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racisme

 

L’universalité du racisme

 

« Je suis nécessairement homme

Je ne suis français que par accident »

Montesquieu

« L’image de l’homme est désormais inséparable

 d’une chambre à gaz ». G. Bataille[1]

 

Voici un petit livre[2] qui pourrait faire grand bruit et cela pour un certain nombre de raisons.

 

C’est d’un sujet particulièrement sensible qu’il traite en faisant l’anatomie et la généalogie[3] du racisme, faute absolument infamante puisqu’elle vise à faire sortir l’Autre de l’humanité et qui a été chez nous, après la dernière guerre, juridiquement criminalisée. Bête immonde dans le ventre fécond de l’Occident, le racisme, à juste titre, colle à la peau de qui s’en est rendu coupable au point de rendre impossible toute tentative de dédiabolisation. On sait que ce terme déchaîne, quand on l’attribue ou quand il vous est attribué, la rage et le déchaînement des passions tristes ce qui rend aujourd’hui l’atmosphère intellectuelle bien souvent irrespirable et compromet, -rend en tout cas difficile- la neutralité de la recherche et l’impartialité de la recension.

 

Car c’est un terrain miné que Jean-Loup Amselle (JLA) investit au moment où, avec le réveil des « subalternes »,  la bataille fait rage autour de ce qu’on a appelé la « fracture coloniale » et où la France est accusée  de racisme d’Etat ou de racisme structurel.  Ces accusations dénoncées par JLA (p.36) autorisent l’opprobre, la vindicte et un débondement de haine à l’égard d’un pays qui se voit tout à coup réduit à son passé esclavagiste et colonial et dont la superbe est impitoyablement rabattue.

 

L’implication étroite de l’auteur porte aux extrêmes la tension du débat. JLA n’a jamais dissimulé d’où il parlait mais ici, en tant que juif et en tant qu’anthropologue africaniste il peut faire jouer à l’égard de son sujet un double rapport, il est à la fois « dans la rue » et « à la fenêtre », il fait une enquête sur lui-même « comme un autre » (p. 17) : le rapport de proximité du juif victime potentielle de l’antisémitisme s’accompagne du rapport distancié qui est celui de l’anthropologue. Connu pour avoir déjà déconstruit l’essentialisme de bien des notions de l’anthropologie coloniale cet africaniste voit dans le racisme dit « intercommunautaire » existant en Afrique -hier au Rwanda comme aujourd’hui dans un Mali « occupé » par les troupes françaises dans lequel Dogons et Peuls s’entretuent (p. 29, 101, sq)-  le retour d’un « refoulé colonial » (p. 117), l’ombre portée de l’approche « scientifique » qui a été mise en œuvre par l’anthropologie physique qui, au XIXe siècle, a fait système avec la colonisation. La grille de lecture des conflits, écrit-il, est restée aujourd’hui encore ethnique et raciale. Cette position cognitive, cette posture singulière expliquent l’acuité et l’intransigeance de regard d’un anthropologue qu’on a dit être « sans concessions ».

 

La thèse soutenue par l’auteur, articulée avec pugnacité et confortée par la charge massive de faits très précisément documentés apparaît comme le puissant point d’orgue d’un long parcours comme si, de livre en livre, l’auteur gauchissait sa position et gagnait en radicalité. On peut la résumer d’un trait : Loin d’être une manifestation immémoriale de rejet et de dénigrement de l’autre, le racisme moderne est né au XIX siècle avec la raciologie (p. 9, 20) et le colonialisme, et lui seul, en est la « matrice » (p. 125). La responsabilité de l’Europe (p. 10) qui lui a donné naissance et qui aujourd’hui encore ne cesse de le nourrir de façon occulte, directe ou indirecte, dans l’Ouest africain par exemple,  est écrasante. Elle doit être enfin analysée et dénoncée en priorité.

 

Cette thèse a immédiatement pour corollaire une autre thèse dont la visée et l’ampleur est aussi radicale et qui peut sembler à bien des égards, nouvelle et même à proprement parler, hors norme, é-norme : il n’y a pas de spécificité de l’antisémitisme. L’antisémitisme est un racisme, une forme de discrimination et d’élimination de masse. Bien que de plus lointaine provenance, il a été forgé et façonné, au même titre que les autres racismes, dans le cadre de l’impérialisme colonial du XIXe siècle. Tel est dans son double versant européen/africain, raison d’être des deux chapitres,  le sens de l’intitulé du livre: L’universalité du racisme.

 

La radicalité d’une telle thèse qui réduit bien des phénomènes différents à la seule réalité du racisme ne va pas sans susciter des interrogations. Nous les rassemblerons sous deux items en nous permettant, dans un premier temps, de  questionner la réduction de bien des conflits au colonialisme ou à son héritage, reductio ad coloniam et, dans un deuxième temps, la réduction de l’antisémitisme à l’identité du seul racisme, reductio ad eadem

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La reductio ad coloniam

Avec le politologue spécialiste de l’Afrique J. F. Bayart[4], JLA est, nous semble t-il, un des premiers anthropologues à avoir sévèrement passé au crible les arguments de la critique postcoloniale puis décoloniale en montrant comment le bel instinct critique des « Poco » (Postcolonial Studies) avait fini, à chaque fois, par se retourner contre lui-même. Cela avait en effet conduit toute cette mouvance anticolonialiste à réduire à l’ethnie les rapports sociaux et donc à les essentialiser, à les figer, à les déshistoriciser[5]. Dans son analyse du racisme JLA ne cesse ici de nouveau de le rappeler comme un insistant leitmotiv : la lutte des races s’est substituée à la lutte des classes (p. 52, 55, 61, 64), les « entailles verticales » effectuées par les « entrepreneurs d’ethnicité » et présentes jusque chez les antiracistes politiques (par opposition aux antiracistes universalistes) l’ont emporté sur les « découpages horizontaux » qui étaient pratiqués dans des sociétés fluides et labiles (p. 58, 118). L’espace social a été ainsi racialisé ou ethnicisé, rigidifié au détriment d’une analyse historique qui aurait pu mettre en évidence les facteurs sociaux responsables des différents ostracismes, et relégations et d’y remédier. Tel est l’inébranlable socle d’une critique marxienne revendiquée, fidèle à un matérialisme historique, totalement déniaisé et libéré des fantasmes messianiques qui ont tragiquement obéré « l’esprit du marxisme » (p. 91).

 

La critique afférente fréquemment formulée, notamment à l’égard des Postcolonial Studies, consiste à leur reprocher de dénoncer à tout propos le colonialisme, un colonialisme qui persisterait à travers tous les aspects de la vie sociale depuis le XIXe siècle : la France reste un Etat colonial, tel est l’axiome culpabilisant qu’ils n’ont de cesse de marteler. En l’érigeant en « principe d’explication universelle », comme le dit Emmanuelle Sibeud, les postcoloniaux semblent avoir ainsi trouvé une nouvelle clé de l’histoire occidentale que les historiens jugent généralement parfaitement fantaisiste. Ici, le comble et le paradoxe est que, initié à partir de la critique déconstructiviste de la French-Theory, le postcolonialisme soit revenu chez nous, ait retraversé l’Atlantique, cinquante ans plus tard. Mais cette fois-ci, en gagnant, tel un ouragan, un surcroît de puissance. Et la pensée à laquelle il a donné naissance peut sembler devenue,  pour le coup, complètement folle.

 

En faisant du colonialisme la matrice sociale, la matrice de classe (p. 50) du racisme moderne, en pointant le mystère d’iniquité qui aurait comme plombé l’ensemble de notre histoire, on peut se demander si JLA ne se serait pas laissé quelque peu contaminer par le gauchisme culturel des décoloniaux, mouvance qu’il avait pourtant encore sévèrement critiquée dans son précédent livre[6]. Il n’y pas jusqu’à la thématique de l’appropriation culturelle (p. 65 sq) en son sens le plus contestable (un blanc ne peut pas représenter la souffrance noire), thématique qui paraît relever d’un ostracisme et d’un obscurantisme aussi insupportables que ceux de la non-mixité, qui ne trouve grâce à ses yeux que par le curieux recours à la problématique du « ressenti » (p. 77).  Pourtant, n’y a-t-il pas dans cette indulgence envers les obsessions de « la perspective décoloniale » (le plus long chapitre du livre, de la page 45 à la page 80) une manière d’enfermer les « indigènes » dans leur posture victimaire, de considérer avec bienveillance leur dolorisme et leur rituels d’affliction, une manière aussi de justifier et d’accepter leur hespérophobie haineuse. L’héspérie, le pays du soir, nom grec de l’Occident, est aujourd’hui devenu soudainement honni.

 

L’analyse de JLA est pourtant sur le fond incontestable : le racisme n’a rien à voir avec la xénophobie pas plus que l’antisémitisme avec l’antijudaïsme. L’invention de la race, la détermination anthropométrique de la race, le scientisme que cette détermination suppose sont contemporains de l’impérialisme et du colonialisme du XIXe siècle. Le colonialisme aussi bien que  l’accumulation primitive ou l’industrialisation de l’URSS (grâce à la mise en œuvre de la plus vaste et démentielle industrie pénitentiaire du XXe siècle…) fait partie de « l’histoire avec sa grande hache ».  Et le fait est que l’invention des camps de concentration créés par les Britanniques en Afrique du Sud lors de la révolte des Boers  en 1901  est intimement liée à l’histoire coloniale et que, citée à plusieurs reprises (p. 24,  124), l'extermination des Hereros et des Namas en 1904 perpétrée par Lothar von Throta sur l’ordre du Reich Allemand, est considérée à juste titre comme le premier « génocide » de l’histoire. Nous avons bien là le « banc d’essai » de la Shoah (p. 25) parce que des scientifiques tel que le médecin biologiste Eugen Fischer ont mené dans le Sud-Ouest africain des recherches visant à donner une justification scientifique au racisme, à prouver l’infériorité des « races indigènes »  afin de couvrir les épouvantables exactions commises, sur ordre, par les Allemands : discriminations, spoliations, exploitations forcenées, maltraitances... On peut ajouter qu'Adolf Hitler, en 1925, s'inspirera, dans  Mein Kampf, des réflexions du biologiste. Celui-ci sera nommé en 1927 à la direction du nouvel Institut d'anthropologie, théorie de l'hérédité et eugénisme de Berlin-Dalhem, obsédé par l’idée de pureté raciale et par la hantise du métissage et de la bâtardise. Il la dirigera jusqu’en 45 et deviendra le maître présumé de l'ange de la mort d'Auschwitz, le médecin Josef Mengele. La généalogie au sens propre, la filiation est ici directe, rapide, flagrante, manifeste, absolument indiscutable.

 

Peut-on pour autant criminaliser ou diaboliser la domination coloniale[7] et lui prêter une influence et une efficience qu’elle n’a peut-être pas toujours eues ? C’est l’épineuse question de la causalité que posent toujours les essais de généalogie historique. Le modèle du genre est celui qui fut donné naguère par Max Weber qui avait montré que la provenance (Herkunft)  exclusivement européenne du capitalisme (ce que Marx n’expliquait pas) avait partie liée avec le calvinisme. La morale puritaine du calvinisme, sa théorie angoissée de la justification par la foi, sa condamnation de l’oisiveté et des dépenses somptuaires avait, selon lui, une affinité essentielle avec « l’esprit du capitalisme » et était une des « causes » de la révolution qui s’était effectuée dans le monde du travail.

 

Mais le mode de production capitaliste « porte en lui », non seulement la guerre, comme le prophétisait Jaurès, mais, avec l’impérialisme, son « stade suprême » (Lénine), la « racisation » des populations si bien que le racisme que nous vivons aujourd’hui, issu de l’impérialisme et du colonialisme, serait véritablement postcolonial, répète JLA (p. 123, 124), creusant ainsi plus avant l’analyse. Mais comment ne pas voir que le  « capitalisme », i.e. la réduction de toute chose à sa valeur d’échange, avec l’aliénation totale de l’homme et la dévastation de la terre que cela implique, pourrait bien être le nom d’un processus « destinal » ou « historial » d’une plus grande ampleur ? Le nom de ce que l’on a appelé par exemple,  « le déchaînement du management scientifique » avec lequel le règne inconditionnel de la puissance, illustré à merveille dans le Metropolis de Fritz Lang, fête ses saturnales ? A l’époque de la domination effrénée de la technique[8] n’est-ce pas la Chine, incarcérant tous ses Ouïghours, qui est en train de porter à sa plus haute puissance la Mobilisation totale de toutes les forces de l’Etat ? Jünger ici  n’avait-il pas vu juste ? Le séisme qui a fait basculer l’humanité,  le processus révolutionnaire qui est en passe de la bouleverser, pourrait ne pas être social, mais technologique et c’est sans doute la raison pour laquelle Heidegger s’est interrogé sur la technique à partir de l’usage qu’en ont fait les nazis : le nazisme était déjà une entreprise technologique fabriquant des monceaux de cadavres dans les camps. Ce n’est pas la société qui s’exprime en la technique mais bien l’inverse. Les outils que « nous avons créé…déchirent le tissus social » reconnaît aujourd’hui Marck Zucherberg. La révolution technologique atomise, démantèle la société et l’empêche de se constituer en force politique[9].

 

Johann Chapoutot[10] vient justement de montrer que le nazisme a bien été le laboratoire du New Public Management comme en témoigne le cas exemplaire du général de la SS Reinhard Höhn qui s’est retrouvé après l’armistice, à la tête d’un think-tank allemand qui formera 700.000 managers. Dans l’horizon d’un darwinisme social (lutte pour la vie et sélection des plus aptes) alors dominant dans le Reich, en opposition avec la bureaucratie verticale, écrasante et tatillonne du bolchevisme qui dominait ailleurs autoritairement l’organisation du travail, s’est développé, après la guerre, dans l’Allemagne libérée mais nullement dénazifiée, un « management par délégation de responsabilité », fondé sur le culte de la Leistung, de la performance individuelle qui donnait toute sa place à l’esprit d’initiative, de sorte que chaque membre de l'entreprise était « libre d’obéir ».  Ce terrible oxymore provoque aujourd’hui encore la pathologie galopante des burn out chez les employés soumis à ce double bind ou à cette injonction contradictoire, (libre de réussir en exécutant un « objectif » qu’on n’a pas décidé soi-même mais dont on sera tenu comptable). Toutefois, le management comme on traduit en anglais le Menschen Führung n’est pas d’essence nazie et Chapoutot ne procède pas à une « reductio ad Hitlerum » (Leo Strauss), il n’atteint pas le « point Godwin » pour soutenir sa thèse et disqualifier un adversaire. Il se contente simplement de signaler des correspondances, un  langage commun troublant et le signe d’une compatibilité effective entre le nazisme et l’entreprise capitaliste. Dans les deux cas, plus que l’envergure d’une pulsion meurtrière, plus que la volonté délibérée de génies du mal, c’est l’oubli de « penser par soi-même » et l’obéissance aveugle à des procédures fixées par des textes administratifs (que les trains arrivent à l’heure était la seule préoccupation d’Eichmann) qui sont responsables des pires crimes, de ce qu’Hannah Arendt a appelé la « banalité du mal ».

 

Cette référence au nazisme et au management capitaliste n’aurait-elle rien à voir avec notre sujet ? Il se pourrait au contraire que le déchaînement du Management scientifique promis à la terre entière pourrait nous permettre de remonter en deçà du racisme moderne pour en dégager les conditions de possibilité. C’est cette analyse transcendantale, (comme disent les philosophes, quête d’une transcendance « fondative » ou fondatrice et non « évasive ») qui conduit, par exemple, le juriste et psychanalyste Pierre Legendre à dévoiler la volonté qui est au cœur de la raison et à écrire : « Qu'il s'agisse d'administrer un camp de concentration, de produire et d'acheminer des quantités colossales d'équipements, de prévoir la succession de vagues de bombardiers sur une cible et de financer cette immense entreprise, vous trouvez partout la signature de techniciens et de scientifiques suspendus à l'efficacité de la gestion.
La poussée mondiale vers le management est déjà là… Alors on entrevoit que le triomphe du management puisse aussi avoir à faire au nihilisme, à l'abolition des limites, au versant suicidaire des sociétés modernes[11]… ».

 

Bien évidemment cette analyse fait écho à « la seule parole philosophique », qui ait été proférée au sujet des chambres à gaz (comme le dit J. C. Milner épinglé pour son philosémitisme sociétal p. 31).  Elle est le fait de celui que JLA appelle peut-être un peu rapidement[12] le « philosophe nazi » (p. 88). L’horreur, la monstruosité incomparable d’Auschwitz, la rationalisation de l’abominable à laquelle il a donné lieu, relève du Gestell, de l’arraisonnement, de la provocation qui n’est en rien le produit d’une machination humaine mais le mode extrême de l’histoire de la métaphysique. N’est-il pas en train de se réaliser aujourd’hui avec la logicisation, la numérisation intégrale du réel ? Le Gestell met à disposition sur commande tout ce qui est, de telle sorte que, rigoureusement parlant, il n’y a plus d’objets (Gegenstand) mais des biens de consommation à disposition de chaque consommateur (Bestellbarkeit). Ici se fonde le désastre général du monde moderne qui est devenu l’empire du calculable sous les trois modalités qu’ont pu connaître la computation américaine (Berechnung), la planification soviétique (Planung) ou la discipline ou l’élevage nazis (Züchtung). C’est à l’âge où l’on parle de capital humain ou de « ressources humaines » (les nazis parlaient de Menschen material), qu’on a fabriqué scientifiquement et industriellement des « cadavres dans les chambres à gaz et les camps d’anéantissement»[13].  Dans ces camps les hommes, dépossédés de leur propre mort, ne mouraient plus mais devenus « pièces d’un stock de fabrication de cadavres » « périssaient » ou « crevaient » comme des bêtes. « Parole philosophique », « coup d’œil dans ce qui est » qui seront aussi ceux de Hannah Arendt (son élève) lorsqu’elle décrira l’horreur des camps dans Les origines du totalitarisme[14].  

 

Nous reprochera-t-on alors d’avoir, dans cette lecture de la généalogie du racisme, « changer de logiciel » et de répondre à une radicalisation à gauche par une radicalisation à droite ? Mais trêve de mots d’ordre et d’anathèmes, ils rendent plus épaisse encore la confusion. Quand la lutte antifasciste durant les sept ans de la guerre d’Algérie vous a complètement structuré, quand on a enseigné pendant longtemps dans les ex-colonies  (où l’on a rencontré l’ami JLA, mais amicus Plato…), reconnaissons simplement qu’on se sent en porte à faux et mal à l’aise de se voir transformé par les raisonnements binaires (« eux » et « nous »), essentialistes et manichéens des postcoloniaux en « leucodermes » ou blancs dominants, toujours un peu gêné aussi de se voir obligé de dénoncer ce qui nous semble être un regain de barbarie. Serait-on vraiment resté un ressortissant du vieux monde, héritier des Lumières, un « adorateur inquiet au temple de d’Apollon » [15] quand on défend le discours républicain ? Quand on ne transige pas sur la question de l’égalité femmes/hommes, épine dorsale de la République ? Quand on s’oppose à  des thèses qui tentent d'allumer la guerre raciale, qui dissolvent le lien social, qui enferment les « indigènes » dans une prison communautaire ?

 

JLA ne défend certes pas ces « barbares » mais, permettons-nous de le dire, sa stratégie en miroir qui consiste à renvoyer dos à dos les adversaires  (« Indigènes de la République » versus « Printemps républicain »)  nous semble dissymétrique, déséquilibrée, bancale et pour tout dire profondément injuste. On ne lui reprochera certes pas de dénoncer l’inégalité de traitement réservé par la République à l’égard des religions et des signes religieux ni l’hystérisation développée par certains laïcs de la question du port du voile  mais peut-être d’avoir une complaisance coupable à l’égard de  l’islam politique, de se taire sur ce que le regretté Abdelwahab Meddeb appelait la maladie de l’islam dont les manifestations prolifèrent et gangrènent tant de mosquées et de quartiers… N’y a-t-il pas en effet une injustice majeure du côté de ce qu’on a pu appeler l’islamo-gauchisme qui met sur le même plan l’intolérance provocante, irrespectueuse des uns et celle, religieuse, fanatique des autres, de ceux qui en appellent au meurtre, comme si elles étaient comparables… Ainsi de la curée, de la traque, du lynchage administrés à l’égard de Kamel Daoud qui, sans vouloir stigmatiser toute une communauté, avait quand même, courageusement, posé quelques questions pertinentes concernant les raisons du comportement de certains musulmans, à Cologne, le jour de  la Saint Sylvestre. Le sujet préempté par la droite et l’extrême droite le rendrait-il tabou ? Décidément il est bien difficile à la gauche, prise entre deux exigences contradictoires, de trouver une ligne de crête entre la tolérance, le respect à l’égard d’une religion et la reconnaissance inconditionnelle de la liberté d’expression. La formule prêtée à Voltaire mérite d’être ici une fois encore répétée : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. » « Je suis Charlie », donc, d’abord, je le déclare, même si dans mon fort intérieur…

 

Il en est pourtant que la décence, le sens de la nuance et de la mesure n’étouffent pas et qui n’hésitent pas à extravaguer jusqu’au bout[16]. On pense au livre d’Olivier Le Cour Grandmaison (que ne cite pas JLA) que tous les historiens sérieux ont taxé de « sottisier » frauduleux mais dont le titre éloquent est bien dans l’air d’un temps pour lequel la colonisation, initiée en 1492[17], est la clé et le fin mot de l’histoire du monde : Coloniser, exterminer[18]. Les atrocités de la colonisation de l’Algérie (gazages de résistants dans les grottes où ils s’étaient réfugiés) sont présentées, par exemple, comme des anticipations des techniques mortifères d’extermination et des génocides du 3e Reich pour donner sens à l’équation, qui figure dans le titre : coloniser=exterminer. Jules Ferry, le fondateur de l’école publique, partageait aussi, comme bien des hommes de son temps, comme tous les penseurs du XIXe (comme le suggérait L. Poliakov) la croyance en l’existence de races supérieures et de races inférieures mais c’était là, pour lui, une raison de plus pour voir dans la colonisation, le moyen d’apporter « la civilisation » et notamment l’école et l’institut Pasteur à des peuples qu’il n’était en tout cas certainement pas question d’exterminer[19] ! JLA ne tombe certes pas dans ce travers et prend soin de montrer clairement, par exemple, que même la traite négrière ne doit pas être qualifiée de « génocide » mais de « crime contre l’humanité » (p. 28, 121) comme le stipule d’ailleurs la loi Taubira.

 

Il reste que si l’on cédait au nihilisme passif qui décourage et fragilise, on sortirait accablé de la lecture de son dernier livre, un peu désespéré et presque honteux d’être français (et Européen), honteux d’avoir un jour vibré, comme disait Marc Bloch, au souvenir du sacre de Reims, à celui de la fête de la Fédération ou, pour changer de registre et d’époque, à l’accueil populaire si chaleureux reçu par le Président Hollande au moment où l’opération éclair de l’armée française avait empêché la capitale Bamako de tomber aux mains des djihadistes. La fièvre, la liesse sont certes aujourd’hui retombées et, les réseaux sociaux aidant, alors que l’on assassine et que l’on viole dans tout le Sahel en visant et en vidant en priorité les écoles, ce sont les passions tristes, la méfiance, la haine revancharde, le ressentiment contre la France et l’impuissance de la Munisma (p. 119) qui montent de toutes parts et qui sont le plus volontiers documentés avec complaisance. Certains nationalistes maliens n’accusent-t-ils pas la France d’entretenir le « conflit intercommunautaire » ? Conflit entre Peuls (« djihadistes » et « rouges ») et Dogons (« païens » et « noirs »), pour reprendre les vieilles catégories coloniales fantasmatiques qui ont permis d’assujettir les populations (p. 113,  119, 122)  et qui font maintenant retour pour mieux masquer les véritables racines du conflit. Les plus extrémistes n’hésitent pas à accuser la France d’entretenir le djihadisme pour contrôler le Sahel et continuer à s’approprier ses richesses !

 

Pour avoir enseigné la langue et la culture française dans ce que le talentueux Achille Mbembé[20], éduqué lui-même à l’école des bons pères, appelle la néo-colonie, il nous faut oser le dire en essayant toutefois d’éviter la « personnification de la critique sociale » (p. 42). La coopération avec les pays du Sahel s’est effectuée dans la joie et a été très souvent l’occasion de rencontrer d’autres cultures, d’autres coutumes. Colere en latin d’où vient notre vocable de « colonie » n’est-il pas, après tout, un mot de paysan qui signifie, cultiver,  prendre soin, avoir souci… ? C’est le sens qu’avait retrouvé pour nous cette coopération dans le cadre des nouveaux partenariats.  Cela, il est vrai, risquait de faire oublier l’histoire de la colonisation, son étendue considérable (40 pays), sa longue durée, la férocité de la conquête, les exactions sans nom, les guerres interminables (les plus longues du XXe siècle, nous rappelle Pascal Blanchard, puisqu’elles ont duré 25 ans) auxquelles elle avait donné lieu… Tout ce que la France, le pays des droits de l’homme, a tant de mal encore à regarder en face.

 

Si l’ethnologie a été longtemps la fille du colonialisme, il reste néanmoins que les vraies pratiques impérialistes ont toujours consisté à s’attaquer à la mémoire des peuples, à détruire les monuments et à profaner les cimetières. Il en est aujourd’hui qui sont indifférents à l’incendie de Notre-Dame (p. 61) ou qui s’en réjouissent, mais comme la destruction des bouddhas de Bâmiyân ou des Mausolées de Tombouctou, ce ressentiment haineux à l’égard de ce qui a été grandeur –et il est d’autres grandeurs que celles d’établissement - et la volonté d’en tirer vengeance - signe une barbarie sans nom. On sait que demain, grâce à la forte croissance démographique de l’Afrique, la francophonie, héritage direct de l’Empire, comportera vraisemblablement des centaines de millions de locuteurs. Ne faut-il pas s’en réjouir ? N’avons-nous pas nous-mêmes été colonisés par les Romains qui ont réussi, eux aussi, à donner leur langue à tous les peuples vivant sur toute l’étendue de l’Imperium Romanum ? On ne refait pas l’histoire mais qui se plaindrait, aujourd’hui, de parler une langue romane et d’être, à certains égards, un citoyen romain ?

 

Mais nous avons du mal avec la grandeur, nous avons du mal à la reconnaître et à saluer la valeur affirmative de son rapport à la vie et comme de nouveaux inquisiteurs gouvernés par les affects négateurs de haine et de vengeance, il semble qu’il nous faille mener jusqu’au bout l’épuration, le nettoyage complet de notre roman national et vider notre panthéon de tous ses « grands hommes » comme si nous n’avions d’yeux que pour les chancres, les mesquineries et les petitesses. « Nous avons perverti la critique, écrivait Octavio Paz, nous l’avons mise au service de la haine de nous-mêmes et de notre monde ». Il ne s’est jamais agi de cacher notre passé négrier ou notre passé colonial, par exemple ; aujourd’hui, des villes comme Nantes et Bordeaux les intègrent à leur histoire, les mettent en scène dans des musées qui documentent sans détour le sujet. N’est-ce pas ce que tous les historiens devraient faire ? « Tout monument de culture est un monument de Barbarie », écrivait Benjamin, cela est sans exception et ce qui est vrai pour les pyramides ou pour le Parthénon, l’est aussi pour les monuments et les Empires que les peuples ont pu constituer. Savoir le pire –sur la France-Afrique par exemple qui maintint au pouvoir les dictateurs les plus sanguinaires au profit de ses propres intérêts-,  n’empêche pas les exercices d’admiration, admiration à l’égard de ce qui a été, sans conteste, même dans l’histoire coloniale, une affirmation orgueilleuse de grandeur. Seul un masochisme moralisateur qui s’alimente à la haine de soi peut méconnaître la mémoire lumineuse de l’Occident, celle qui peut motiver une insolente fierté, celle que peut donner la considération d’une histoire qui a été aussi, malgré ses crimes, le lieu du plus important foyer d’émancipation.

 

La reductio ad eadem

On peut se demander toutefois si l’antisémitisme est entièrement soluble dans le racisme, réductible à ce type d’exclusion de l’autre, analysable dans le seul registre empirique de l’économique, du social, de l’historique –terrain ferme que l’auteur n’entend pas quitter, comme ont pu le faire sans doute avec puissance, avec finesse, un bon nombre d’auteurs[21] On peut en douter quand on considère que la détestation du juif –JLA refuse la majuscule essentialisante qui fait croire en l’existence d’un « peuple juif »– accompagne le cours entier de l’histoire de l’Occident, seule civilisation à connaître depuis l’origine, une exclusion du juif toujours renouvelée, vingt-deux siècles durant. Si l'antisémitisme a  fait aussi son profit de l’anthropologie physique du 19e siècle, il avait derrière lui,  à la différence des autres racismes, 18 siècles déjà d'antijudaïsme : ce que l’on ne peut effacer d'un trait ! Les traités adversus judeos des premiers siècles, l’expulsion des juifs d’Espagne en 1492, les pogroms du XIXe siècle, la « solution finale », dans un crescendo saisissant et une montée aux extrêmes, avec un acharnement continu  aussi froid que délirant, accompagnent les bouleversements les plus violents de notre histoire : la fin de Rome, les Croisades, la naissance du capitalisme et du « Nouveau Monde », la colonisation, l’âge industriel et scientifique, l’exploitation des masses…

 

On voit que le juif n’est pas simplement  l’étranger du dehors comme l’est aujourd’hui, par exemple, le migrant, le pauvre hère que l’on peut conspuer, rejeter, renvoyer ou au contraire promouvoir pour faire oublier une domination de classe (racisme positif p. 49), qu’il n’est pas seulement l’expression de l’hostilité immémoriale qui permet à chaque groupe humain de se distinguer, de s’affirmer, de se poser en s’opposant, il semble plutôt, comme l’écrit J. L. Nancy, un agent auto-immune[22] qui appartient au corps social tout entier, un agent pathogène maudit, agent de dégénérescence qui ne cesse de le menacer, de l’infecter, de le corrompre de l’intérieur pour finir par l’entraîner dans un destin de malheur. La permanence et la longévité du peuple juif, son obstination maligne à durer, n’autorise-t-elle pas déjà la suspicion à l’égard de l’abominable souillure que, pour certains, il constitue ?

 

Alors que le racisme suppose toujours le mépris de races supposées inférieures[23], l’antisémitisme se développe au contraire dans la dimension d’une rivalité mimétique avec un peuple dont on jalouse l’élection et à l’égard duquel on éprouve du ressentiment i.e., aurait dit Nietzsche, un sentiment d’hostilité et de vengeance, un affect puissant sorti du fond d’une virulente et insondable haine qui porte à rabaisser celui qu’on ne peut égaler et qui, à la différence de l’envie ou de la jalousie, vise à détruire la valeur que représente sa puissance. Cela a été particulièrement évident sous le troisième Reich. Il ne pouvait pas y avoir, pour les nazis, deux peuples élus et la race aryenne, dans un Reich de mille ans, devait remplacer pour la domination planétaire… ou pour l’apocalypse, les fils de Jacob. Le juif est haï non parce qu’il est l’autre mais parce qu’il est le même, le même que cet Occident ambitieux et cupide qui eut le génie de l’entreprise et du calcul et qui est devenu, aujourd’hui, la terre entière. Quand De Gaulle parle, à propos de l’Etat d’Israël, de ce peuple « sûr de lui et dominateur », ce propos « antisémite » (p. 37) est bien plus encore « l’image maudite de soi  (projetée) sur son bouc émissaire  en un interminable rituel de conjuration par exclusion[24] ».

 

C’est à cette structure profonde de la constitution de notre Occident, qu’appartient l’antisémitisme qui n’est donc pas simplement de l’ordre du racisme mais qui a une provenance beaucoup plus ancienne. Cette tentative d’exclusion est incluse, incrustée en son cœur et c’est son extimité, aurait dit Lacan, qui en fait toute l’originalité et explique son tenace rebond, sa multi-séculaire résilience.

 

Comment espérer en finir un jour avec le racisme et avec l’antisémitisme  qui font honte à notre espèce si l’on ne tente pas de continuer à creuser le sol de ce que ce petit livre met en jeu et à suivre à la trace ces processus de très ancienne, de très lointaine provenance ? Effectivement, dans la forme qu’ils ont pris avec le racialisme scientifique du milieu du XIXe siècle, ils sont contemporains de la colonisation. Mais comment méconnaître aussi qu’ils n’ont été possibles que sur le sol de la métaphysique occidentale qui pense l’être humain comme sujet doté d’une âme et d’un corps –pensée si étrangère, par exemple, à l’Extrême-Orient– ce qui a rendu possible l’essor de l’anthropologie physique et l’instauration d’une pensée de la race et de la sélection raciale ?  Seule une critique radicale de ce que M. Foucault appelait la « biopolitique », seule  une critique de la détermination de l’humain à partir du biologique pourra couper à la racine un fourvoiement qui est d’abord lié à cet angle d’attaque biologique, dévoiement proprement métaphysique qui continue de donner lieu à tant agissements  criminels.

 

 

Résumé : Le racisme est universel au sens où il n’y a pas lieu de distinguer le racisme moderne, produit de l’anthropologie physique du 19ème siècle, contemporaine de l’impérialisme colonial et l’antisémitisme puisque le racisme colonial a servi de banc d’essai au génocide des juifs ; il n’ y a pas lieu de distinguer non plus l’antisémitisme actuel et le racisme qui se développe aujourd’hui dans les conflits « intercommunautaires » en Afrique.

Telle est la thèse novatrice et radicale de JLA qui continue de déconstruire toutes les catégories de l’anthropologie coloniale, celles qui ont été réactivées au Rwanda comme aujourd’hui au Mali. Telle est la thèse que nous soumettons à quelques interrogations critique.

 

 

 

[1] Œuvres complètes, Gall., p. 226. Critique n° 12, 1947.

[2] L’universalité du racisme, Lignes, 2020.

[3] Nous nous permettons d’utiliser le terme nietzschéen de généalogie parce qu’il y a pour JLA aussi un caractère interprétatif de tout ce qui est, ce qui invalide toute recherche d’essence, tout essentialisme. Toute réalité est en effet le résultat d’un long processus de formation qu’il faut « déconstruire ». Il n’y a donc pas d’origine fixe et unique (Ursprung), il n’y a que des provenances (Herkunft) qui nécessitent l’exploration d’un champ complexe infra-conscient et infra-rationnel de la réalité. Mais généalogie par ailleurs n’est pas genèse car la généalogie statue de façon critique sur la valeur de ses sources et entend apprécier la nature affirmative et noble ou négatrice et servile, bénéfique ou nuisible de son rapport à la vie. De là notre insistance sur ce que Spinoza appelait les passions tristes et la distinction que nous entendons faire et maintenir entre l’adjectif allemand rassig qui désigne ce qui est racé, la fermeté intérieure dont les Allemands ont tellement manqué en 1933 selon Sébastien Haffner et le rassisch qui désigne le racial au sens anthropométrique. Malheur à moi, disait déjà Nietzsche, je suis une nuance !

 

[4] Les études postcoloniales, un carnaval académique, Khartala, 2010.

[5] L’Occident décroché, Enquête sur les Postcolonialismes, Fayard 2010. Nous en avons rendu compte dans Espace/temps.

[6] "EN QUETE D'AFRIQUE(S)" par Souleymane Bachir DIAGNE et Jean-Loup Amselle. Albin Michel, 2018.  Cf. notre recension dans Espacestemps.

 

[7] « Crime contre l’humanité » a dit « Macron » à son retour d’Algérie. JLA lui réserve ses piques les plus sévères et dénonce chez lui un « racisme » à la fois philosémite (racisme positif) et anti-Roms (racisme négatif, p. 39, 49).

[8] La machination technologique (Machenschaft) ne peut pas être mise au service d’un autre mode de fonctionnement comme si on pouvait dissocier la technique, d’une part, du capitalisme, de l’autre. La Machenschaft (le faire, le façonnement, la fabrication) est entrée avec la modernité dans une phase d’autonomisation. Bien loin d’être neutre, elle neutralise, uniformise, massifie, atomise et contrôle intégralement la société. La mise en réseau, le processus d’autonomisation des procédures informatiques ont été tellement poussés à bout que le « Moloch » (comme disait Marx) est sans tête, hors de contrôle et que nous en sommes tous dépendants, « bourgeois » comme « prolétaires », sommés sur le champ de nous adapter.

 

[9] Cf. J. Vioulac, Approche de la criticité, PUF, 2018.

[10]Libre d’obéir. Le management, du nazisme à nos jours. Gall., Essais, 2020. Notons qu’en 1954, Maurice Papon publiait lui aussi un manuel de management intitulé : « L’Ere des responsables ». De quoi en effet s’interroger…

[11] Pierre Legendre dans Marianne. Cf. aussi, La fabrique de l’homme occidental, 1997, Essais (Poche) et Dominium mundi. L’Empire du management. Mille et une nuits, 2007.

[12] Le vigoureux désaveu du biologisme et du nazisme raciste qui par des « mensurations crâniennes », a mis biologiquement la population en fiche, est permanent chez Heidegger dans les Cahiers noirs comme dans le cours sur Nietzsche de 1936-37, quand on veut bien faire l’effort de les lire.

[13] Passage célèbre de la conférence de Brème qui a suscité bien des gorges chaudes au prix d’un total contre-sens : Heidegger ne minimise en rien l’horreur incomparable des camps mais au contraire accentue l’horreur de cette rationalisation de l’abominable. GA tome 79, [1949], "Bremer Vorträge. Einblick in was das ist", "Das Ge-Stell", p. 27. (Gestell : rappelons que le Ge rassemble ici tous les modes du stellen, des manières qu’a l’étant de se poser (stellen) dans la présence.   Avec le Gestell, appareillage d’ensemble de la sommation, on est passé de l’époque de l’objectivité (Gegenstandlichkeit) à celle de la disponibilité (Bestellbarkeit) moyennant le compte d’une commande : être, aujourd’hui c’est être disponible, nous ne sommes pas loin de Marx pour qui, être c’est être réduit à une quantité de valeur universelle et abstraite fétichisée dans l’argent.

[14] Le système totalitaire, Seuil, Point, Politique, 1972,  p. 181.

[15] Comme l’écrit Florence Bernault. « Les Barbares et les rêves d’Apollon ».  Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française. Nicolas Bancel, Florence Bernault, Pascal Blanchard et alii.  Paris, La Découverte, 2010, 540 pages.

[16] L’ACHAC par exemple s’est fait une spécialité de la dénonciation de la fracture coloniale. De la culture coloniale en France. De la révolution française à nos jours . Paris, CNRS Editions/Autrement 2008.

[17] Cf., « Mille quatre cent quatre vingt douze » dans notre recension : « Gigantomachie autour de l’universel » in Espacetemps.

[18] Coloniser, exterminer, Fayard, 2014.

[19] Gardons-nous de tomber dans l’illusion rétrospective et de mesurer à notre aune les injustices du passé ! cf.,  Nietzsche HTH I, § 101.

[20] Victime lui aussi, selon JLA, dans sa Critique de la raison noire (nous en avons rendu compte dans Les Cahiers d’Etude africaines sous le titre, Du nom de nègre, n° 218-2015, en ligne) d’un essentialisation poétique et transhistorique du vocable nègre, i.e. d’une lecture raciale du monde (p. 56, 57).

[21] Citons Adorno et Horkheimer, Poliakov, Arendt, Milner...

[22] Exclu le juif en nous. Galilée, 2019 p. 21.

[23] Rappelons que le racisme proprement dit consiste à soutenir trois propositions qui sont autant des prémisses fausses qui se succèdent et sans la moindre cohérence : 1- il y a des races, 2- il y a une hiérarchie entre ces races, 3- cela fonde et légitime la domination de la race supérieure sur les races inférieures. Le suprémacisme, le machisme (le mépris des femmes) et le classisme (le mépris de classe) reposent sur la même structure sophistique.

[24] Exclu le juif en nous. Galilée, 2019 p. 60.

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