Créer un site internet

Rousseau

 

 

ROUSSEAU ET LE DESASTRE DU NÉOLITIQUE

 

 

 

 

 

 

La marche au combat, Cingle de la Mola Remigia, -1200, Catellon, Espagne

 

« ô homme de quelque contrée que tu sois, quelles que soient tes opinions, écoute, voici ton histoire ». Rousseau, Pléiade, OC III, p 133.

 

Marx voyait dans le communisme c’est-à-dire dans une histoire enfin voulue et maîtrisée, la fin de l’histoire subie, ou plutôt, comme il le disait métaphoriquement, la fin de la préhistoire de l’homme[1].

Plus d’un siècle avant, en 1755, Rousseau, dans le deuxième discours, le Discours  sur l’inégalité, nous avait proposé un schéma de l’histoire de l’homme totalement contraire puisque c’est sur l’abîme et non plus sur l’accomplissement ou l’apothéose que donnait cette histoire. Et si nous autres modernes, devenus si réservés sur la possibilité de voir le monde changer de base, étions disposés plus que jamais, à entendre avec faveur le discours rousseauiste ? Et si Rousseau, souvent taxé indûment de primitiviste[2], avait déjà tout compris du drame qui s’est noué, qui s’est joué à la préhistoire, au Néolithique ?

 

Et bien sûr on pourra toujours continuer à se gausser de celui auquel on attribue le mythe du « bon sauvage » et à la lecture duquel, disait déjà Voltaire « il prend envie de marcher à quatre pattes »[3].  C’était là  pourtant faire bon marché de l’économie du texte et oublier que l’état de nature où l’homme vit dispersé n’a sans doute jamais existé et qu’il n’est, pour Rousseau, qu’une hypothèse heuristique permettant de distinguer, en dehors de toute intervention surnaturelle, ce qui relève de la nature et ce qui est un fait de culture. Pour que cessent ces malentendus doublés de tant d’ingratitudes, pour pouvoir lire Rousseau au-delà de ses formules parfois trop véhémentes, pour le prendre, comme philosophe, au sérieux, il a fallu attendre Kant, de même qu’il faudra attendre Lévi-Strauss pour qu’un homme de science dise enfin se reconnaître dans le plus ethnologue[4] des philosophes. 

Mais c’est surtout en lisant les préhistoriens, en écoutant notamment, au musée de Préhistoire de Quinson, J. Courtin parler du néolithique que l’actualité de Rousseau nous a semblé tout à coup être devenue évidente et que le rousseauisme diffus et latent de certains préhistoriens nous est apparu, rousseauisme que nous voudrions examiner et interroger plus avant.

L’anthropologue Alfred Métraux invoquait volontiers la « nostalgie du néolithique » pour expliquer l’intérêt que les sociétés contemporaines portent aux sociétés traditionnelles. Tout en se méfiant de la dérive possible de cette nostalgie vers ce qu’il appelait un « rousseauisme facile », c’est-à-dire une version un peu niaise de la mythologie du « bon sauvage » ou de la croyance au bonheur adamique d’avant la chute, il finissait pourtant par avouer .  « Il me semble que l’humanité a peut-être eu tort d’aller au-delà du néolithique»[5] . L’ethnologue, disait M. Mead, est celui qui ne se sent bien ni dans sa peau ni dans sa société et il n’est sans doute pas d’ethnologue qui ne  garde au fond de lui comme un sourd regret de s’être éloigné d’un univers séparé de nous, plus encore que par les millénaires, par la disparition d’un ensemble de traits devenus progressivement incompatibles sinon avec le Néolithique, du moins avec la poursuite de la révolution néolithique. Et toute notre culture reste dominée par le récit de la perte, perte du secret d’un accord originel entre l’homme et son milieu naturel et ce deuil de l’origine se traduit par une nostalgie, mot marqué à tout jamais par le mythe odysséen. Quand, dans une société atomisée par le progrès et frappée d’anomie, on ne sait plus ni ce qu’on fait ni où l'on va, alors n’est-il pas naturel de chercher à retrouver du côté des sociétés traditionnelles ce que nous croyons avoir perdu  ? Mais faut-il pour autant valider l’expression : nostalgie du néolithique ? Pour avoir vécu quelques temps en Amazonie dans une société semi-nomade dont le mode de vie relevait d'une certaine façon à la fois de celui que connurent les hommes du Paléo et du  Néolithique[6], je ne suis pas porté à insister sur cette une distinction pourtant capitale, mais quand Rousseau parle de « société commencée », de celle qui a réellement existé il est clair qu’il s’agit plutôt de société du Paléolithique. Parler de « nostalgie » par ailleurs ne va pas sans ambigüité. Si, comme le mot l’indique, la nostalgie c’est le mal (algos) du retour (nostos), celui qui transit Ulysse pendant tout son périple, alors on peut dire que, malgré les images souvent élégiaques que Rousseau donne des choses révolues, il n’y a pas vraiment de « nostalgie » chez Rousseau qui affirme très clairement et de façon péremptoire : « La nature humaine ne rétrograde pas et jamais on ne remonte vers les temps d’innocence et d’égalité quand une fois on s’en est écarté »[7].

etour au village

Retour au village. Quand on nomadise, on ne porte pas plus d’un enfant à la fois. les Chikrins, Brésil, 1971. Photo FW

 

Le terme de néolithique (apparu en 1865) était bien sûr ignoré de Rousseau mais l’événement qui coupe en deux son discours comme il coupe en deux l’histoire du monde est fortement marqué par l’incipit qui ouvre la deuxième partie : « Le premier qui… ». Que cet événement ait été en réalité relatif, progressif, initié dès le mésolithique (Alain Testart) ou même avant (Emmanuel Guy[1]) et d’époque variable (non synchrone à l’échelle des différents continents) ne change en rien à la différence d’essence qui va désormais séparer deux mondes : l’un dominé par l’économie de prédation, celui des nomades, l’autre par l’économie de production, celui des sédentaires. C’est cette différence qui permit à Vere Gordon Childe (1925), inspiré par le marxisme, de parler de révolution néolithique et de voir, comme Rousseau, dans la « néolithisation » la rupture la plus radicale de notre histoire. Que cette révolution s’accompagne ou même, comme l’a supposé Jacques Cauvin, soit précédée d’un révolution idéologique, on  peut en effet le présumer tant l’opposition entre une économie où l’homme est immergé dans la nature et où, se pensant à travers les animaux, il célèbre dans son « art » la merveille de l’animalité (Bataille) et une économie qui permet à l’homme de soumettre et de domestiquer la nature, présuppose un renversement 

 

Rhinocéros. Grotte Chauvet (aurignacien)

 

complet de mentalités. L’enfouissement délibéré, il y a 8000 ans, du site épipaléolithique de Göbekli Tepe lié aux pratiques des assemblées de répartition des ressources et aux rituels des chasseurs-cueilleurs pourrait bien être une traduction de cette rupture.  Bientôt, à la place de la grande déesse et de la figure mâle du taureau encore si présente à çatal Hüyük, figures par lesquelles l’homme tentait de penser la sauvagerie, le dieu aura la figure du bon pasteur guidant son troupeau avec autorité et c’est dans le ciel qu’il aura son lieu naturel et non dans le monde des profondeurs souterraines de la religion paléolithique et de la tradition chamanique. Elever soigner et nourrir un animal plutôt que de le tuer directement, planter des graines et savoir les conserver entre les récoltes et les semailles plutôt que de cueillir directement des graminées sauvages, cela implique à chaque fois que l’humanité se dé-nature. La perte de l’instant immédiat, de cet immédiat qui caractérisait, selon Rousseau, la spontanéité irréfléchie de la conscience primitive devient irréversible. Avec la réflexion et la conscience de soi, l’unité originelle se déchire et se scinde, la perte de l’innocence, de la naïveté du sentiment et de la simplicité des mœurs devient définitive et l’empire de la médiation étend et généralise son pouvoir. J. Starobinski l’a montré de façon définitive dans La transparence et l’obstacle : « conscience ou sentiment avec soi de la scission » disait Claudel…

 

Personne ne s’est encore vraiment accordé sur les causes de la néolithisation[8] : adaptation aux crises climatiques responsables de disettes à répétition, pratique du sacrifice animal, réponse au stress de la sédentarisation et de la surpopulation (la population mondiale  va passer de quelques centaines de milliers à 7 milliards d’individus), révolution des symboles, pratique cultuelle autour de la femme et du taureau présente dès le PPNA (Pre-Pottery Néolithique A), connaissances accumulées par les cueilleurs... Pour Rousseau seules des causes extérieures, dis-astro, mauvaise étoile, inclinaison de l’axe de la terre[2], revers, malheur infligé par la fortune, « funeste hasard » ont pu nous faire sortir de ce bonheur oisif, de l’âge d’or d’avant le temps, d’avant le temps qui nous met à mort et nous fait sortir du paradis. « Le premier qui… ». L’attaque et l'anathème du deuxième chapitre rapportent l’événement décisif mais contingent qui a fait basculer l’histoire que Rousseau réécrit à sa mode sur le modèle de l’histoire sainte, celle de la chute et de la sortie du jardin d’Eden[9]. « C’est là  ma place au soleil, voilà le commencement et l’image de l’usurpation de toute la terre » disait déjà Pascal en un raccourci fulgurant. Les causes du mal sont donc venues du dehors et elles vont nous transformer en dehors pour, finalement, nous rendre entièrement tributaires du regard des autres et nous faire courir après des biens illusoires. 

« Des années stériles, des hivers longs et rudes, des étés brûlants… exigent  (des hommes) une nouvelle industrie » (O.C. III, p. 165) et les contraignent à travailler, à lutter contre la nature, à connaître la  séparation douloureuse qu’implique le travail, à déployer toutes leurs forces et toutes leurs facultés. Et plus ils aimeront les commodités, plus ils travailleront pour les obtenir et plus la société deviendra la principale consommatrice d'hommes par la violence et le travail. Par contraste avec la sombre destinée et les misères sans nombre qui vont nous être réservées, l’âge patriarcal et communiste  de la « société commencée » antérieure à la propriété (p. 171), l ‘âge des chasseurs cueilleurs dans lequel se rassemblent déjà des familles sous le toit des cabanes et qui correspond à ce que nous appelons  l’époque paléolithique, apparaît à Rousseau, inspiré par les récits des voyageurs qui ont donné une réalité concrète à une rêverie millénaire, comme un âge d’or, comme « la véritable jeunesse du monde ». L’homo sapiens originel parti à la conquête du monde, génétiquement proche des Bushmen d’aujourd’hui, vivait effectivement en famille nucléaire et c’est beaucoup plus tard (au IIIe millénaire AEC) qu’émergera la famille souche et, avec les invasions nomades, la famille communautaire au statut défavorable aux femmes (E. Todd).  "Âge de pierre, âge d’abondance", dira plus tard de façon provocatrice l’anthropologue Marshall Sahlins. Les seules sociétés d’abondance de l’histoire, nous dit-il, ont été celles des chasseurs-cueilleurs qui ne consacraient que trois heures par jour à l’acquisition de leur nourriture alors que les cultivateurs consacrent la journée entière à un travail pénibles[10].  Comme dans un monastère tibétain, ils ne produisaient pas de surplus, ignoraient le luxe, la lutte pour l’appropriation du superflu et pour la reconnaissance, toutes les conditions perverses de la distinction sociale.

 

La découverte à la suite encore d’un « funeste hasard » des avantages de la division du travail va achever d’expulser l’homme de l’oisiveté paradisiaque en le faisant passer d’une économie de subsistance à une économie de production, économie qui va générer un surplus  pour la possession duquel les hommes vont se disputer, entrer en rivalité et… se distinguer. La première division du travail s’effectue par une socialisation du fait biologique de la différence sexuelle dans des groupes humains où la chasse est devenue prédominante, mais c’est avec l’apparition de l’agriculture et de la métallurgie que commence l’aliénation proprement dite, l’aliénation à des activités partielles accompagnées de cette odieuse subordination, de ce chancre honni de la  « dépendance des hommes » et de l’inégalité que Jean Jacques a connu et subi douloureusement dans sa vie avant qu’il ne cherche, dans toute son œuvre, à tenter de l’exorciser[11]. « Ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes et perdu le genre humain » (p. 171), ce bond pordigieux étant aussi le début de la fin. Pour défendre les réserves, le surplus ou le superflu que génère cette « grande révolution », celle que nous appelons néolithique, il va falloir alors délimiter et défendre la terre que l’homme occupe et c’est ainsi que les clôtures vont s’élever, que les villages vont se remparer et que les non possesseurs vont être exclus, car l'appropriation créé la rareté et la division entre possédants et possédés. A terme (c’est la chute du texte), « une poignée de gens (va) regorge(r) de superfluités, tandis que la multitude affamée va manque(r) du nécessaire ».Commence alors avec ce début de hiérarchisation de la société, les disputes et bientôt la violence, les incendies, les massacres, qui comme nous le confirment les données de la préhistoire, vont devenir de véritables institutions[12]. Et l'on ne peut pas dire que l’humanité d’aujourd’hui soit sortie de cet état de nature qui, avec la crise pétrolière et les crises écologiques d'aujourd'hui vont instaurer à nouveau une économie de prédation, mais cette fois-ci féroce et à grande échelle[13]. Rousseau savait bien que l’on ne fonde pas une politique sur l’idée que l’homme est innocent et il a su montrer pourquoi le cosmopolitisme était une chimère.

« La société naissante fit place au plus horrible état de guerre » (p. 176). A l’optimisme anthropologique qui présidait à la description du premier état de nature succède un  pessimisme philosophique pour lequel l’histoire, essentiellement décrite comme une dégradation continue, débouche, de façon catastrophique, sur l’anarchie et le chaos et d’abord sur ce « second état de nature » dont les traits sont tous empruntés à Hobbes[15]. Ce second état de nature est un état de guerre de tous contre tous qui va rendre nécessaire l’établissement d’un ordre civil et d’un Etat fort qui va achever de socialiser les hommes. La cruauté de cette scène primitive donne son envoi à tout le cours du monde.  Car si l’histoire  s’achève par la conclusion d’un contrat, ce contrat  va parachever la mauvaise socialisation car c’est un contrat inique au bénéfice des plus riches, un pacte de sujétion (et non d’association) qui va donner valeur d’institution et sacraliser l’inégalité sous couleur de droit et de paix en nous proposant un marché de dupes : protego ergo obligo  (le cogito ergo sum de l’Etat hobbesien disait C. Schmitt) ; en échange de votre obéissance et de votre sujétion,  je vous assure la sécurité et la paix. Oeuvre de ruse, imposture, mystification qui sont, aujourd’hui encore, la base de toute société : « l’esprit universel des lois de tous les pays est de favoriser toujours le fort contre le faible et celui qui a contre celui qui n'a rien : cet inconvénient est inévitable et il est sans exception ».

Les données croisées de l’archéologie et de l’anthropologie attestent  que c’est bien la sédentarisation et donc un changement d’économie qui a transformé les sociétés de chasseurs-cueilleurs en sociétés guerrières et induit une violence qui, par conséquent, n’était pas nécessairement innée[16]. Les fossiles humains (les blessures sur les os) datant du paléolithique ne portent en effet quasiment aucune marque, aucun vestige de cette soi-disant violence originelle qui serait inscrite dans la nature humaine[17].  On voit que la querelle qui opposa Rousseau à Hobbes, le philosophe du bon sauvage et celui de l’homme qui serait un loup pour l’homme, n’a rien perdu de son actualité. Toutes les raisons conjecturales invoquées par Rousseau pour expliquer que l’homme de la « société commencée » qui n’était ni bon ni mauvais n’avait nul intérêt à être méchant, se révèlent encore aujourd’hui pertinentes. L’homme sauvage vivait en effet dispersé sur un vaste territoire, la probabilité des affrontements était très faible, leur entente, leur empathie, leur « pitié » étaient avec l’auto-préservation assurée par « l’amour de soi » indispensable à leur survie (l’alliance, l’échange, le partage sont la raison d’être de l’exogamie) et, de toute façon, ils n’avaient pas à protéger de réserves, de surplus, d’acquis, l’économie de prédation ne générant aucun stock à défendre et à protéger de la convoitise de groupes voisins, à la différence de l’économie de production qui donna son plein rôle fonctionnel à la poterie pourtant déjà présente dès le gravettien (-22 000).

Condamnés à vivre ensemble de façon permanente, les hommes du néolithique vont connaître, avec une très forte poussée démographique, des tensions, combats, luttes armées. La guerre proprement dite qui n’apparaît pas avant 12 000 ans avant notre ère, est bien un produit de la civilisation, une conséquence de la propriété. A la différence des peintures du Néolithique (celles du Levant espagnol, par exemple), la peinture pariétale paléolithique ne comporte aucune représentation de chasse ou de combat, argument qui pourrait confirmer cette thèse iréniste.

 

Combat d’archers dans un abri de Morella (Espagne)

 

Au cours du premier millénaire avant notre ère, à l’âge du fer, la montée vers une hiérarchisation sociale toujours plus étendue et rigide va devenir irréversible. Cet ordre inégalitaire et violent qui s’accompagne de nouvelles représentations qui supplantent celles, féminines, du chalcolithique (âge du cuivre, seconde partie du Néolithique, entre -4500 et -2200) et de nouvelles croyances associées à l’ordre d’airain du cosmos, comme en témoignent, à l’âge du bronze, les monuments mégalithique de Stonehenge ou les trois mille pierres levées de Carnac.  Et cela durera longtemps, jusqu’à ce que Copernic détache la terre de son soleil (Nietzsche) et que s’effondre le fondement cosmologique de la hiérarchie des sociétés. L’âge du bronze avait déjà vu apparaître en Europe les premières sociétés étatiques avec des tombes princières particulièrement spectaculaires dans les sociétés minoennes puis mycéniennes mais c’est de l’âge du fer (vers -500) que date l’avènement définitif des premières formes étatiques et urbaines. Comme dans les mythes d’Hésiode et de Platon, l’âge du fer est celui de la violence et de la guerre, celui, chez nous, de l’extension progressive à toute l’Europe des systèmes étatiques. La roue apparue au début du IIe millénaire est une roue à rayon, une roue solaire, 

 

Cairn de Gavrinis, Dolmen, IVe millénaire,  Bretagne, Morbihan.

 

qui a conditionné l’invention du char mais, avec les armes, les lames de silex démesurées, les haches de parade, les bijoux en cuivre ou en pierres semi-précieuses elle fait partie des nouveaux objets associés au prestige, à la violence et au pouvoir. Les activités cérémonielles susceptibles de frapper et de manipuler l’imagination des dominés en se réclamant  déjà d'un droit divin pour qu’ils acceptent une servitude volontaire se multiplient et la compétition pour le prestige peut mener, comme sur l'ile de Pâques, à un  "effondrement" ou un suicide écologique. Bientôt sur les frontons des temples grecs l’enlèvement des femmes Lapithes par les centaures et le combat contre les amazones rappellera ce que le dérèglement de la sexualité peut coûter à l’ordre masculin du monde qui se sera, cette fois-ci, définitivement imposé.

 

On aurait donc tort d’incriminer la grande manière de Rousseau qui par des formules extrêmes cherche à frapper et à scandaliser et qui pour la première fois désigne le point de rupture de l’histoire humaine, histoire mal commencée qu’il conduit jusqu’à son terme catastrophique, (catastrophes en chaîne dans lesquelles, comme lors du tremblement de terre de Lisbonne, la responsabilité humaine est de plus en plus engagée). L’agriculture, la division du travail, l’apparition de la surproduction et d’une élite qui se l’approprie pour divers motifs (pouvoir, désir de posséder toujours plus, logistique de guerre permettant l’extension du territoire, etc.), l'avènement d'une société concurentielle pronée par les physicrates (Pierre-Paul Lemercier de La Rivière), constituent pour lui un enchaînement inexorable qui accroît toujurs plus l'inégalité. Le monde livré aux puissances corruptrices de l’argent et de l’opinion se précipite dans le gouffre car "on a tout avec de l'argent hormis des moeurs et des citoyens (Discours sur les sciences et les arts, 1750). Il s’achèvera dans le sang et l’anarchie qui dénouera le lien social. Aucune déclamation, aucune moralisation[18] dans ce constat, la simple conséquence d'une méthode (comprendre l'homme par la société) et l'aboutissement d’une évolution inéluctable et funeste, la simple application du principe énoncé au livre IV de l’Emile : « Celui qui voudra séparer la politique et la morale ne comprendra jamais rien à aucune des deux ». J. P. Demoule, préhistorien, spécialiste du Néolithique, ne fait pas aujourd’hui un bilan moins alarmant. « Il y a 12000 ans, l’humanité ne comptait que quelques centaines de milliers d’individus, répartis sur l’ensemble du globe en petits groupes de quelques dizaines d’individus. Ils vivaient de chasse, de pêche et de cueillette, se déplaçant au gré des ressources saisonnières. Leurs tombes ne montrent guère de différence de statut et de richesse entre eux. 12000 ans plus tard, l’humanité compte sept milliards d’individus, dont près de la moitié est touchée, soit par la malnutrition, soit par l’obésité; les 1% les plus riches gagnent autant que les 57% des plus pauvres… et, depuis la dernière guerre mondiale, 40 millions de personnes ont été tuées». Dans "Les 10 OOO ans qui ont fait l'histoire",  il enfonce le clou :"Les inegalités sont nés au Néolithique" et aujourd'hui 1% de la population détient à elle seule la moitié de nos richesses. Et l’on pourrait bien sûr continuer l’implacable litanie de ces interview (11/7/14, 22/11/17) car l’impact du Néolithique sur l’environnement a été radical. Même si les sociétés postérieures ont marqué de plus en plus leur empreinte dans le paysage – le «forçage» disent les environnementalistes – celle du Néolithique a été irrémédiable. Il s’agit en particulier des premiers déboisements, par la hache et par le feu, qui font qu’il n’y a pratiquement plus de forêts primaires de par le monde.  Voilà la raison pour laquelle l’on peut faire commencer l’anthropocène à cette époque charnière de l’histoire de l’anthropos, l’anthropocène désignant désormais aussi du nom de l'homme, une époque de l’histoire de la terre.

12.000 ans plus tard en effet la sixième extinction[19] a déjà commencé et comme le disait (contre Voltaire) Rousseau à l'époque du tremblment de terre de Lisbonne, ce sont bien les hommes qui sont responsables du catclysme.  L’extinction qui vient, celle dans laquelle nous sommes entrés, va voir disparaître 27 000 espèces, non seulement des espèces charismatiques comme le léopard (il en reste 70), le tigre de Sibérie ou le lion mais des espèces banales comme le hérisson ou la grenouille, conséquence de l’assèchement des mares, leur niche écologique. Déforestation, croissance urbaine, artificialisation des sols, bitumisation des terres agricoles, cette extinction se révèle plus insidieuse et surtout beaucoup plus rapide que les autres puisqu’elle s’est prodigieusement accélérée et qu’il ne nous reste, disent les spécialistes, que 42 ans pour essayer de limiter le désastre. "Le legs du Néolitihique" est tellement problèmatique, dit aussi l'archéologique Jean Guislaine, que "son message prometteur" (une nourriture assurée pour tous) s'est perdu sur la chemin de l'histoire. Goût de la distinction, quête du prestige, sens de la compétition et du pouvoir, constitution de clientèles et d'obligés... autant de gestes, d'idées, de codes qui se sont incrustés dans notre inconscient tandis que nous franchissions un pas décisif dans l'atteinte à l'environnement : érosion des sols, destruction du couvert végétal avec génération de CO2, absence de régulation des capacités reproductives... (entretien du 3/11/2015)

Nous avons ainsi fait comme si nous étions seuls au monde et en agressant la nature nous ne nous sommes pas rendu compte qu’à terme,  nous étions en train de scier la branche sur laquelle nous étions assis. 

 

On ne reprochera pas à la Préhistoire, science conjecturale, science de l’imprécis par définition, d’être sensible et parfois prisonnière plus qu’aucune autre des différentes idéologies qui ont pu se succéder depuis la fin du XIXe siècle. Elle s’est souvent adaptée au goût du jour ou à l’air du temps comme peuvent le montrer les histoires de la préhistoire que l’on a pu élaborer. Pour dire très grossièrement les choses, à une vision, disons farouche, de la préhistoire dominée par l’influence de l’évolutionnisme de Spencer, a succédé la vision contemporaine que l’on peut qualifier de néo-rousseauiste de telle sorte que tout se passe comme si, dans le différend Voltaire/Rousseau, c’était Rousseau qui, aujourd’hui, l’avait emporté.

Il est toutefois permis de garder quelque méfiance à l’égard de certaines interprétations qu'on peut taxer de déclinistes et de néo-rousseauistes surtout quand on les mesure à la richesse et à la complexité de la pensée rousseauiste.

Tout d’abord Rousseau,  reste, malgré tout, un homme des Lumières qui a conçu, pour l’humanité, d’autres chemins civilisateurs,  qui a imaginé un nouveau pacte social qui mettrait fin à la barbarie féodale régnante, qui ferait  des bourgeois (des hommes privés) que nous sommes devenus, des citoyens et des êtres d'appartenance, et une éducation libérée du joug de la religion et fondée sur les mêmes principes (perfectibilité, respecter l'enfant dans l'enfant et liberté, substituer la dépendance des choses à la dépendance des hommes). S’il fait peser un  lourd soupçon sur la notion de progrès, c’est parce que faute d’avoir été subordonnée à la perfectibilité, seule vraie mesure de l’état d’une civilisation, elle peut alors conduire nature et humanité sur le chemin d’une dévastation irréversibleDans la corruption générale d'un monde mauvais, la voie d'un gouvernement se rapprochant de l'institution légitime demeure possible et l'on sait comment, 17 ans après l'écriture du Contrat social (1762), celui qui se méfiait tant de l'histoire destructrice va peser lourdement sur le mouvement de l'histoire.

Par ailleurs la généalogie du mal est complexe et relève d'une logique qu'on peut appeler dialectique.  "Tout ce qui se perfectionne par le progrès périt par le progrès" écrivait Pascal, chaque conquête a toujours trouvé son revers dans l'apparition d'une souffrance plus lourde. Comment désirer le meilleur sans accepter le pire ? Cette dialectique où les contraires s’attirent,  cette logique duale, polaire, ambiguë de la contrariété de l'être ou cette disposition divergente, antinomique qui motiva, chez Platon, l’exclusion des poètes de la cité, structurait déjà les mythes grecs ainsi que nous l'avait montré J. P. Vernant : il n'y a pas de biens sans maux, pas de héros tragique qui ne soit à la fois et contradictoirement innocent et coupable, la gloire et le rebut de l'univers, le jouet et l'auteur du destin inexorable qui l'accable. Il n’y a pas d'Épiméthée sans Prométhée, pas de développement de l'ordre sans accélération de l'entropie, pas de production sans péril de l'autodestruction. Or n’est-ce pas cela la tragédie moderne ? D'un même mouvement l'homme s’est rendu puissant et misérable, s’est libéré et s'est asservi, comme si l’on ne pouvait vouloir l’un sans l'autre.

« L’homme qui médite est un animal dépravé » écrit par exemple Rousseau (p.138) éprouvant notre malaise dans la civilisation. Parole célèbre qui fit jadis bondir Voltaire,  parole qui n’est pourtant pas une profession de foi irrationaliste mais plutôt la reconnaissance que ce qui nous assure la maîtrise de la terre se paie d’un même mouvement par la perte des automatismes qui garantissaient notre santé, que les progrès de la réflexion qu’implique notre perfectibilité –elle fonde notre supériorité sur la gent animale condamnée, depuis toujours, à la répétition– a aussi pour conséquence le trouble, l’inquiétude, le désespoir du seul être à savoir qu’il doit mourir.  Et ce pourrait être aussi la même logique qui régit la considération sur l’évolution funeste de notre histoire, de cette histoire monumentale initiée au Néolithique et qui est sans espoir de retour. Rousseau l’inaugure dans le deuxième discours et il y a des préhistoriens aujourd’hui qui semblent la reprendre à leur façon plus chagrine et la documenter ; mais comme le disait Benjamin : « tout monument de culture est un monument de barbarie ». S’en tenir à la seule déploration de la barbarie ne serait-ce pas voir les choses que d’un unique côté ? Il reste que comme sur le frontispice du Discours le jeune Hottentot dûment éduqué et christianisé saura toujours où est sa place et finira certainement par préférer retourner parmi les siens. 

 

Menhir sculpté, Filitosa, _1500, Corse

 


[1] Préface à l’Introduction à la critique de l’économie politique (1857).  "Les rapports de production bourgeois sont la dernière forme antagonique  du processus social de la production. Il n'est pas question ici d'un antagonisme individuel ; nous l'entendons bien plutôt comme le produit des conditions sociales de l'existence des individus ; mais les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent dans le même temps les conditions matérielles propres à résoudre cet antagonisme. Avec ce système social c'est donc la préhistoire de la société humaine qui se clôt.

[2]  A.O. Lovejoy and G. Boas, Primitivism and related ideas in antiquity (Contribution to the history of primitivism, vol I) gr in 8 XV-482 pages. Peut être qualifié de primitiviste celui qui a fait l'expérience de la source et pour qui le temps n'est facteur que de corruption, de destruction, de désastre. Il  cherche alors dans l'antériorité logique et chronologique d'une origine  ou d'une archè la marque du sauf et de l'indemne.

[3] Nous qui avons vu comme jamais se déchaîner pendant tout un siècle l’immoralité des instincts naturels, nous pourrions avoir envie, comme Nietzsche, de dénoncer la naïveté de la croyance en la bonté naturelle de l’homme et de prendre parti pour Volltaire : « Voltaire-Rousseau – L’état de nature est terrifiant, l’homme est un carnassier ; notre civilisation est un triomphe inouï sur cette nature carnassière : telle était la conclusion de Voltaire. » écrivait Nietzsche (Ft posthume 99). Remarquons toutefois que, premièrement, Rousseau inaugure une révolution de pensée en répudiant le mythe du péché originel et en changeant radicalement le sujet d’imputabilité (sachant l’importance des conditions sociales, de la culture et de l'apprentissage, il peut écrire ; « J’avais vu que tout tenait radicalement à la politique et qu’un peuple ne serait jamais que ce que son gouvernement le ferait être »), que, deuxièmement,  l’importance capitale que revêt chez cette « tarentule morale » l’éducation montre qu’il ne s’est jamais agi pour lui de laisser faire seulement la nature. Aussi Nietzsche comme Ulysse dans sa rencontre avec l’Hadès, va interroger les grands morts, non en les attirant par le sacrifice d’un mouton, mais en les nourrissant de son propre sang et il finit par avouer : « Il y eut quatre couples à ne pas refuser leur réponse à mon immolation : Épicure et Montaigne, Goethe et Spinoza, Platon et Rousseau, Pascal et Schopenhauer. C’est avec eux qu’il me faut m’expliquer quand j’ai longtemps marché seul, par eux que j’entends me faire donner tort ou raison, eux que je veux écouter quand il se donnent alors eux-mêmes tort ou raison entre eux. »  Humain trop humain.

[4] Au « Rousseau notre maître, Rousseau notre frère » de la fin de Tristes Tropiques répond le chapitre VIII de l'"Essai sur l'origine des langues" dans lequel Lévi-Strauss relève cette formule : "Quand on veut étudier les hommes, il faut regarder près de soi ; mais pour étudier l'homme il faut apprendre à porter sa vue au loin ; il faut d'abord observer les différences pour découvrir les propriétés." On trouve ici définies la position de l'observateur, qui fait partie de son objet, la valeur heuristique de la distance et celle de la méthode comparatiste.

Cf., Copans, Lévi-Strauss face à Rousseau in Le Sauvage à la mode, dir. J. L. Amselle, Le Sycomore, 1979.

[5] A. Monnier, Nostalgie du néolithique, Labor et Fides, 2004.

[6] Lux Vidal, Morte e vida de uma sociedade indigena brasileira. Sao Paulo, Edusp, 1977. F. Warin, Les Xikrins, peuple d’Amazonie. Bulletin Freinet, 1979.

[7] O.C., Pléiade. I, 935 et note 1.

L'incapacité des Rom à s'intégrer procède de leur impuissance à se projeter dans l'avenir, impuissance qui fait aussi le charme et la qualité de présence de toute leur culture.

[8] Naissance de la figure, Jean-Paul Demoule, Folio Histoire, p. 98.

[9] « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, que de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne ».

Notons que Rousseau est un des premiers à attribuer à l'homme préhistorique l'équipement technique des "sauvages" contemporains qui ne bénéficient pourtant pas d'un environnement aussi favorable.

Rencontré au Brésil l'année de sa mort accidentelle, P. Clastres a préfacé le livre de Sahlins. Sa thèse peut-elle être qualifiée de rousseauiste ? "Dans la société primitive, société par essence égalitaire, les hommes sont maîtres de leurs de leur activité, maîtres de la circulation des produits de cette activité : ils n'agissent que pour eux-mêmes, quand bien même la loi d'échange des biens médiatise le rapport direct de l'homme à son produit. Tout est bouleversé, par conséquent, lorsque l'activité de production est détrournée de son but initial, lorsque, au lieu de produire seulement pour lui-même, l'homme primitif produit aussi pour les autres, sans échange et sans réciprocité... L'histoire des peuples sans historie, c'est... celle leur lutte contre l'Etat". La société contre l'Etat, Minuit, 1974.

[10] On sait aujourd’hui qu’une nourriture moins diversifiée, qu’une vulnérabilité à la maladie et qu’une baisse de l’espérance de vie et de la taille moyenne sont des conséquences de la révolution néolithique.

[11] « Une seule goutte de sang, de sueur une seule larme d’humiliation arrachée injustement au moindre portefaix a le pouvoir de ternir la splendeur de Byzance et celle du siècle de Louis XIV … écrit Catheine Kintzler soulignant la portée d'une révolution qui allait nourrir notre passion pour les droits de l'homme.

[12] Demoule, O.C., p. 258.

[13] « Les Etats ne sont pas sortis, dans leurs relations mutuelles, de l’état de nature » écrivait Raymond Aron dans Guerre et paix entre les nations.

[14] OC III, 283.

[15] Dans l’état de nature on ne trouve que passions, qui règnent en liberté, que guerre, que crainte, que pauvreté, qu’horreur, que solitude, que barbarie, qu’ignorance, que férocité ». De Cive, chap.. X,§1.

[16] « Je conclus qu’il n’était pas nécessaire de supposer l’homme méchant par sa nature, lorsqu’on pouvait marquer l’origine et le progrès de sa méchanceté ». Lettre à Christophe de Beaumont.

[17] Préhistoire de la violence et de la guerre, Marylène Patou-Mathis, Odile Jacob, 2013.

Même si la violence entre mâles humains semble attestée à peu près à toutes les époques et si des phénomènes d’inégalité et de violence peuvent s’observer bien avant le Néolithique  comme l’atteste l’extraordinaire richesse de la tombe de Sungir en Russie datant de 25 000 ans (que Testart -cf. Avant l'histoire- à l'inverse d'E. Guy considère comme une exception) et si d’impressionnants massacres de masse avec des évidences de cannibalisme semblent s’être produit sur les sites allemands de Talheim et de Herxheim (cf., Brian Hayden dans L’Homme et l’Inégalité (2008), on peut dire que c’est seulement à partir du Néolithique que s’institutionnalisent, clairement et à grande échelle, à la fois les inégalités sociales patentes (tombes princières, monuments funéraires) et les violences (fortifications, blessures, massacres de masse, sacrifices humains, exposition des têtes décapitées de l’ennemi comme dans les alvéoles du linteau de pierre  d’Entremont…).

A. Testart, lui  opposait "depuis longtemps (Le communisme primitif, 1986) deux types sociaux de chasseurs-cueilleurs sans richesses. Le type "A", celui de l'Australie, où les obligations sont de naissance, à vie, où tout individu dépend tant pour le domaine matrimonial qu'alimentaire d'une autre fraction de la société, et qui est censé freiner considérablement le progrès technique. Le type "B", celui des Inuits, des Bushmen ou d'autres, est une société plus centrée sur les individus, où le chasseur est propriétaire du gibier et où l'incitation au progrès technique est censée avoir été beaucoup plus forte. Pour la première fois, A. Testart entreprend de démontrer que le type A était celui de l'Europe du Paléolithique supérieur, qui ne fut supplanté par le type B qu'au Mésolithique. Cette démonstration s'appuie sur deux éléments principaux : une analyse des rythmes du progrès technique (lent au Paléolithique, accéléré au Mésolithique) et celle de l'art pariétal, censé dénoter une société structurée "à l'australienne"". CH. Darmangeat

[18] « Je hais la servitude comme la source de tous les maux du genre humain. Je sais que les moralistes ont dit cent fois tout cela ; mais ils le disaient en declamant, et moi je le dis sur des raisons ; ils ont aperçu le mal, et moi j'en découvre les causes, et je fais voir surtout une chose très consolante et très utile en montrant que tous ces vices n'appartiennent pas tant à l'homme, qu'à l'homme mal gouverné́ ». Préface de Narcissse ou l’amant de lui-même, comédie, 1752.

[19] L’extinction la plus dévastatrice,  la plus sévère a été la troisième. Elle a eu lieu à la fin du paléozoïque (ère primaire), entre le permien et le trias, elle a vu l’extermination de 96% des vivants. La dernière extinction, la cinquième,  vieille de 65 millions d’années, a vu périr les dinosaures.

 

 

 
  1. Analysant les conditions sociales et économiques que présuppose  la peinture pariétale, E. Guy, dans Ce que l’art préhistorique dit de nos origines (Flammarion, 2017) n'a pas hésité à détruire, avec force arguments, les convictions des préhistoriens les plus chevronés comme Alain Testart : représenter, écrit-il, c’est capturer, la volonté de ressemblance renvoie à un désir d’appropriation du réel et à travers lui à l’affirmation du pouvoir des hommes sur le monde et sur les autres hommes. On conçoit alors que la volonté de créer l’illusion et le prestige prodigieux que conférait la virtuosité impliquée par une telle création ait pu servir les intérêts politiques d’une élite et glorifier le pouvoir. Il ne faut donc pas hésiter à conclure que le naturalisme, en peinture, ne se développe que dans des sociétés fortement hiérarchisées et remettre en cause le rousseauisme dominant de l’archéologie préhistorique (P. 60) :   l’extraordinaire raffinement de la peinture préhistorique (justesse du trait, finesse d’observation, effet de modelé, de profondeur…comme à Chauvet)  n’a pu naître que dans des sociétés inégalitaires reposant sur un système économique fondé sur le stockage des ressources sauvages dont  le surplus a été capté par une minorité. Les inégalités ne seraient donc pas nées au néolithique mais dès le paléolithique récent.Et si un parallèle doit être établi avec des sociétés de chasse-cueillette étudiées en ethnologie, ce n'est pas avec celles de l'Australie, mais avec celles de la Côte Nord-Ouest du continent américain, connues pour leur structure aristocratique, leur exploitation des gens du commun, leur forte dimension esclavagiste et leur goût pour les dépenses munificentes.
  2. Passer de l'existence d'une  spécailisation et même d'une formation (Bildung) tout à fait admissibles à celle d'une différence de statut et d'une hiérachie des pouvoirs et des castes dans un "paléocapitalisme" c'est aller pourtant bien vite en besogne. On sait par ailleurs que la part de ce que Bataille appelait la dépense improductive varie en raison inverse de l'aisance matérielle comme le montre l'importance des cycles cérémoniels dans des sociétés dans lesquelles les "forces productives" sont très peu développées et qui, comme les aborigènes, ne connaissant pas de différenciation sociale importante.  

 

[2] « Celui qui voulut que l’homme fut social toucha du doigt l’axe du globe et l’inclina sur l’axe de l’univers ». Essai sur l’origine des langues.

ROUSSEAU ET LE DESASTRE DU NÉOLITIQUE

 

La marche au combat 

La marche au combat, Cingle de la Mola Remigia, -1200, Catellon, Espagne

 

« ô homme de quelque contrée que tu sois, quelles que soient tes opinions, écoute, voici ton histoire ». Rousseau, Pléiade, OC III

, p 133

 

Marx voyait dans le communisme c’est-à-dire dans une histoire enfin voulue et maîtrisée, la fin de l’histoire subie, ou plutôt, comme il le disait métaphoriquement, la fin de la préhistoire de l’homme[1].

Plus d’un siècle avant, en 1755, Rousseau, dans le deuxième discours, le Discours  sur l’inégalité, nous avait proposé un schéma de l’histoire de l’homme totalement contraire puisque c’est sur l’abîme et non plus sur l’accomplissement que donnait cette histoire. Et si nous autres modernes, devenus si réservés sur la possibilité de voir le monde changer de base, étions disposés plus que jamais, à entendre avec faveur le discours rousseauiste ? Et si Rousseau, souvent taxé indûment de primitiviste[2], avait déjà tout compris du drame qui s’est noué, qui s’est joué à la préhistoire, au Néolithique ?

 

Et bien sûr on pourra toujours continuer à se gausser de celui auquel on attribue le mythe du « bon sauvage » et à la lecture duquel, disait déjà Voltaire « il prend envie de marcher à quatre pattes »[3].  C’était là  pourtant faire bon marché de l’économie du texte et oublier que l’état de nature où l’homme vit dispersé n’a sans doute jamais existé et qu’il n’est, pour Rousseau, qu’une hypothèse heuristique permettant de distinguer, en dehors de toute intervention surnaturelle, ce qui relève de la nature et ce qui est un fait de culture. Pour que cessent ces malentendus doublés de tant d’ingratitudes, pour pouvoir lire Rousseau au-delà de ses formules parfois trop véhémentes, pour le prendre, comme philosophe, au sérieux, il a fallu attendre Kant, de même qu’il faudra attendre Lévi-Strauss pour qu’un homme de science dise enfin se reconnaître dans le plus ethnologue[4] des philosophes.

 

Mais c’est surtout en lisant les préhistoriens, en écoutant notamment, au musée de Préhistoire de Quinson, J. Courtin parler du néolithique que l’actualité de Rousseau nous a semblé tout à coup être devenue évidente et que le rousseauisme diffus et latent de certains préhistoriens nous est apparu, rousseauisme que nous voudrions examiner et interroger plus avant.

L’anthropologue Alfred Métraux invoquait volontiers la « nostalgie du néolithique » pour expliquer l’intérêt que les sociétés contemporaines portent aux sociétés traditionnelles. Tout en se méfiant de la dérive possible de cette nostalgie vers ce qu’il appelait un « rousseauisme facile », c’est-à-dire une version un peu niaise de la mythologie du « bon sauvage » ou de la croyance au bonheur adamique d’avant la chute il finissait portant par avouer .  « Il me semble que l’humanité a peut-être eu tort d’aller au-delà du néolithique»[5] . L’ethnologue, disait M. Mead, est celui qui ne se sent bien ni dans sa peau ni dans sa société et il n’est sans doute pas d’ethnologue qui ne  garde au fond de lui comme un sourd regret de s’être éloigné d’un univers séparé de nous, plus encore que par les millénaires, par la disparition d’un ensemble de traits devenus progressivement incompatibles sinon avec le Néolithique, du moins avec la poursuite de la révolution néolithique. Et toute notre culture reste dominée par le récit de la perte, perte du secret d’un accord originel entre l’homme et son milieu naturel et ce deuil de l’origine se traduit par une nostalgie, mot marqué à tout jamais par le mythe odysséen. Quand, dans une société atomisée par le progrès et frappée d’anomie, on ne sait plus ni ce qu’on fait ni où l'on va, alors n’est-il pas naturel de chercher à retrouver du côté des sociétés traditionnelles ce que nous croyons avoir perdu  ? Mais faut-il pour autant valider l’expression : nostalgie du néolithique ? Pour avoir vécu quelques temps en Amazonie dans une société semi-nomade dont le mode de vie relevait d'une certaine façon à la fois de celui que connurent les hommes du Paléo et du  Néolithique[6], je ne suis pas porté à insister sur cette une distinction pourtant capitale, mais quand Rousseau parle de « société commencée », de celle qui a réellement existé il est clair qu’il s’agit plutôt de société du Paléolithique. Parler de « nostalgie » par ailleurs ne va pas sans ambigüité. Si, comme le mot l’indique, la nostalgie c’est le mal (algos) du retour (nostos), celui qui transit Ulysse pendant tout son périple, alors on peut dire que, malgré les images souvent élégiaques que Rousseau donne des choses révolues, il n’y a pas vraiment de « nostalgie » chez Rousseau qui affirme très clairement et de façon péremptoire : « La nature humaine ne rétrograde pas et jamais on ne remonte vers les temps d’innocence et d’égalité quand une fois on s’en est écarté »[7].

Retour au village

Retour au village. Quand on nomadise, on ne porte pas plus d’un enfant à la fois. les Chikrins, Brésil, 1971. Photo FW

 

Le terme de néolithique (apparu en 1865) était bien sûr ignoré de Rousseau mais l’événement qui coupe en deux son discours comme il coupe en deux l’histoire du monde est fortement marqué par l’incipit qui ouvre la deuxième partie : « Le premier qui… ». Que cet événement ait été en réalité relatif, progressif, initié dès le mésolithique (Alain Testart) et d’époque variable (non synchrone à l’échelle des différents continents) ne change en rien à la différence d’essence qui va désormais séparer deux mondes : l’un dominé par l’économie de prédation, celui des nomades, l’autre par l’économie de production, celui des sédentaires, économie appelée abusivement ainsi alors qu'elle est une économie de prédation à grand échelle qui finit par épuiser les ressources de la planète.C’est cette différence qui permit à Vere Gordon Childe (1925), inspiré par le marxisme, de parler de révolution néolithique et de voir, comme Rousseau, dans la « néolithisation » la rupture la plus radicale de notre histoire. Que cette révolution s’accompagne ou même, comme l’a supposé Jacques Cauvin, soit précédée d’un révolution idéologique, on  peut en effet le présumer tant l’opposition entre une économie où l’homme est immergé dans la nature et où il célèbre dans son « art » la merveille de l’animalité (Bataille) et une économie qui permet à l’homme de soumettre et de domestiquer la nature, présuppose un renversement

Rhinoceros grotte chauvet 

Rhinocéros. Grotte Chauvet (aurignacien)

 

complet de mentalités. Bientôt, à la place de la grande déesse et de la figure mâle du taureau encore si présente à çatal Hüyük, figures par lesquelles l’homme tentait de penser la sauvagerie, le dieu aura la figure du bon pasteur guidant son troupeau avec autorité et c’est dans le ciel qu’il aura son lieu naturel et non dans le monde des profondeurs souterraines de la religion paléolithique et de la tradition chamanique. Elever soigner et nourrir un animal plutôt que de le tuer directement, planter des graines et savoir les conserver entre les récoltes et les semailles plutôt que de cueillir directement des graminées sauvages, cela implique à chaque fois que l’humanité se dé-nature. La perte de l’instant immédiat, de cet immédiat qui caractérisait, selon Rousseau, spontanéité irréfléchie de la conscience primitive devient irréversible. Avec la réflexion et la conscience de soi, l’unité originelle se déchire et se scinde, la perte de l’innocence, de la naïveté du sentiment et de la simplicité des mœurs devient définitive et l’empire de la médiation étend et généralise son pouvoir. J. Starobinski l’a montré de façon définitive dans La transparence et l’obstacle : « conscience ou sentiment avec soi de la scission » disait Claudel…

 

Personne ne s’est encore vraiment accordé sur les causes de la néolithisation[8] : adaptation aux crises climatiques responsables de disettes à répétition, pratique du sacrifice animal, réponse au stress de la sédentarisation et de la surpopulation (la population mondiale  va passer de quelques centaines de milliers à 7 milliards d’individus), révolution des symboles, pratique cultuelle autour de la femme et du taureau présente dès le PPNA (Pre-Pottery Néolithique A), connaissances accumulées par les cueilleurs... Pour Rousseau seules des causes extérieures, dis-astro, mauvaise étoile, inclinaison différente de l’axe de la terre(8'),revers, malheur infligé par la fortune, « funeste hasard » ont pu nous faire sortir de ce bonheur oisif, de l’âge d’or d’avant le temps, d’avant le temps qui nous met à mort et nous fait sortir du paradis. « Le premier qui… » L’attaque et l'anathème du deuxième chapitre rapportent l’événement décisif mais contingent qui a fait basculer l’histoire que Rousseau réécrit à sa mode sur le modèle de l’histoire sainte, celle de la chute et de la sortie du jardin d’Eden[9]. « C’est là  ma place au soleil, voilà le commencement et l’image de l’usurpation de toute la terre » disait déjà Pascal en un raccourci fulgurant. Les causes du mal sont donc venues du dehors et elles vont nous transformer en dehors pour, finalement, nous rendre entièrement tributaires du regard des autres et nous faire courir après des biens illusoires.

« Des années stériles, des hivers longs et rudes, des étés brûlants… exigent  (des hommes) une nouvelle industrie » (O.C. III, p. 165) et les contraignent à travailler, à lutter contre la nature, à connaître la  séparation douloureuse qu’implique le travail, à déployer toutes leurs forces et toutes leurs facultés. Et plus ils aimeront les commodités, plus ils travailleront pour les obtenir et plus la société deviendra la principale consommatrice d'hommes par la violence et le travail. Par contraste avec la sombre destinée et les misères sans nombre qui vont nous être réservées, l’âge patriarcal et communiste  de la « société commencée » antérieure à la propriété (p. 171), l ‘âge des chasseurs cueilleurs dans lequel se rassemblent déjà des familles sous le toit des cabanes et qui correspond à ce que nous appelons  l’époque paléolithique, apparaît à Rousseau, inspiré par les récits des voyageurs qui ont donné une réalité concrète à une rêverie millénaire, comme un âge d’or, comme « la véritable jeunesse du monde ». L’homo sapiens originel parti à la conqhète du monde, génétiquement proche des Bushmen d’aujourd’hui, vivait effectivement en famille nucléaire et c’est beaucoup plus tard (au IIIe millénaire AEC) qu’émergera la famille souche et, avec les invasions nomades, la famille communautaire au statut défavorable aux femmes (E. Todd).  "Âge de pierre, âge d’abondance", dira plus tard de façon provocatrice l’anthropologue Marshall Sahlins. Les seules sociétés d’abondance de l’histoire, nous dit-il, ont été celles des chasseurs-cueilleurs qui ne consacraient que trois heures par jour à l’acquisition de leur nourriture alors que les cultivateurs consacrent la journée entière à un travail pénibles[10].  Comme dans un monastère tibétain, ils ne produisaient pas de surplus, ignoraient le luxe, la lutte pour l’appropriation du superflu et pour la reconnaissance, toutes les conditions perverses de la distinction sociale.

APPARENCE

Menhir

La découverte à la suite encore d’un « funeste hasard » des avantages de la division du travail va achever d’expulser l’homme de l’oisiveté paradisiaque en le faisant passer d’une économie de subsistance à une économie de production, économie qui va générer un surplus  pour la possession duquel les hommes vont se disputer, entrer en rivalité et… se distinguer.La première division du travail s’effectue par une socialisation du fait biologique de la différence sexuelle dans des groupes humains où la chasse est devenue prédominante, mais c’est avec l’apparition de l’agriculture et de la métallurgie que commence l’aliénation proprement dite, l’aliénation à des activités partielles accompagnées de cette odieuse subordination, de ce chancre honni de la  « dépendance des hommes » et de l’inégalité que Jean Jacques a connu et subi douloureusement dans sa vie avant qu’il ne cherche, dans toute son œuvre, à tenter de l’exorciser[11]. « Ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes et perdu le genre humain » (p. 171). Pour défendre les réserves, le surplus ou le superflu que génère cette « grande révolution », celle que nous appelons néolithique, il va falloir alors délimiter et défendre la terre que l’homme occupe et c’est ainsi que les clôtures vont s’élever, que les villages vont se remparer et que les non possesseurs vont être exclus. A terme (c’est la chute du texte), « une poignée de gens (va) regorge(r) de superfluités, tandis que la multitude affamée va manque(r) du nécessaire ».Commence alors avec ce début de hiérarchisation de la société, les disputes et bientôt la violence, les incendies, les massacres, qui comme nous le confirment les données de la préhistoire, vont devenir de véritables institutions[12]. Et l'on ne peut pas dire que l’humanité d’aujourd’hui soit sortie de cet état de nature qui, avec la crise pétrolière et les crises écologiques d'aujourd'hui vont instaurer à nouveau une économie de prédation, mais cette fois-ci féroce et à grande échelle[13]. Rousseau savait bien que l’on ne fonde pas une politique sur l’idée que l’homme est innocent et il a su montrer pourquoi le cosmopolitisme était une chimère.

« La société naissante fit place au plus horrible état de guerre » (p. 176). A l’optimisme anthropologique qui présidait à la description du premier état de nature succède un  pessimisme philosophique pour lequel l’histoire, essentiellement décrite comme une dégradation continue, débouche, de façon catastrophique, sur l’anarchie et le chaos et d’abord sur ce « second état de nature » dont les traits sont tous empruntés à Hobbes[15]. Ce second état de nature est un état de guerre de tous contre tous qui va rendre nécessaire l’établissement d’un ordre civil et d’un Etat fort qui va achever de socialiser les hommes. La cruauté de cette scène primitive donne son envoi à tout le cours du monde.  Car si l’histoire  s’achève par la conclusion d’un contrat, ce contrat  va parachever la mauvaise socialisation car c’est un contrat inique au bénéfice des plus riches, un pacte de sujétion (et non d’association) qui va donner valeur d’institution et sacraliser l’inégalité sous couleur de droit et de paix en nous proposant un marché de dupes : protego ergo obligo  (le cogito ergo sum de l’Etat hobbesien disait C. Schmitt) ; en échange de votre obéissance et de votre sujétion,  je vous assure la sécurité et la paix. Oeuvre de ruse, imposture, mystification qui sont, aujourd’hui encore, la base de toute société : « l’esprit universel des lois de tous les pays est de favoriser toujours le fort contre le faible et celui qui a contre celui qui n'a rien : cet inconvénient est inévitable et il est sans exception ».

Les données croisées de l’archéologie et de l’anthropologie attestent  que c’est bien la sédentarisation et donc un changement d’économie qui a transformé les sociétés de chasseurs-cueilleurs en sociétés guerrières et induit une violence qui, par conséquent, n’était pas nécessairement innée[16]. Les fossiles humains (les blessures sur les os) datant du paléolithique ne portent en effet quasiment aucune marque, aucun vestige de cette soi-disant violence originelle qui serait inscrite dans la nature humaine[17].  On voit que la querelle qui opposa Rousseau à Hobbes, le philosophe du bon sauvage et celui de l’homme qui serait un loup pour l’homme n’a rien perdu de son actualité. Toutes les raisons conjecturales invoquées par Rousseau pour expliquer que l’homme de la « société commencée » qui n’était ni bon ni mauvais n’avait nul intérêt à être méchant, se révèlent encore aujourd’hui pertinentes. L’homme sauvage vivait en effet dispersé sur un vaste territoire, la probabilité des affrontements était très faible, leur entente, leur empathie, leur « pitié » étaient avec l’auto-préservation assurée par « l’amour de soi » indispensable à leur survie (l’alliance, l’échange, le partage sont la raison d’être de l’exogamie) et, de toute façon, ils n’avaient pas à protéger de réserves, de surplus, d’acquis, l’économie de prédation ne générant aucun stock à défendre et à protéger de la convoitise de groupes voisins, à la différence de l’économie de production qui donna son plein rôle fonctionnel à la poterie pourtant déjà présente dès le gravettien (-22 000).

Condamnés à vivre ensemble de façon permanente, les hommes du néolithique vont connaître, avec une très forte poussée démographique, des tensions, combats, luttes armées. La guerre proprement dite qui n’apparaît pas avant 12 000 ans avant notre ère, est bien un produit de la civilisation, une conséquence de la propriété. A la différence des peintures du Néolitique (celles du Levant espagnol, par exemple), la peinture pariétale paléolithique ne comporte aucune représentation de chasse ou de combat, ce qui pourrait confirmer cette thèse iréniste.

 

Combat d archers

Combat d’archers dans un abri de Morella (Espagne)

 

Au cours du premier millénaire avant notre ère, à l’âge du fer, la montée vers une hiérarchisation sociale toujours plus étendue et rigide va devenir irréversible. Cet ordre inégalitaire et violent qui s’accompagne de nouvelles représentations qui supplantent celles, féminines, du chalcolithique (âge du cuivre, seconde partie du Néolithique, entre -4500 et -2200) et de nouvelles croyances associées à l’ordre d’airain du cosmos, comme en témoignent, à l’âge du bronze, les monuments mégalithique de Stonehenge ou les trois mille pierres levées de Carnac.  Et cela durera longtemps, jusqu’à ce que Copernic détache la terre de son soleil (Nietzsche) et que s’effondre le fondement cosmologique de la hiérarchie des sociétés. L’âge du bronze avait déjà vu apparaître en Europe les premières sociétés étatiques avec des tombes princières particulièrement spectaculaires dans les sociétés minoennes puis mycéniennes mais c’est de l’âge du fer (vers -500) que date l’avènement définitif des premières formes étatiques et urbaines. Comme dans les mythes d’Hésiode et de Platon, l’âge du fer est celui de la violence et de la guerre, celui, chez nous, de l’extension progressive à toute l’Europe des systèmes étatiques. La roue apparue au début du IIe millénaire est une roue à rayon, une roue solaire,

Dolmen cairn de gavrinis

Cairn de Gavrinis, Dolmen, IVe millénaire,  Bretagne, Morbihan.

 

qui a conditionné l’invention du char mais, avec les armes, les lames de silex démesurées, les haches de parade, les bijoux en cuivre ou en pierres semi-précieuses elle fait partie des nouveaux objets associés au prestige, à la violence et au pouvoir. Les activités cérémonielles susceptibles de frapper et de manipuler l’imagination des dominés pour qu’ils acceptent une servitude volontaire se multiplient et la compétition pour le prestige peut mener, comme sur l'ile de Pâques, à un  "effondrement" ou un suicide écologique. Bientôt sur les frontons des temples grecs l’enlèvement des femmes Lapithes par les centaures et le combat contre les amazones rappellera ce que le dérèglement de la sexualité peut coûter à l’ordre masculin du monde qui se sera, cette fois-ci, définitivement imposé.

 

On aurait donc tort d’incriminer la grande manière de Rousseau qui par des formules extrêmes cherche à frapper et à scandaliser et qui pour la première fois désigne le point de rupture de l’histoire humaine, histoire mal commencée qu’il conduit jusqu’à son terme catastrophique, (catastrophes en chaîne dans lesquelles, comme lors du tremblement de terre de Lisbonne, la responsabilité humaine est de plus en plus engagée). L’agriculture, la division du travail, l’apparition de la surproduction et d’une élite qui se l’approprie pour divers motifs (pouvoir, désir de posséder toujours plus, logistique de guerre permettant l’extension du territoire, etc.), constituent pour lui un enchaînement inexorable. Le monde livré aux puissances corruptrices de l’argent et de l’opinion se précipite dans le gouffre. Il s’achèvera dans le sang et l’anarchie qui dénouera le lien social. Aucune déclamation, aucune moralisation[18] dans ce constat, la simple conséquence d'une méthode (comprendre l'homme par la société) et l'aboutissement d’une évolution inéluctable et funeste, la simple application du principe énoncé au livre IV de l’Emile : « Celui qui voudra séparer la politique et la morale ne comprendra jamais rien à aucune des deux ». J. P. Demoule, préhistorien, spécialiste du Néolithique, ne fait pas aujourd’hui un bilan moins alarmant. « Il y a 12000 ans, l’humanité ne comptait que quelques centaines de milliers d’individus, répartis sur l’ensemble du globe en petits groupes de quelques dizaines d’individus. Ils vivaient de chasse, de pêche et de cueillette, se déplaçant au gré des ressources saisonnières. Leurs tombes ne montrent guère de différence de statut et de richesse entre eux. 12000 ans plus tard, l’humanité compte sept milliards d’individus, dont près de la moitié est touchée, soit par la malnutrition, soit par l’obésité; les 1% les plus riches gagnent autant que les 57% des plus pauvres… et, depuis la dernière guerre mondiale, 40 millions de personnes ont été tuées» Et l’on pourrait bien sûr continuer l’implacable litanie de cet interview (11/7/14) car l’impact du Néolithique sur l’environnement a été radical. Même si les sociétés postérieures ont marqué de plus en plus leur empreinte dans le paysage – le «forçage» disent les environnementalistes – celle du Néolithique a été irrémédiable. Il s’agit en particulier des premiers déboisements, par la hache et par le feu, qui font qu’il n’y a pratiquement plus de forêts primaires dans le monde.  Voilà la raison pour laquelle l’on peut faire commencer l’anthropocène à cette époque charnière de l’histoire de l’anthropos, l’anthropocène désignant désormais aussi du nom de l'homme, une époque de l’histoire de la terre.

12.000 ans plus tard en effet la sixième extinction[19] a déjà commencé.  L’extinction qui vient, celle dans laquelle nous sommes entrés, va voir disparaître 27 000 espèces, non seulement des espèces charismatiques comme le léopard (il en reste 70), le tigre de Sibérie ou le lion mais des espèces banales comme le hérisson ou la grenouille, conséquence de l’assèchement des mares, leur niche écologique. Déforestation, croissance urbaine, artificialisation des sols, bitumisation des terres agricoles, cette extinction se révèle plus insidieuse et surtout beaucoup plus rapide que les autres puisqu’elle s’est prodigieusement accélérée et qu’il ne nous reste, disent les spécialistes, que 42 ans pour essayer de limiter le désastre. "Le legs du Néolitihique" est ellement problèmatique, dit aussi l'archéologique Jean Guislaine, que "son message prometteur" (une nourriture assurée pour tous) s'est perdu sur la chemin de l'histoire. Goût de la disitnction, quête du prestige, sens de la compétition et du pouvoir, constituion de clientèles et d'obligés... autant de gestes, d'idées, de codes qui se sont incrustés dans notre inconscient tandis que nous franchissions un pas décisif dans l'atteinte à l'environnement : érosion des sols, destruction du couvert végétal avec génération de CO2, absence de régulation des capacités reproductives... (entretien du 3/11/2015)

Nous avons ainsi fait comme si nous étions seuls au monde et en agressant la nature nous ne nous sommes pas rendu compte qu’à terme,  nous étions en train de scier la branche sur laquelle nous étions assis.

 

On ne reprochera pas à la Préhistoire, science conjecturale, science de l’imprécis par définition, d’être sensible et parfois prisonnière plus qu’aucune autre des différentes idéologies qui ont pu se succéder depuis la fin du XIXe siècle. Elle s’est souvent adaptée au goût du jour ou à l’air du temps comme peuvent le montrer les histoires de la préhistoire que l’on a pu élaborer. Pour dire très grossièrement les choses, à une vision, disons farouche, de la préhistoire dominée par l’influence de l’évolutionnisme de Spencer, a succédé la vision contemporaine que l’on peut qualifier de néo-rousseauiste de telle sorte que tout se passe comme si, dans le différend Voltaire/Rousseau, c’était Rousseau qui, aujourd’hui, l’avait emporté.

Il est toutefois permis de garder quelque méfiance à l’égard de certaines interprétations qu'on peut taxer de déclinistes et de néo-rousseauistes surtout quand on les mesure à la richesse et à la complexité de la pensée rousseauiste.

Tout d’abord Rousseau,  reste, malgré tout, un homme des Lumières qui a conçu, pour l’humanité, d’autres chemins civilisateurs,  qui a imaginé un nouveau pacte social qui mettrait fin à la barbarie féodale régnante, qui ferait  des bourgeois (des hommes privés) que nous sommes devenus, des citoyens et des êtres d'appartenance, et une éducation libérée du joug de la religion et fondée sur les mêmes principes (perfectibilité, respecter l'enfant dans l'enfant et liberté, substituer la dépendance des choses à la dépendance des hommes). S’il fait peser un  lourd soupçon sur la notion de progrès, c’est parce que faute d’avoir été subordonnée à la perfectibilité, seule vraie mesure de l’état d’une civilisation, elle peut alors conduire nature et humanité sur le chemin d’une dévastation irréversible. Dans la corruption générale d'un monde mauvais, la voie d'un gouvernement se rapprochant de l'institution légitime demeure possible et l'on sait comment, 17 ans après l'écriture du Contrat social (1762), celui qui se méfiait tant de l'histoire destructrice va peser lourdement sur le mouvement de l'histoire.

Par ailleurs la généalogie du mal est complexe et relève d'une logique qu'on peut appeler dialectique.  "Tout ce qui se perfectionne par le progrès périt par le progrès" écrivait Pascal, chaque conquête a toujours trouvé son revers dans l'apparition d'une souffrance plus lourdeet Dédale déjà, dans une sorte de dérive et de fuite en avant, a passé son temps à essayer de corriger ou de réparer les conséquences néfastes de ses inventions comme aujourd’hui nous essayons de le faire avec les inventions révolutionnaires du nucléaire, des OGM, des manipulations génétiques…[1].

 

[1] Après avoir inventé une sorte de maquette de cheval permettant à la femme du roi Minos d’avoir des rapports sexuels avec le taureau blanc, il corrige son invention en enfermant le minotaure, fruit de cet accouplement, dans le labyrinthe puis il souffle à Ariane le stratagème qui lui permet d’aller libérer le roi Thésée, il permet enfin à Icare, son fils, de se libérer en volant avant que, arrivé trop près du soleil, celui-ci ne chute inexorablement…

. Comment désirer le meilleur sans accepter le pire ? Cette dialectique où les contraires s’attirent,  cette logique duale, polaire, ambiguë de la contrariété de l'être ou cette disposition divergente, antinomique qui motiva, chez Platon, l’exclusion des poètes de la cité, structurait déjà les mythes grecs ainsi que nous l'avait montré J. P. Vernant : il n'y a pas de biens sans maux, pas de héros tragique qui ne soit à la fois et contradictoirement innocent et coupable, la gloire et le rebut de l'univers, le jouet et l'auteur du destin inexorable qui l'accable. Il n’y a pas d'Épiméthée sans Prométhée, pas de développement de l'ordre sans accélération de l'entropie, pas de production sans péril de l'autodestruction. Or n’est-ce pas cela la tragédie moderne ? D'un même mouvement l'homme s’est rendu puissant et misérable, s’est libéré et s'est asservi, comme si l’on ne pouvait vouloir l’un sans l'autre.

« L’homme qui médite est un animal dépravé » écrit par exemple Rousseau (p.138). Parole célèbre qui fit jadis bondir Voltaire,  parole qui n’est pourtant pas une profession de foi irrationaliste mais plutôt la reconnaissance que ce qui nous assure la maîtrise de la terre se paie d’un même mouvement par la perte des automatismes qui garantissaient notre santé, que les progrès de la réflexion qu’implique notre perfectibilité –elle fonde notre supériorité sur la gent animale condamnée, depuis toujours, à la répétition– a aussi pour conséquence le trouble, l’inquiétude, le désespoir du seul être à savoir qu’il doit mourir.  Et ce pourrait être aussi la même logique qui régit la considération sur l’évolution funeste de notre histoire, de cette histoire monumentale initiée au Néolithique et qui est sans espoir de retour. Rousseau l’inaugure dans le deuxième discours et il y a des préhistoriens aujourd’hui qui semblent la reprendre à leur façon plus chagrine et la documenter ; mais comme le disait Benjamin : « tout monument de culture est un monument de barbarie ». S’en tenir à la seule déploration de la barbarie ne serait-ce pas voir les choses que d’un unique côté ? Il reste que comme sur le frontispice du Discours le jeune Hottentot dûment éduqué et christianisé saura toujours où est sa place et finira par préférer retourner parmi les siens. 

Menhirfilitosa

Menhir sculpté, Filitosa, _1500, Corse

 

[1] Préface à l’Introduction à la critique de l’économie politique (1857).  "Les rapports de production bourgeois sont la dernière forme antagonique  du processus social de la production. Il n'est pas question ici d'un antagonisme individuel ; nous l'entendons bien plutôt comme le produit des conditions sociales de l'existence des individus ; mais les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent dans le même temps les conditions matérielles propres à résoudre cet antagonisme. Avec ce système social c'est donc la préhistoire de la société humaine qui se clôt.

[2]  A.O. Lovejoy and G. Boas, Primitivism and related ideas in antiquity (Contribution to the history of primitivism, vol I) gr in 8 XV-482 pages. Peut être qualifié de primitiviste celui qui à l'expérience de la source et pour qui le temps n'est facteur que de corruption, de destruction, de désastre. Il  cherche alors dans l'antérioirté logique et chronologique d'une origine  ou d'une archè la marque du sauf et de l'indemne.

[3] Nous qui avons vu comme jamais se déchaîner pendant tout un siècle l’immoralité des instincts naturels, nous pourrions avoir envie, comme Nietzsche, de dénoncer la naïveté de la croyance en la bonté naturelle de l’homme et de prendre parti pour Volltaire : « Voltaire-Rousseau – L’état de nature est terrifiant, l’homme est un carnassier ; notre civilisation est un triomphe inouï sur cette nature carnassière : telle était la conclusion de Voltaire. » écrivait Nietzsche (Ft posthume 99). Remarquons toutefois que, premièrement, Rousseau inaugure une révolution de pensée en répudiant le mythe du péché originel et en changeant radicalement le sujet d’imputabilité (sachant l’importance des conditions sociales, de la culture et de l'apprentissage, il peut écrire ; « J’avais vu que tout tenait radicalement à la politique et qu’un peuple ne serait jamais que ce que son gouvernement le ferait être »), que, deuxièmement,  l’importance capitale que revêt chez cette « tarentule morale » l’éducation montre qu’il ne s’est jamais agi pour lui de laisser faire seulement la nature. Aussi Nietzsche comme Ulysse dans sa rencontre avec l’Hadès, va interroger les grands morts, non en les attirant par le sacrifice d’un mouton, mais en les nourrissant de son propre sang et il finit par avouer : « Il y eut quatre couples à ne pas refuser leur réponse à mon immolation : Épicure et Montaigne, Goethe et Spinoza, Platon et Rousseau, Pascal et Schopenhauer. C’est avec eux qu’il me faut m’expliquer quand j’ai longtemps marché seul, par eux que j’entends me faire donner tort ou raison, eux que je veux écouter quand il se donnent alors eux-mêmes tort ou raison entre eux. »  Humain trop humain.

[4] Au « Rousseau notre maître, Rousseau notre frère » de la fin de Tristes Tropiques répond le chapitre VIII de l'"Essai sur l'origine des langues" dans lequel Lévi-Strauss relève cette formule : "Quand on veut étudier les hommes, il faut regarder près de soi ; mais pour étudier l'homme il faut apprendre à porter sa vue au loin ; il faut d'abord observer les différences pour découvrir les propriétés." On trouve ici définies la position de l'observateur, qui fait partie de son objet, la valeur heuristique de la distance et celle de la méthode comparatiste.

Cf., Copans, Lévi-Strauss face à Rousseau in Le Sauvage à la mode, dir. J. L. Amselle, Le Sycomore, 1979.

 

[5] A. Monnier, Nostalgie du néolithique, Labor et Fides, 2004.

[6] Lux Vidal, Morte e vida de uma sociedade indigena brasileira. Sao Paulo, Edusp, 1977. F. Warin, Les Xikrins, peuple d’Amazonie. Bulletin Freinet, 1979.

[7] O.C., Pléiade. I, 935 et note 1.

L'incapacité des Rom à s'intégrer procède de leur impuissance à se projeter dans l'avenir, impuissance qui fait aussi le charme et la qualité de présence de toute leur culture.

[8] Naissance de la figure, Jean-Paul Demoule, Folio Histoire, p. 98.

8' "Celui qui voulut que l'homme fut social toucha du doigt l'axe du globe et l'inclina sur l'axe de l'univers". Discours sur l'origine des langues.La modification de l'orientation de  l'axe de la terre est déterminante pour l'avenir et d'ici 5000 ans une glaciation affectera l'Europe jusqu'à ce qu'une épaisseur de pluus de 1500 mètres engloutisse tout : ""Tout ce que nous avons amassé dans les musées, bibiliothèques, caves, ou enfoui dans la terre comme des trésors. Tout sera réduit à l'état de cailloutis. Sous la glace un monde muet". Henning Mankell, Sable mouvant, Point seuil 2017.

[9] « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, que de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne ».

Notons que Rousseau est un des premiers à attribuer à l'homme préhistorique l'équipement technique des "sauvages" contemporains qui ne bénéficieent pourtant pas d'un environnement aussi favorable.

Rencontrér au Brésil l'année de sa mort accidentelle, P. Clastres a préfacé le livre de Sahlins. Sa thèse peut-elle être qualifiée de rousseauiste ? "Dans la société primitive, société par essence égalitaire, les hommes sont maîtres de leurs de leur activité, maîtres de la circulation des produits de cette activité : ils n'agissent que pour eux-mêmes, quand bien même la loi d'échange des biens médiatise le rapport direct de l'homme à son produit. Tout est bouleversé, par conséquent, lorsque l'activité de production est détrounée de son but initial, lorquee, au lieu de produire seulement pour lui-même, l'homme primitif produit aussi pour les autres, sans échange et sans réciprocité... L'histoire des peuples sans historie, c'est... le leur lutte contre l'Etat". La société contre l'Etat, Minuit, 1974.

 

[10] On sait aujourd’hui qu’une nourriture moins diversifiée, qu’une vulnérabilité à la maladie et qu’une baisse de l’espérance de vie et de la taille moyenne sont des conséquences de la révolution néolithique.

[11] « Une seule goutte de sang, de sueur une seule larme d’humiliation arrachée injustement au moindre portefaix a le pouvoir de ternir la splendeur de Byzance et celle du siècle de Louis XIV … écrit Catheine Kintzler soulignant la portée d'une révolution qui allait nourrir notre passion pour les droits de l'homme.

[12] Demoule, O.C., p. 258.

[13] « Les Etats ne sont pas sortis, dans leurs relations mutuelles, de l’état de nature » écrivait Raymond Aron dans Guerre et paix entre les nations.

 

[14] OC III, 283.

[15] Dans l’état de nature on ne trouve que passions, qui règnent en liberté, que guerre, que crainte, que pauvreté, qu’horreur, que solitude, que barbarie, qu’ignorance, que férocité ». De Cive, chap.. X,§1.

[16] « Je conclus qu’il n’était pas nécessaire de supposer l’homme méchant par sa nature, lorsqu’on pouvait marquer l’origine et le progrès de sa méchanceté ». Lettre à Christophe de Beaumont.

[17] Préhistoire de la violence et de la guerre, Marylène Patou-Mathis, Odile Jacob, 2013.

Même si la violence entre mâles humains semble attestée à peu près à toutes les époques et si des phénomènes d’inégalité et de violence peuvent s’observer bien avant le Néolithique  comme l’atteste l’extraordinaire richesse de la tombe de Sungir en Russie datant de 25 000 ans et si d’impressionnants massacres de masse avec des évidences de cannibalisme semblent s’être produit sur les sites allemands de Talheim et de Herxheim (cf., Brian Hayden dans L’Homme et l’Inégalité (2008), on peut dire que c’est seulement à partir du Néolithique que s’institutionnalisent, clairement et à grande échelle, à la fois les inégalités sociales patentes (tombes princières, monuments funéraires) et les violences (fortifications, blessures, massacres de masse, sacrifices humains, exposition des têtes décapitées de l’ennemi comme dans les alvéoles du linteau de pierre  d’Entremont…).

[18] « Je hais la servitude comme la source de tous les maux du genre humain. Je sais que les moralistes ont dit cent fois tout cela ; mais ils le disaient en declamant, et moi je le dis sur des raisons ; ils ont aperçu le mal, et moi j'en découvre les causes, et je fais voir surtout une chose très consolante et très utile en montrant que tous ces vices n'appartiennent pas tant à l'homme, qu'à l'homme mal gouverné́ ». Préface de Narcissse ou l’amant de lui-même, comédie, 1752.

 

 

[19] L’extinction la plus dévastatrice,  la plus sévère a été la troisième. Elle a eu lieu à la fin du paléozoïque (ère primaire), entre le permien et le trias, elle a vu l’extermination de 96% des vivants. La dernière extinction, la cinquième,  vieille de 65 millions d’années, a vu périr les dinosaures.

Créer un site internet avec e-monsite - Signaler un contenu illicite sur ce site

×