12, 20, cité in Dictionnaire Heidegger, op. cit., p. 244. Cf. aussi, Sébastien Camus, Heidegger, Ellipses, 2017, p. 149 sq.

[19] Notons ce conseil du « bouc sacré » à celui qui fut son secrétaire : « Transformez votre angoisse et recherchez le vide puissant du travail qui est devant chaque page blanche ».

[20] Cinq sapates. Œuvres complètes, tome I. Pléiade.

[21] Essais et conférences, Gall., p. 200

[22] Les Elégies de Duino, aubier, 1943, p. 91.

[23] D’où le rejet total par le taoïsme du confucianisme fondé sur le respect des conventions linguistiques, éthiques, légales et rituelles qui coordonnaient les relations sociales mais aussi sur l’intelligence, l’étude, le savoir, la pensée, tout ce qui, pour le taoïsme, non seulement bride la spontanéité mais toujours divise, scinde, brise l’unité fondamentale du Tao. Il n’y a de véritable apprentissage que celui qui relève d’une « pédagogie négative », celle qui n’intervient pas, dira de même Rousseau. Il faut, pour le taoïsme, non pas progresser dans le savoir mais régresser, redevenir un enfant, non pas apprendre mais désapprendre et oublier, le sage taoïste est fondamentalement sans idée, sans nécessité, sans position, sans moi nous rappelle le sinologue François Jullien, un « homme sans qualité » absolument disponible.  « Le principe du Tao est la spontanéité » (Lao-tseu) et « le Tao, réalité ultime, ne sait pas comment il crée l’univers, les choses simplement se créent mais personne n’en sait l’origine » (Tchouang-tseu). Reste, qu’accomplissant la dialectique du Tao, le chinois est confucéen le jour et, dans le très érotique « Ravin du monde », taoïste la nuit.

[24] Là où était le ça doit être le moi/Là où était le moi doit être le ça.

[25] Contre toute attente c’est chez le penseur de la Volonté de puissance que l’on trouve en Occident la meilleure approche du wou wei : « J’ai trouvé la force là où on ne la cherche pas, chez des hommes simples, doux et obligeants, sans le moindre penchant à la domination et inversement le goût de dominer m’est souvent apparu comme un signe de faiblesse intime ».  Mais « les Allemands croient que la force doit se manifester dans la dureté et la cruauté alors ils se soumettent volontiers et avec admiration…. Ils ne voient pas facilement qu’il puisse y avoir de la force dans la douceur et le silence ». La volonté de puissance, Bianquis, Gall, I  § 161, II, § 162.

[26] Par delà bien et mal, Maximes et interludes, § 168, Bouquin, II, p. 627.

[27] Cité par Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, Mondes sauvages, pour une nouvelle alliance, Cohabiter avec ses fauves, Actes Sud, 2020. Cohabiter avec ses fauves, c’est ainsi que l’auteur interprète  l’éthique diplomatique de Spinoza.

[28] Robert Marteau. Conduire l’acte dans la matière. L’œil ouvert, p. 154, 159.

[29] Gelassenheit mot du mystique rhénan Maître Eckhart repris par Heidegger pour parler d’un non-vouloir étranger au déchainement sans frein d’un  laisser aller ou d’un laisser tomber. En rendant possible, au-delà de la distinction de l’activité et de la passivité, un rapport non-métaphysique à tout ce qui est, cela ouvre en même temps aux Occidentaux un accès à cette dimension d’être que pointent le Tao aussi bien que le Zen. « Ich will nicht wollen » (je veux ne pas vouloir) disait la poétesse Zvetaieva et Heidegger : Alors que nous cherchons ensemble ce que c’est que penser, ce que je veux au juste, en méditant ainsi, c’est ne pas vouloir ». L’idée de volonté est l’obstacle le plus résistant à toute tentative de comprendre le sens original de l’agir humain. Dictionnaire Heidegger, op. cit.,  p. 1392, 37.

[30] Alan Watts, Le bouddhisme zen, pbp, 1978, p.140

[31]  « On peut se briser de soi-même et non par un choc ou une agression venant d’ailleurs », J. L. Chrétien, Fragilité 2017. Cf. aussi, J. L. Nancy, La peau fragile du monde, Galilée, 2021.

[32]Phénoménologie de l’Esprit, trad. Lefebre, Paris, Aubier, 1991, p. 441.

[33] Le kintsugi, littéralement la « jointure en or » consiste à saupoudrer de cendre d’or ou d’argent la laque rouge mélangée de farine et de liant faisant office de colle.

[34] Comme, après tant d’autres, nous l’avons signalé dans notre Montaigne, Du repentir, Actes-Sud, 2001. « Lorsque tu marches contente-toi de marcher, lorsque tu es assis contente-toi d’être assis » l’erreur procède de l’effort fait pour dissocier l’esprit vis-à-vis de lui-même. Alan Watts, op. cit., p.151.

[35] « La confondante réalité des choses 

Est ma découverte de tous les jours

Chaque chose est ce qu’elle est

Et il est difficile d’expliquer à quiconque à quel point

Cela me réjouit,

Et à quel point cela me suffit ».

Pessoa, Gall., Pléiade p. 59

 

 

 

 

 

[1] Comme le dit le mot, en français comme en allemand, l’objet (Gegen-stand) est ce qui est ob-jetés et existe dans un face à face à un sujet qui les a conçus ou formatés.

[2] Sans le blanc entre les mots pas de sens, sans le vide,lieu des mutations entre les pleins, nul chance de devenir le miroir du monde. Cf. François Cheng, Vide et plein, Seuil, Points. Cf., aussi L’unique trait de pinceau de Shi t’ao « Propos sur la peinture du moine Citrouille-Amère »

 

[3] Sein und Zeit, l’étant, l’ustensile tel que nous le rencontrons dans la préoccupation quotidienne.

[4] Das Ding en allemand est issu de l’ancien mot thing qui indique un mouvement de rassemblement, de recueillement de l’assemblée en vue du traitement d’une affaire en cause.

[5] Karl Jaspers visait sous ce nom la Chine du Tao, la Grèce des présocratiques, le Moyen-Orient des prophètes d’Israel, l’Inde des Véda, le mazdéisme de la Perse, six siècles avant J.C.

[6] Kant désigne sous ce nom l’inconnaissable qui est indépendamment de notre représentation.

[7] Wo Es war soll Ich werden.

[8] Nietzsche, Volonté de puissance, t. 2.

[9] « Nous n’avons plus d’œuvre, nous n’avons plus que des produits ». Balzac dans Beatrix.

[10] Heidegger, Questions IV.

[11] « Supprimer la distance tue ». R. Char. Infiniment disponibe et commandable est devenu le monde

 

[1] Là où était le « ça », le « je » doit advenir. Cf. Dialogues de G. Deleuze.

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