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Chapelle du Saint Esprit

Chapelle du St Esprit

 

Il est significatif que la sortie du livre sur Quinson et l’annonce de la fondation d’une nouvelle association se fassent devant le local de l’office du tourisme qui se trouve être l’ancienne chapelle du Saint Esprit. Pour nous, en tous cas, pour nous pour qui  le présent est toujours grave, c’est-à dire lourd, lesté de sens et chargé de la toute puissance du passé, cela mérite d’être souligné.

D’abord cette chapelle appartenait vraisemblablement à une confrérie, peut-être celle des pénitents blancs, ou gris, ou noirs ou rouges. Or ce soir nous vous présentons une nouvelle équipe, une nouvelle association, une nouvelle confrérie que l’on pourrait appeler celle des pénitents verts puisqu’elle est soucieuse de préserver l’environnement et que, comme les sociétés d’entraide du passé, elle a souci du monde, souci du monde commun à tous, résolue qu’elle est à sauver l’identité du village traversé de plus en plus par des flux délétères et victime des agressions diverses de la modernité.

Cette confrérie présentons-la : elle s’appuie sur le dynamisme incomparable des Pourrières-Grimaldi, famille en qui j’ai mis toute ma confiance : l’expérience d’une collaboration presque quotidienne étalée sur des années m’en a convaincu. Et ce sont eux un fois de plus qui ont tout organisé ce soir. Cette association compte aussi sur la compétence de jean Mouly qui, pour des raisons personnelles ne pourra pas être ici avant la fin du mois. Mais c’est lui qui a donné son nom de Janus à notre association, c’est lui aussi qui donne les conseils bénévoles de l’architecte et de l’historien à tous ceux qui désirent construire sans faire violence au pays. Cette association  s’appuis également sur le travail de bénédictin -eh oui, il y a un bénédictin dans la confrérie !- de Claude Vinchon qui connaît mieux que personne les archives et l’état civil du village, sur l’attention rigoureuse de Jenny Hall qui dans l’ombre veille, corrige, rectifie tous les textes .

Cette chapelle abritait donc une confrérie et elle est dédiée au Saint Esprit. Et cela aussi fait sens pour nous aujourd’hui.

L’esprit saint est dans la théologie chrétienne la troisième personne de la trinité, celle qui unit le Père au Fils dans une relation d’amour. Pour Joachim de Flore, moine cistercien de Calabre a annoncé au XIIe siècle que nous étions entrés dans le troisième âge du monde : après  le temps du Père, (celui du mariage, des patriarches et de l’Ancien Testament) après, le temps du Fils (c’est celui des clercs et du Nouveau Testament), voici venu le troisième temps, le temps du Saint Esprit, le temps des moines et des confréries[1]. Est-il permis de voir dans ce très grand mystère , d’une façon très laïque, une figure de l’union que nous voudrions établir entre nous et ceux qui ne sont plus, entre les étrangers et les autochtones, entre la France d’en haut et la France d’en bas entre les adultes et les plus jeunes enfin ? Je reviens rapidement sur ce quintuple rapport :

1-   Certains se demandent d’où vient notre ardeur, notre zèle, s’interrogent sur ce qui nous motive, i.e. sur ce qui nous met en mouvement pour réaliser par exemple cet ouvrage qui nous a demandé entêtement et persévérance  et beaucoup de doigté : nous qui n’aimons pas les légendes dorées et les saint sulpiceries nous n’avons pas voulu gommer la part d’ombre du réel, nous avons cent fois réécrit le texte pour ne pas froisser personne. Mais il n’y a pas de petit intérêt qui se cache derrière cette entreprise de longue haleine, ni le goût du pouvoir, ne celui des honneurs ni l’appât du gain ou le désir de richesse. Ce travail nous a plutôt coûté et ne nous rapportera pas un sous. La marge bénéficiaire qu’on nous a autorisée à prélever sur les ventes effectuées ne profitera qu’à l’association.

Pour parler de notre travail, Mathieu à parler d’un echange de don ou de cadeau. C’est en effet le langage qui convient car, à la différence des relations commerciales avec lesquelles  s’éteignent immédiatement les dettes (payer vient de pagare éteindre), ce sont les dons et les contre-dons qui fondent, entretiennent et nourrissent le lien social. C’est donc pas la grâce que nous avons répondu à la grâce ou à la faveur qui nous a été faite par le village de nous accueillir et de nous informer : en faisant ce livre nous avons répondu au don qui nous a été fait et au don que maintenant nous faisons en publiant ce livre nous n’attendons pas d’autre bénéfice que celui de votre reconnaissance : honneur rendu et respect partagé. Notre plus belle histoire d’amour c’est vous.

2-   La chapelle du Saint Esprit est la chapelle de l’ancien cimetière. On y entreposait naguère les morts lorsque la terre gelée ne permettait pas qu’on les inhume. Elle est encore adossée à la colline où se trouve le nouveau cimetière. Et comme on le rappelle dans le livre mis en alerte par la présence du nouveau musée, cela fait 100.000 ans que l’homme –c’était l’homme de Néanderthal- met en terre, inhume le corps de ses semblables et c’est ce rite qui nous a donné peut-être notre nom d’homme : inhumare humanum est. Relier les morts aux vivants, assurer le relais, la transmission de la tradition est un motif récurent de notre ouvrage. C’est aussi ce qui donne son sens et sa raison d’être à toute société qui sans cela entrerait irrémédiablement en déshérence  et se décomposerait. « Ah c’est vous qui vous intéressez à toutes ces vieilleries ! » m’avait dit perfidement une dame de Quinson aujourd’hui disparue. Mais non ces vieilleries ne sont pas seulement des vieilleries, ce ne sont pas seulement les morts qui enterrent les morts et qui leur bâtissent des tombeaux et leur dressent des stèles. Rien ne nous obsède que la vie et c’est parce que la vie que nous avons reçue nous obsède que nous faisons retour sur le passé en cherchant à savoir et à nous souvenir d’où nous venons. Non pour être changé en statut de sel mais pour mieux aller de l’avant.

3-   Le Saint Esprit cela pourrait être aussi le trait d’union qui réunit les étrangers aux autochtones et, à cet égard, force est de reconnaître que les choses sont assez réussies. Non seulement Ismaël Masseboeuf et Yvonne Maubert ony rapidement surmontés la méfiance légitime qu’ils pouvaient nourrir à l’égard des nouveaux venus que nous étions alors, mais depuis la première exposition d’anciennes photos, toute notre entreprise s’est scellée autour d’un accord : entre une des plus vieilles familles de Quinson, les Pourrière et moi-même qui suis aussi un voyageur errant et sans patrie. Maintenant que la ville est plus en plus le lieu d’un retour barbare à l’incivilité, les citadins qui ont trouvé ici une demeure connaissent avec les ruraux et grâce à eux une nouvelle et très humaine civilité.

4-   Le trait d’union il existe encore entre des gens de formation différente. Ce livre est le fruit unique de mon éducation, de ma culture, de mon expérience mais je constate que ceux qui n’ont pas reçu la même formation que moi ou une formation différente et nullement littéraire, l’ont généralement lu avec plaisir et sans difficulté.

5-    Le Saint Esprit est aussi ce qui devrait unir et réunir, attacher et rattacher les générations entre elles. Or là on est bien obligé de constater que nous vivons une grave crise de la transmission et qu’il devient de plus en plus difficile, pour les jeunes, de passer à l’âge adulte. Les jeunes générations ne supportent plus l’enfermement de l’école, ne supportent plus que leurs aînés leur donnent ce qu’eux mêmes ont reçu : il voient cela comme une contrainte et une atteinte à leur liberté. Ils ne se reconnaissent plus que dans le néant, le tout petit néant du Loft sans ombre et sans écho sur lequel trente siècles d’histoire et de culture n’ont pas laissé la moindre trace. Mais rien n’est pourtant absolument désespéré, il y a par exemple au village quelques jeunes qui s’intéressent à ce que nous faisons. L’avenir n’est donc pas fermé : le vent, -le vent paraclet- ne souffle t-il pas où il veut ? Que ce mot de la fin sonne comme une ouverture !



[1] « le Saint-Esprit, écrit-il, c'est l'amour de Dieu; celui qui n'a pas l'amour n'a pas l'esprit. L'amour cherche l'amour, et comme il ne peut être où est la haine, l'Esprit n'est pas où n'est pas l'amour. La haine enracinée dans un cœur c'est la mort, c'est elle qui fit de Caïn l'assassin de son frère. » Dans le premier âge les choses arrivent carnaliter, dans le second literaliter, et dans le troisième spiritualiter, Jünger pense que le terme literaliter pourrait être, dans notre contexte, remplacé par celui d’historique (Le mur du temps, 1963).

« Au seuil même de la culture occidentale est apparu le grand Joachim de Flore, le premier penseur à la hauteur de Hegel ; anéantissant la vision du monde dualiste d'Augustin, avec le bon sens d'un véritable gothique de la nouvelle chrétienté, il a opposé son troisième âge à la religion de l'Ancien et du Nouveau Testament : l'âge du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Il a ébranlé les meilleurs franciscains et dominicains, Dante, Thomas d'Aquin, et suscité une vision du monde qui a lentement marqué la vision de l'histoire de notre culture. » Oswald Spengler, Introduction au Déclin de l'Occident, ch. 7, Munich, 1923.

 

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