Les nouveaux monstres ?

 

« Le vieux monde se meurt, le nouveau est lent à apparaître, et c'est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres »

Antonio Gramsci.

 

 

Je pense que quelques temps encore nous allons devoir échanger des bulletins de santé tandis qu’autour de nous, à l’évidence, le vieux monde agonise.

Car enfin, cette fois, toutes les digues ont sauté, des milliers de brasiers ont été allumés, sans que jamais ne pointe le moindre espoir, la moindre revendication politique.

"Brûle, brûle camarade, il fait nuit tout autour, il n’y aura pas de « nouveau monde ».

Bientôt, sans doute, dans ce qui n’est encore qu'un « clair obscur », vont surgir d’un ventre encore fécond, ces « nouveaux monstres », la « bête immonde »  que Gramsci et les autres avaient déjà vu venir.

Au commencement c’est toute la jeunesse enfermée dans les zones de relégation des banlieues à l’horizon barré qui s’est  identifiée à ce malheureux Nahel. Certes il vivait « dangereusement » mais, ce gentil multirécidiviste a été victime d’un homicide par un de ces « robotcops » enfermés dans leur carapace ignifugée que sont devenus aujourd’hui les « gardiens de la paix ». Des monstres eux aussi ? résolus à en découdre avec ceux qui ont maintenant, très clairement,  décidé de les tuer ?

Tel a été le détonateur de la révolte. 

Dans un mimétisme surprenant nourri en permanence par réseaux sociaux et chaînes d’info continues, cette identification a été pour les jeunes, le premier jour des vacances d’été, l’origine d’une grande fête destructrice sur le modèle de leurs jeux vidéo quotidiens, un potlatch joyeux, une dépense somptuaire, une « consumation », aurait dit Bataille, de tous les symboles de l’autorité et de la République. Pris au jeu de l’émulation, rendus captifs d’une fiévreuse compétition qui les portaient à se défier et à se filmer les uns les autres, ils ont pu aller toujours plus loin dans la vertigineuse escalade des violence qui ont conduit les villes à exploser tour à tour.

Sans se rendre compte que c’est notre civilisation qui était en train de s’effondrer et que, avec les milliers de brasiers qui semblaient répondre aux méga-feux ravageant la planète et la rendant irrespirable, c’est tout un monde qui, de toute part,  s’en allait en fumée !  A la plus grande satisfaction de ceux qui honnissent la France et l’ont déjà condamnée à mort : « Ô France ! voici venir le jour où il faut rendre des comptes. Prépare-toi »

Tu vas payer bientôt pour tous tes crimes et pour le « crime contre l’humanité » qu’a été le colonisation…

Telle est, par exemple, la strophe vengeresse qu’après le désastre de 60 ans de dictature FLN, à la manière d’Erdogan menaçant l’Europe d’ouvrir ses frontières aux migrants, le Président Tebboune a ajouté à l’hymne patriotique algérien.  La colonisation, bombe à retardement, ne pouvait manquer un jour d’exploser…

Voilà qui donne une profonde résonance historique aux événements délétères consternants que nous venons de vivre. Ne s’est-elle pas réalisée aujourd’hui, cette menace vengeresse ? L’héritage colonial ne se manifeste t-il pas du côté des émeutiers maghrébins ou des noirs africains sans cesse contrôlés au facies que d’une police dont le syndicat majoritaire ose encore parler de ces jeunes comme de « nuisibles » ! Ce n’est là qu’une des multiples causes des émeutes hyper-violentes qui, de proche en proche, finissent par nous conduire à un point de non- retour. Préfèrer les mafieux sans scrupule de la milice Wagner à l’armée française et à la Numisma ont déjà été le choix du Mali et du Burkina Faso…

Comment retrouver un fragile espoir dans ces temps de désolation qui  nous entraînent tout doucement vers l’autodestruction ? Il y 25 siècles, à l’orée de notre civilisation, Hérodote écrivait pourtant : "Nul homme n’est assez dénué de raison pour préférer la guerre à la paix."

Nous savons qu’il faudrait dans cette perspective reprendre l’échange humain  interrompu aujourd’hui par les écrans. Elle nous appelle au long et difficile travail culturel d’enseignement, de formation, de conviction qui était effectué dans les banlieues par les bénévoles, les ONG, les agents de la politique publique qui représentent un large tissu associatif, lesquels sont aujourd’hui amers, meurtris et en déshérence. Ne visaient-ils pas à intégrer dans la Nation tous les citoyens d’où qu’ils viennent ? Ne visaient-il pas également à prémunir tout un peuple de la peste brune, à éviter qu’on ne torde le cou à la République ? Un tel projet, l’Allemagne ne l’a-t-elle pas réalisé ?

La colère des jeunes engendre souvent la colère des moins jeunes et des parents qui, voyant avec amertume partir en pure perte leurs biens et ceux de la cité (écoles, mairies, crèches, pharmacies, manèges, autobus, gymnases, postes, bibliothèques…) dans lesquels ils travaillaient, ne parviennent plus à arrêter leurs enfants. Comment alors ne pas en appeler aux brutales solutions de facilité préconisées par la droite extrême, solutions si contraires à son génie qui font honte à la France ?  Ne devrait-elle pas plutôt « accepter sa part de la misère du monde » demandait Michel Rocard ? Mais tout se passe comme si nous étions pris dans un dispositif que nous ne maîtrisons plus… en train de basculer dans un populisme pourfendeur des élites,  terrain d’élection d’un fascisme inexorable et rampant partout dans le monde. C’est pourtant d’un autre monde plus solidaire et durable que nous savons avoir besoin. L’homme, l’homo humanus et l’Occident lui-même qui arraisonna le monde, n’en serait plus le pivot et le centre… Complètement décolonisé, ce monde tarde plus que jamais à apparaître, malgré ceux qui ne rêvent que de guerre civile et de révolution, en faisant fond sur les révoltes et les déchainements de violence.

 

François Warin

 

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