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Le travail

VIENDRONT D’AUTRES HORRIBLES TRAVAILLEURS…(Rimbaud)

 Il y a une fatigue des civilisations et il est difficile de vivre quand se multiplient les menacesd’anéantissement quand des pans entiers de notre monde vacillent ou s’écroulent à grand fracas…Ph. Jaccottet

 

La réforme des retraites et l’opposition populaire massive qu’elle continue de susciter nous oblige à nous poser des questions fondamentales dont certaines touchent au cœur même de la tradition philosophique : que devons nous entendre par « travail » et quelle place celui-ci occupe-t-il dans notre vie, pourquoi la perspective de travailler deux ans de plus provoque-t-elle en France, et en France seulement, un tel levé de bouclier ? Les raisons comptables et démographiques données par un Président qui tient depuis toujours à ce qu’il appelle « la mère des réformes », pour « évidentes » qu’elles soient[1], ne cachent-elles pas quelque chose relevant d’un « impensé » qui n’a rien à voir avec la technicité des problèmes évoqués par une réforme mono-paramètrique[2] qui met en évidence une inégalité de traitement insupportable ? Sans doute la réforme entérine de fait l’injustice d’une société scandaleusement inégalitaire en pénalisant les carrières longues mais, alors que l’extrême droite attend son heure,  elle détourne surtout notre regard des défis les plus urgents et les plus couteux qui nous concernent. Une des vraie question qui se pose pourrait être celle-ci : que faut-il que soit devenu aujourd’hui le monde du travail pour susciter un tel rejet, une telle opposition, une révolte aussi instinctive et passionnée ? Et plutôt que de mettre la charrue avant les bœufs, ne faudrait-il pas procéder par ordre, remonter en amont et avant de réformer les retraites réformer d’abord le travail ?

Trinité. Comme si on entendait encore dans notre mot de « travail » la douleur et la peine ainsi que la plainte arrachée par cet instrument de torture qu’était le tripalium - étymologie latine de notre vocable-  le travail est d’abord une activité pénible qui reste synonyme de labeur et de souffrance, de tout ce que les anciens réservaient aux esclaves. Aujourd’hui encore on ne s’accommode de la pénibilité du travail qu’en pensant pouvoir jouir un jour du repos qu’apporte le retrait de la retraite. Sans cadre et sans contrainte, elle est dit-on ce paradis où l’on n’est plus contraint de « travailler à la sueur de son front ». L’affairement servile du travail auquel nous sommes plus ou moins soumis afin de subvenir à nos besoins reste toujours en effet une nécessité, une nécessité étrangère ou extérieure à nous-mêmes de telle sorte que la « vraie vie », pense t-on, ne pourrait réellement commencer  que hors travail et que si, du travail, l’on pouvait s’en dispenser...

Mais le travail désigne aussi le fruit de cette activité, le produit de ce « faire » que l’on désigne du beau nom d’oeuvre ou d’ouvrage. « Voici mon travail » dit ainsi avec fierté l’artisan et l’artiste qui  s’ouvrent à la flagrance du monde, eux chez qui le travail articule toujours l’une à l’autre la main et la pensée.

Enfin le travail est synonyme de l’emploi qui procure un salaire ou un revenu comme lorsqu’on dit « j’ai un travail ». Comme l’a montré encore la sociologue Marie-Anne Dujarier à qui nous devons ces distinctions, ces trois sens ne sont malheureusement pas toujours alignés…

La reconnaissance. Le contraste entre les deux premiers sens distingué, celui du travail et celui de l’œuvre, a été documenté, réfléchi, médité par toute la tradition philosophique. Dans le texte célèbre que l’on appelle la dialectique du maître et de l’esclave, Hegel montre que, au moment où le maître finit par se perdre dans l’immédiateté de la jouissance, l’esclave qui a tremblé d’angoisse devant la mort, va, par son travail prendre conscience de lui-même grâce à la médiation de son œuvre tout en se formant en refrénant ses pulsions. C’est ainsi qu’il parvient à renverser le rapport de domination qui le réduisait au rôle de bétail humain. Celui qui était condamné à la servitude devient ainsi, par le travail, le maître du maître. Ce texte est devenu, grâce à la lecture anthropologique et marxienne que Kojève en a fait (en présence de Bataille, de Lacan…), le modèle le plus consistant de toutes les apologies du travail. Le travail nous accomplit et nous humanise. « Pour la grande majorité la population » dit encore aujourd’hui Axel Honnet, le travail est une source et un facteur d’intégration, un élément essentiel de l’estime de soi et la source de la reconnaissance ».

Disons, pour faire bref, que le travail a une valeur anthropogénétique puisqu’en produisant un objet, l’animal laborans fait de l’animal qu’il était un homo, un homme (anthropos) ; en produisant un objet pour lui-même, c’est lui même qu’il produit en même temps comme sujet. Notre façon de périodiser l’histoire de l’homme et de nommer les étapes de son développement par les progrès de son travail et de son industrie : âge de pierre, âge du bronze, âge du fer… âge atomique atteste que le travail est une dimension constitutive de l’être humain.

Le travail comme la peste. Le texte ci-dessous, tiré du Capital du fondateur[3] de ce qui porte le beau nom de communisme est lui aussi traversé par une série de distinctions sur lesquelles il faut revenir dans la mesure où il affirme à la fois et avec virulence la nécessité d’éliminer un travail qui est radicalement incompatible avec la liberté alors que le travail est par ailleurs, écrit-il aussi, la véritable substance sociale, l’essence de l’homme et qu’il pourrait même devenir le « premier besoin vital » de l’homme.

Le matérialisme historique de Marx renverse d’abord l’idéalisme hégélien puisque ce ne sont plus les idées mais  la vie productive commandant toute la superstructure idéologique qui est la clé de l’histoire universelle. « Toute la structure de la société (les « rapports de production ») repose sur les rapports des propriétaires des moyens de production » (la classe dominante) aux producteurs directs (les travailleurs), ce rapport répondant lui-même au degré de développement des forces productives. Pour le matérialisme historique le travail est « la véritable substance sociale » ; fondamentalement différent de l’activité animale, de celle de l’abeille[4] par exemple, il constitue l’essence de l’homme dans la mesure où il lui permet d’actualiser pleinement les possibilités qui sommeillent en lui.

Et pourtant la thèse de Marx consiste toujours à affirmer  que le règne de la liberté ne commence que là où on l’on cesse de travailler par nécessité. Tant que le travail sera « déterminé par le besoin et les fins extérieures », tant que le travailleur restera une machine à produire des richesses pour autrui, il n’y aura que d’horribles travailleurs et le travail sera « fui comme la peste ». Ne sommes nous pas d’abord soumis à la nécessité de travailler pour satisfaire nos besoins, des besoins qui sont d’ailleurs  incompressibles ? Mais quand il produit des biens dans le seul but de survivre, de « reproduire sa force de travail », le temps passé au travail par l’ouvrier finit par le menacer  dans son humanité. Et, quand on le somme de travailler plus, c’est aussi pour enrichir ceux qui savent si bien lui extorquer discrètement la « plus-value ». Car tel est le motif déterminant du capitaliste qui cherche à produire non de la valeur d’usage mais de la marchandise, de la valeur d’échange.  Ce travail est d’autant plus aliénant[5] qu’avec ce que le film de Charly Chaplin appellera Les temps modernes, avec la révolution industrielle, avec le taylorisme et l’imposition de taches parcellaires et répétitives, l’ouvrier ne se reconnaît plus dans ce qu’il produit de sorte que son travail est privé de tout sens. Sans passé et sans avenir, vivant instant après instant, le travailleur à la chaîne « sent dans son corps que le temps est inexorable » écrira Simone Weil. Nous ne sommes plus au temps du taylorisme, le management a pris en compte l’humanité du salarié mais il continue d’attaquer sa dimension professionnelle, de disqualifier l’expérience des salariés ce qui tend à renforcer la domination et le contrôle de la direction et empêche toute résistance collective, écrit Danièle Linhart.

Avec la productivité sans cesse croissante du travail et l’organisation organique des travailleurs, avec l’élimination du travail comme nécessité, élimination non plus seulement de la plus-value mais bien de la valeur elle-même (c’est à dire de la valeur d’échange), le travail pourra devenir « le premier des besoins vitaux » écrit Marx.  Il ne sera plus un moyen subordonné à un gain, à une finalité extérieure, il sera, selon le mot de Nietzsche, « le gain de tous les gains ».

Travail et Jeu. On trouve un écho de cette critique de la loi d’airain du salariat et de cette merveilleuse promesse chez Nietzsche au § 42 du Gai Savoir[6]. Les hommes en quête du salaire, cherchent un travail pour chasser l’ennui, ils en font un moyen et non un but. Il y a pourtant des hommes rares, écrit-il, qui « préfèrent périr plutôt que de travailler sans que le travail ne leur procure de la joie » et de façon encore plus provocatrice il avertit : « Celui qui de sa journée, ne possède pas les deux tiers pour lui est un esclave, quoiqu’il soit par ailleurs, homme d’Etat, négociant, fonctionnaire ou érudit [7]».  Mais vouloir que le travail soit « le gain de tous les gains », qu’il ait sa finalité en lui-même et qu’il soit comme la danse par rapport à la marche, c’est l’assimiler à ce qu’on appelle un jeu.  Vivre et agir (travailler, se déplacer, cuisiner…) ainsi en joueur et en artiste n’est-ce pas l’horizon utopique le plus humain que l’on puisse proposer ? La transformation de la peine (labeur) en jeu et de la productivité répressive en productivité libre c’est ce que H. Marcuse proposait lui aussi dans Eros et civilisation, livre qui fit florès en la fête réussie, mais en le révolution ratée de 1968.

Jamais je ne travaillerai ! Cette même tension entre le « non» et le « oui » que l’on peut dire au travail, se retrouve chez Rimbaud qui, à l’âge de 16 ans, en 1871, est entré comme en communion d’impatience avec les travailleurs insurgés de la « bataille de Paris » en ayant l’intelligence profonde de la correspondance nécessaire qui unit le renouvellement poétique auquel il aspire à l’insurrection politique. Il écrit dans la lettre du voyant :

« Je serai un travailleur : c’est l’idée qui me retient, quand les colères folles me poussent vers la bataille de Paris où tant de travailleurs meurent pourtant encore tandis que je vous écris ! travailler maintenant, jamais, jamais, je suis en grève[8] ».

Pas question donc de travailler comme avant, il faut au contraire détraquer la machine productive comme il faut en finir avec la poésie subjective « horriblement fadasse » qui ne cherche qu’à déballer des sentiments… et ne fait que reproduire l’aliénation des travailleurs.  Il faut au contraire opérer à rebours, à contre-emploi dit Frédéric Thomas[9], refuser l’asservissement au labeur, renverser la fonction sociale du travailleur, lutter pour leur émancipation comme pour celui des femmes, arracher la poésie à la manie bourgeoise du spectacle[10]. Cela ne serait qu’une façon d’esthétiser la politique alors qu’il faut politiser l’esthétique comme dira plus tard Benjamin… Le poète restera donc en grève, en grève jusqu’au silence final, jusqu’à ce silence qui a toujours nourrit la parole poétique, la parole poétique à laquelle Rimbaud avant tant demandé… Trop demandé ?

La poésie est aussi pour Rimbaud un travail, un dérèglement « raisonné » des formes, elle suppose une subversion de sa fonction sociale, fondamentalement moderne, elle repose sur une expérience, elle est une étude, un devoir absolument parallèle au soulèvement populaire et à l’émancipation des femmes. « Je serais un travailleur » et ce travail « horrible », « monstrueux » sera analogue à celui des travailleurs de Paris qui luttent pour la naissance du « travail nouveau, de la sagesse nouvelle, de la fuite des tyrans et des démons[11] ».

« Tandis que les crachats rouges de la mitraille/Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu… alors que le mal moderne sans rémission a déjà fait surface et que dans la guerre franco-prussienne « croulent les bataillons en  masses dans le feu », Rimbaud garde haute et intacte la promesse d’un changement radical.

Malgré les désillusions des aubes qui sont « navrantes », malgré l’impossibilité de « nager sous les yeux horribles des pontons »[12], vaisseaux désarmés et démâtés, prisons flottantes sur lesquelles se mouraient, après « la défaite sanglante »,  30000 communards[13], le poète ne trahira pas, il gardera toujours le souvenir brûlant de « l’aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombe », celle qu’il chantait dans Une saison en enfer.

Travail et œuvre. L'activité humaine, en tant qu'elle est humaine, excède toujours la question du vital et de l'utile qui jamais ne saurait nous suffire, sauf à renoncer à ce qui nous fait véritablement humain. Voilà ce qui conduisit Hannah Arendt, dans son grand livre Human Condition, à distinguer l’animal laborans, l’animal dont le labeur a pour fin d’entretenir jour après jour  la vie, grâce à une rémunération ou à un salaire et l’homo faber, celui qui, parce qu’il fabrique une œuvre, devient véritablement un homme. Cette œuvre aménage le monde que les hommes habitent et qui en effet ne paraît comme monde que s’il y a œuvres, paroles, Muses ou musique, elle le met en place, le dispose, l’érige… tout ce que le mot allemand Herstellen peut connoter.

 La révolution managériale. Management, the managerial Révolution. What is happening in the world, James Burnham a baptisé notre monde du nom de « managérial », dès 1941, il l’a donné à notre temps, et cette science supérieure de l’organisation qui est le cœur même de l’efficacité, est devenue partout aujourd’hui dominante. Mais en même temps s’est installé un nouveau régime de domination plus intense, plus continu, plus immanent qui a complètement transformé notre rapport au travail. La hâte au travail jusqu’à l’essoufflement, véritable « vice du nouveau monde » est en train de « barbariser la vieille Europe » avait déjà prophétisé Nietzsche. 

D’une façon générale, le management est la manière dont se déploie la technique et s’étend le règne de l’efficience (Machenschaft), de l’empire du se faire qui répond à la détermination monstrueuse de l’être comme puissance qui n’est telle qu’en tant que perpétuelle montée en puissance (Ermâchtigung[14]. Elle exige une organisation totale et les totalitarismes du XXeme siècle ont pu en donner une terrifiante image. En s’emparant du mot « organisation » notamment dans sa connotation biologique (l’organisation s’identifie à la vie comme organisme), les nazis allaient même en tirer les conséquences criminelles que l’on sait et donner naissance pour la première fois dans l’histoire de l’humanité à un crime biologique. Comme exemples  d’organisation et de mobilisation du matériel humain ou de fonds humain disponible (menschliches Bestand) Heidegger donne la SA et la SS[15]. L’Organisation exige d’abord un éclatement technique en spécialités éradiquant tout savoir véritable et toute concurrence sur le plan général de la vision du monde, elle exige des spécialistes, des spécialistes en propagande ou en rigoureux timing ferroviaire comme l’était, par exemple, Eichmann. L’organisation du système concentrationnaire lui-même ne s’appuiera ni sur des fanatiques, ni sur des criminels congénitaux, ni sur des sadiques mais sur des gens normaux gouvernés par une logique de rentabilité et d’efficacité qui génère très exactement ce que Hannah Arendt a appelé la banalité du mal, forme barbare et  irrationnelle de rationalité[16]

Ce détour par le nazisme n’en n’est pas vraiment un car le nazisme, comme vient justement de le montrer l’historien Johann Chapoutot a bien été le laboratoire du New Public Management. En témoigne le cas exemplaire du général de la SS Reinhard Höhn qui s’est retrouvé, après l’armistice, à la tête d’un think-tank allemand qui formera 700 000 managers. Dans l’horizon d’un darwinisme social (lutte pour la vie et sélection des plus aptes) alors dominant dans le Reich, en opposition avec la bureaucratie verticale, écrasante et tatillonne du bolchevisme qui dominaient ailleurs autoritairement l’organisation du travail, s’est développé, après la guerre, dans l’Allemagne libérée mais nullement dénazifiée, un « management par délégation de responsabilité », fondé sur le culte de la Leistung, de la performance individuelle que célébrait aussi en Amérique la « psychologie positive » du self-help,celle de Martin Segelman (promoteur du « développement personnel), Leistung qui donnait toute sa place à l’esprit d’initiative, de sorte que chaque membre de l'entreprise était « libre d’obéir »[17].  Ce terrible oxymore provoque aujourd’hui encore la pathologie désormais galopante des burn out chez les employés soumis à ce double bind ou à cette injonction contradictoire, (libre de réussir en exécutant un « objectif » qu’on n’a pas décidé soi-même mais dont on sera tenu comptable). Toutefois, le management comme on traduit en anglais le Menschen Führung n’est évidemment  pas d’essence nazie et il ne s’agit pas une fois de plus de procéder à une reductio ad Hitlerum suivant l’expression de Leo Strauss. Chapoutot n’atteint pas le « point Godwin » en cherchant à disqualifier ses adversaires par une comparaison toxique impliquant le nazisme. Il note simplement  des correspondances, un  langage commun assez troublant et le signe d’une compatibilité effective entre le nazisme et l’entreprise capitaliste. Dans les deux cas, plus qu’une pulsion meurtrière, l’oubli de « penser par soi-même » et l’obéissance aveugle à des procédures fixées par des textes administratifs sont responsables des pires crimes : la tragique « banalité du mal ». En France on n’oubliera jamais la vague de suicides provoquées en 1990 par la réforme managériale de France Télécom ni la souffrance que cette même réforme continue de générer dans toutes les entreprises et à tous les niveaux du monde du travail. La précarisation du travail, l’individualisation du travail que, depuis la crise du COVID, le télétravail et l’apparente flexibilité qu’il permet ne fait que développer, l’injonction permanente à être résilient, réactif, à en faire toujours plus dans une fuite en avant qui est devenue comme la loi du monde moderne, est à la base de ce que la sociologue du travail Danièle Linhart a appeler « la précarisation subjective du travail »[18]. Avec le télétravail jamais les employés n’ont été si surveillés, aussi fliqués et il a fallu légiférer pour que les managers à distance tolèrent que l’on fasse des pauses, que l’on prenne soin de soi, que l’on se soit plus tenu d’allumer sa webcam toute la journée ou que fonctionne non stop les enregistreurs de frappe.   

Tout se passe comme si la Berechnung, la computation à l’américaine, la Plannung, la planification à la soviétique, la Züchtung, la discipline ou l’élevage à la national-socialiste avaient convergé et s’étaient conjugués pour venir alimenter et grossir le « le déchaînement du management scientifique[19] ».  Il ne faut pas s’étonner si ces règles rigides finissent par épuiser les travailleurs comme s’il fallait que se prépare en silence l’arraisonnement (Gestell) total de l’étant dont parle Heidegger[20] ou le règne inconditionnel de la puissance qu’avait déjà illustré à merveille le film Metropolis de Fritz Lang.

 Avec le quiet quitting, avec la grève silencieuse du zèle, les jeunes ont pourtant depuis longtemps compris que la vie ne tournait pas autour du seul travail, que leur valeur n’était pas fonction de leur productivité., que le hors travail comptait plus que le travail. Incriminer leur paresse est une réduction psychologique moralisatrice qui passe à côté l’organisation du travail qui était potentiellement productrice de souffrance et de l’inversion des valeurs qui est en train de se produire aujourd’hui où l’on ne veut plus travailler plus pour gagner plus mais avoir plus de temps libre quitte à gagner moins. Les travailleurs[21] en France, quelques soient leurs branches (agriculture, industrie, commerce, service…) étaient attachés à leur travail. Leur rapport au travail n’était pas un rapport froidement contractuel dans lequel l’employeur décidait de tout comme c’est le cas dans l’Europe du Nord, c’était d’abord une question qui engageait leur honneur, qui fondait leur identité qui rendait possible leur reconnaissance et cela expliquait la haute productivité du travail que l’on reconnaissait aux Français… Malgré l’automation et la réduction de la durée de la journée de travail, la modernisation managérialeintervenue en France dans les années 80, en ne retenant que des critères de rentabilité, en mettant en concurrence systématique employés et entreprises, en faisant du travail une épreuve individuelle ou chacun se retrouve en quête de sens et de valeur,  a transformé les employés en ces « horribles travailleurs » au mal-être insistant et profond dont Rimbaud avait prophétisé la venue. On leur demande de se dépasser et de jour en jour d’en faire toujours plus pour un travail qui est pensé par les autres mais qui, pour eux, est sans réelle signification ni finalité sociale. Le recours toute l’année et à tout propos à l’évaluation, à la sanction possible de la «note », achève de soumettre, d’infantiliser les employés et de verrouiller la prison virtuelle et invisible dans laquelle tentent de les enfermer une société de surveillance et de contrôle[22].  Atomisés, ayant perdu les liens de solidarité partagés au sein d’un collectif que connaissaient leurs prédécesseurs, ils n’en peuvent plus et se retrouvent souvent seuls face à une réalité qui les épuise et qui les broie, tous les échanges et les interactions sont devenus productifs, les cours de Pilates et les food ttuck ne pouvant pas vraiment donner le change. Soumis aux exigences démesurées et arbitraires d’une hiérarchie qui ne les respecte plus, privés de  culture d’entreprise, ils ne maîtrisent plus rien et vivent avec un sentiment d’isolement, d’impuissance et d’abandon, avec la peur panique  permanente de risquer de se retrouver à la rue. Ils n’ont plus de bureau attitrés avec des repères  spatio-temporels de personnalisation et de socialisation, ils n’ont plus de casier, la réduction de l’empreinte immobilière a généralisé le flex office dans un open space  impersonnel, aseptisé et bruyant où tout le monde, quand il ne tourne pas s’épie dans un lieu de passage où chacun se sent interchangeable au profit des hub, des espaces de coworking,  ils travaillent chez eux à n’en plus finir, ils sont chacun chez soi, ils ne voient plus personne, les journées se fragmentent, s’allongent, s’intensifient et ils finissent par prendre conscience qu’avec ce bouleversement managérial, ils sont entrés dans une nouvelle forme de vie, dans un dispositif (Gestell, le ge dit le rassemblement de tous les modes de position Stellen, poser les choses en les sommant de se livrer), dispositif de prévention, dispositif de mise en ordre pour rendre toute chose disponible, dispositif de sécurité, de productivité, de sommation pour la consommation, dispositif du compte à rendre, dispositif du télétravail à plusieurs vitesses selon les genres et selon la place que l’on occupe dans la hiérarchie … le dispositif n’est aucunement le produit de la machination humaine mais il est ce qui nous est adressé de telle sorte qu’à la limite, dans le marché de la production-consommation on pourra bientôt se passer de l’humanité de l’homme.  Nous sommes à une époque où tout doit être à disposition  moyennant le compte d’une commande, d’une provocation, d’une mise à demeure de sorte que nous sommes moins face à des objets qu’à des biens de consommation, biens de consommation « à notre disposition », notre époque est bien celle de la disponibilité Bestellbarkeit). De même que la nature est mise en demeure de fournir l’énergie et qu’elle comparait comme réservoir d’énergie de même le manager aime à tenir l’intégralité de son équipe dans le champ de sa vision, de la mettre à la raison , au régime de la raison qui exige de toute chose qu’elle donne sa raison

Que n’accepteraient-ils pas pour libérer du temps pour eux et voilà qu’on leur demande de travailler plus longtemps ! La démocratisation du télétravail et le succès considérable de l’introduction expérimentale de la semaine de 4 jours au Royaume uni montre que, sans pourtant changer de paradigme, le souci du bien être, de la qualité de vie des salariés, que la prise en considération du sens de leur travail, de leur capacité d’initiative et de leur équilibre personnel a plus d’effet sur la productivité du travail elle-même et qu’elle sans commune mesure avec les apologues lyriques usés des politiques sur le sens de l’effort, sur les incitations répétées au sacrifice, sur la glorification de la « valeur travail ».  Aujourd’hui c’est en globish que l’on s’exprime et que l’on se soumet aux Process édictés par l’entreprise, et que, montre en main, on a les yeux fixés sur les indicateurs de performance, la Key Performance Indicator.  Le haut degré de refus de la réforme des retraites n’est que l’expression du mal être provoqué par la « précarité subjective » de ce nouveau rapport au travail qu’a induit, depuis plus de 40 ans,  l’installation progressive d’un nouveau régime de domination et de contrôle dissimulé qu’est le modern management.

La monde social en crise n’est lui-même que le modèle réduit d’un dispositif plus large et plus général qui fait que c’est le monde lui-même que l’on considère comme des fonds ou des ressources disponibles et exploitables (Bestände dit Heidegger par opposition au face à face du Gegenstand, de l’objet), fonds de matière premières, fonds d’énergie, fonds d’informations, fonds de liquidités financières, etc…)  qui sont toujours prêts à remplir quelques fonctions commandées par l’appareil d’ensemble de la sommation, car tel est le Gestell, le signifiant majeur que l’on a aussi traduit par dis-positif,  mot qui vient de stellen, poser les choses en les sommant de se livrer ou encore par arraisonnement. Dans ces fonds on peut indéfiniment puiser pour générer de la croissance et du profit. Produire pour produite en rivalisant de zèle sans savoir vraiment où l’on va, capter par forçage en imposant de travailler toujours plus, jusqu’à l’épuisement, voilà la chasse à courre, à cor et à cri, qui doit se poursuivre coûte que coûte, sans relâche et dont témoigne l’inflexibilité d’un président à l’évidence plus à l’écoute du Gestell que de son peuple. L’extension du modèle managérial au domaine public, la généralisation de la « forme entreprise », la volonté initiale explicite de faire de la France une « start up Nation » dans laquelle pourrait ptévaloir bonnes volontés, performances individuelles et « innovantes » ont trouvé dans cette réforme sa manifestation la plus claire et la plus exemplaire en même temps que son inexorable chute.

Raisonnable cette réforme des retraites ? elle l’est sans doute à certains égards -on ne peut rester étranger longtemps au principe de réalité, à l’exigence d’un retour à l’équilibre des comptes publics- mais le fou écrivait Gilbert Keith Chesterton, n'est pas un homme qui a perdu la raison. Le fou est un homme qui a tout perdu sauf sa raison. Or comment ne pas entendre gronder ici le mécontentement, monter les affects de colère auxquels la rationalité néo-libérale qui gouverne l’Etat comme on gère une entreprise -en méconnaissant la dimension conflictuelle de la vie démocatique- reste sourde ? Comment ignorer qu’aujourd’hui le travail est de nouveau fui comme la peste, que l’idée même de travailler deux ans de plus dans ces conditions inhumaines est devenu insupportable ?  N’est-ce pas ce qui motive une explosion sociale sans précédent qui ne manque pas de stupéfier nos voisins européens ? Plus que cette question des retraites d’autant plus impopulaire qu’elle a ses gagnants et ses perdants qu’elle est mal conçue, jouant sur un seul paramètre, mal introduite, mal présentée, ce sont le travail, les conditions du travail, le sens du travail lui-même, sa place dans notre vie qu’il faut examiner et réformer et inclure dans une nouvelle réforme managériale, si tant est que l’on puisse encore utiliser ce mot. A cette inquiétude existentielle concernant les conditions d’un travail devenu, dans une société de surveillance et de contrôle, toujours plus pénible, il faut d’abord répondre car c’est elle qui motive l’ardeur d’un peuple en colère qui aurait alors bien des raisons de s’approprier maintenant la verdeur juvénile et sans condition d’un cri, celui de Rimbaud : travailler maintenant, jamais, jamais, je suis en grève. Si nous ne prenons pas le problème du travail en son amont, soyons en assurés, viendront d’autres horribles travailleurs


[1] Avec l’allongement considérable de l’espérance de vie, le déséquilibre entre actifs et retraités est patent, notre système par répartition fondé sur la solidarité inter-générationelle n’en n’a plus pour longtemps, le système de retraite par capitalisation est en embuscade et va progressivement le remplacer comme c’est déjà le cas en Hollande. Il s’agissait aussi de rassurer l’Europe sur l’orthodoxie budgétaire de la France ainsi que les marchés financiers qui financent encore à bas coût une dette devenue abyssale (300 milliards d’euro).

[2] Qui tente d’agir sur le seul levier de l’âge de la retraite et non sur le taux de cotisation, le montant des pensions, la durée de cotisation, les sources possibles de financement (une contribution de 2% des plus hauts revenus proposée par  Thomas Piketty suffirait largement à retrouver l’équilibre…)

[3] « À la vérité, le règne de la liberté commence seulement à partir du moment où cesse le travail dicté par la nécessité et les fins extérieures ; il se situe donc, par sa nature même, au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite. Tout comme l’homme primitif, l’homme civilisé est forcé de se mesurer avec la nature pour satisfaire ses besoins, conserver et reproduire sa vie ; cette contrainte existe pour l’homme dans toutes les formes de société et sous tous les types de production. Avec son développement, cet empire de la nécessité naturelle s’est élargi parce que les besoins se multiplient ; Mais en même temps se développe le processus productif pour les satisfaire. Dans ce domaine, la liberté ne peut consister quand ceci : que les producteurs associés, l’homme socialisé, règlent de manière rationnelle leurs échanges organiques avec la nature et les soumettre à leur contrôle commun au lieu d’être dominé par la puissance aveugle de ces échanges ; et qu’ils les accomplissent en dépensant le moins d’énergie possible dans les conditions les plus dignes, les plus conformes à leur nature humaine. Mais l’empire de la nécessité n’en subsiste pas moins. C’est au-delà que commence l’épanouissement de la puissance humaine qui est sa propre fin, le véritable règne de la liberté qui cependant ne peut fleurir qu’en se fondant sur ce règne de la nécessité. La réduction de la journée de travail est la condition fondamentale de cette libération ». Le Capital 1867,trad. J. Roy, revue par M. Subel ; Le processus d'ensemble du capital, trad. M. Jacob, M. Subel, S. Voute, in Oeuvres, tome II. Économie, II, Bibliothèque de la Pléiade, Éd. Gallimard, pp. 1487-1488..

[4] Mais ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l'imagination du travailleur. Le Capital, tome 1, livre 1, 3e section, chap. VII, p. 139-140, Éditions sociales, 1983, comment mieux déterminer la puissance de l’idéalisme ?

[5] La nature aliénée du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu'il n'existe pas de contrainte physique ou autre, on fuit le travail comme la peste. Manuscrits de 1844.

[6] Travail et ennui. — Dans les pays de la civilisation presque tous les hommes se ressemblent maintenant en ceci qu’ils cherchent du travail à cause du salaire ; — pour eux tout le travail est un moyen et non le but lui-même ; c’est pourquoi ils mettent peu de finesse au choix du travail, pourvu qu’il procure un gain abondant. Or il y a des hommes rares qui préfèrent périr plutôt que de travailler, sans que le travail leur procure de la joie : ils sont minutieux et difficiles à satisfaire, ils ne se contentent pas d’un gain abondant, lorsque le travail n’est pas lui-même le gain de tous les gains. De cette espèce d’hommes rares font partie les artistes et les contemplatifs de toute espèce, mais aussi ces désœuvrés qui passent leur vie à la chasse ou bien aux intrigues d’amour et aux aventures. Tous ceux-là cherchent le travail et la peine lorsqu’ils sont mêlés de plaisir, et le travail le plus difficile et le plus dur, si cela est nécessaire. Mais autrement ils sont d’une paresse décidée, quand même cette paresse devrait entraîner l’appauvrissement, le déshonneur, les dangers pour la santé et pour la vie. Ils ne craignent pas autant l’ennui que le travail sans plaisir : il leur faut même beaucoup d’ennui pour que leur travail puisse leur réussir. Pour le penseur et pour l’esprit inventif l’ennui est ce « calme plat » de l’âme qui précède la course heureuse et les vents joyeux ; il leur faut le supporter, en attendre l’effet à part eux : — c’est cela précisément que les natures moindres n’arrivent absolument pas à obtenir d’elles-mêmes ! Chasser l’ennui de n’importe quelle façon, cela est vulgaire, tout comme le travail sans plaisir est vulgaire. Les Asiatiques se distinguent peut-être en cela des Européens qu’ils sont capables d’un repos plus long et plus profond que ceux-ci ; leurs narcotiques même agissent plus lentement et exigent de la patience, à l’encontre de l’insupportable soudaineté de ce poison européen, l’alcool.

[7]HTH, I, § 283 cité in Philo. Magazine sur le travail, n°167, p. 56.. Aurore, Les apologistes du travail, § 173. Gai Savoir. Loisir et oisiveté § 329

[8] Lettre du voyant, 13 mai 1871.

[9] Rimbaud, révolution, édition L’échappée. Entre le « changer la vie » de Rimbaud et le « transformer le monde » de Marx.

[10] Illuminations, Soir historique. « La société du spectacle » est déjà là…

[11] Une saison en enfer, Matin.

[12] Le bateau ivre

[13] Le mal, Poésies, 1870.

[14] « En son sens premier, la seigneurerie (Herreschaft) n’a pas besoin de puissance, elle déploie sa vigueur de par la dignité qui n’a pas besoin pour être d’avoir quelque chose  en dessous de soi ou contre soi »elle s’identifie avec « la grâce de l’être » écrit Heidegger, GA 66, 192-193. In Dictionnaire Heidegger, p. 800.

[15] Cf., Le dictionnaire Heidegger, Le Cerf, 2013, p. 931. A l’époque de la domination effrénée de la technique n’est-ce pas aujourd’hui la Chine de Xi Jinping, incarcérant ses Ouïghours et imposant à tous la culture Han, qui est en train de porter à sa plus haute puissance la Mobilisation totale de toutes les forces de l’Etat ? Jünger ici  n’avait-il pas vu juste ?

[16] Expression de Henry Mintzberg in Le Management. Voyage au centre des organisations

[17] Libre d’obéir, Gall., 2020.

[18] Une précarisation subjective du travail ? Réalités industrielles, Annales des Mines, Fev. 2011.

[19] Pierre Legendre, La fabrique de l’homme occidental. Les mille et une nuits.

[20] L’irrésistible tendance à tout soumettre sans condition au calcul, au fonctionnement et à la masse écrasante de l’organisation, de l’information, de l’automatisation  d’une pensée vidée de tout sens permet d’assurer la planification  efficace de l’étant en totalité et de mobiliser le matériau humain ce que porteront à sa perfection les totalitarismes. La computation est la forme que prend la pensée dans le monde de la technique. La  pensée calculante dans la sphère technico-économique prend alors la forme de l’impératif exclusif du rendement, de l’appel nécessaire à l’expertise et explique que l’on ramène l’avenir d’un pays à un ensemble d’indices dont fait parti le capital humain. Cf., Dictionnaire Heidegger passim.

[21] Il faudrait entendre par ce terme non un état social, base de l’utilité commune mais ce que désigne Ernst Jünger dans son livre, salué par Heidegger, Der Arbeiter : le soldat, le sportif, le penseur sont aussi des travailleurs et le travailleur est la nouvelle détermination de l’humanité telle qu’elle s’accomplit dans la maîtrise de la réalité dans un monde ivre de sa surpuissance, monde auquel plus personne n’échappe. La volonté de puissance nietzschéenne s’accomplit pour Jünger sous la figure du travail qui mobilise le monde en sa totalité au point d’en assurer la dévastation. La productivité sans cesse croissante du travail moderne  créé sans cesse ce surplus exigé par la volonté pour maintenir sa domination en vue de toujours plus de puissance dans la production. La volonté de volonté- disait Jean Beaufret, est l’avènement sans réserve de la planification, de la répartition des tâches, de la spécialisation spécialisation…  rn vue de quoi ? en vue de quoi ? en vue de planifier, de répartir des taches, de spécialiser…  Jusqu’où ? Jusqu’au bout. An bout de quoi ? au bout de rien d’où l’étrange locution de volonté de volonté ».

[22] Deleuze, Hardt et Negri ont repris et réélaboré les concepts de Foucault dans « Surveiller et punir » (1975). « Le contrôle des personnes s'effectue « non plus par enfermement, mais par contrôle continu et communication instantanée »1 et « les mécanismes de maîtrise se font […] toujours plus immanents au champ social, diffusés dans le cerveau et le corps de citoyens ». Le réseau ramifié de dispositifs souples et insidieux d’une surveillance réticulaire que la discipline générale de la société a trouvé consonne très précsiement, jusque dans le vocabulaire, avec le Gestell, avec le dispositif,avec cet appareillage d’ensemble (Ge) de la sommation (Stellen) au maillage toujours plus serré que Heidegger a pensé à partir des années 1940.  A l‘ère de la mondialisation et de ses réseaux proliférant de circulation, de transaction et de communication nous sommes soumis à des impératifs, des contraintes, des expertises, des contrôles continus concernant le fonctionnement, la compétence, la performance, l’efficacité, la productivité, l’optimisation, la qualité, le rendement, l’injonction publicitaire à la consommation dans l’usure… Et c’est ainsi qu’avec le plein pouvoir donné à la puissance s’accomplit le règne de l’efficience (Machenschaft) où tout ce qui peut être fait sera fait, l’homme, comme sujet auto-produit, étant devenu le seul maître de la puissance totale et inconditionnée de faire.

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