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crise sanitaire

 

 

 

Le fil du funambule

 “ J’aime ceux qui ne savent vivre qu’en déclinant, car ils vont au-dessus et au-delà ”

Ainsi parlait Zarathoustra, Prologue § 4.

 

 

Sur le fil étiré, le danseur de corde défie l’abîme et échappe par son art à la catastrophe. La métaphore nietzschéenne du funambule est le modèle dont nous voudrions nous inspirer pour essayer de penser la situation de crise qui est la nôtre. Si j’ajoute un discours à tant de discours déjà tenus, c’est en effet pour dire simplement ceci : oui, nous sommes dans une situation instable, dangereuse, critique, susceptible de mal se terminer, oui nous sommes sur une ligne de crête entre deux versants vers lesquels il nous faut, tant bien que mal, éviter de verser. Nous avons l’art pour ne pas sombrer en vérité…et nous verrons que les points de bascule qui à chaque fois nous menacent sont légions.

 

Ceci pour dire mon agacement devant les réactions malveillantes de tous les bavards et charlatans immodestes et arrogants qui prétendent avoir trouvé la bonne stratégie, la solution miracle qui pourrait mettre fin définitivement à la pandémie. Devant l’ampleur de la crise, en ce moment qui est le plus dramatique de notre histoire, nous vivons en pleine situation d’incertitude et nous marchons dans les ténèbres. Cette crise, d’origine écologique, n’est pas seulement sanitaire mais elle est aussi économique, sociale, politique, elle ne nous lâchera pas, on ne vaccine pas contre ce genre de périls[1].

 

La double stratégie qu’on nous propose dans la lutte menée aujourd’hui contre la maladie. nous met déjà en présence d’une antinomie, de deux propositions contradictoires, d’une sorte de curieuse ventriloquie de la raison. Dans l’arène dialectique, comme l’appelait Kant, la thèse s’oppose à l’antithèse et elles nous mènent toutes deux à l’impasse, c’est-à-dire, en ce qui nous concerne, à la catastrophe. Sur la longue durée, le confinement conduit à brève échéance au chaos donc à un mal pire que le remède.

Mais viser l’immunité collective en laissant se développer l’épidémie ferait exploser les systèmes de santé et conduirait au sacrifice des plus fragiles. L’héroïsation de cette stratégie par Giorgio Agamben et, sur un mode mineur, par André Comte-Sponville ne change rien à l’affaire. Cette vision héroïque qui refuse de sacrifier la liberté à la santé ou à la « vie nue » dépourvue de toute dimension symbolique, s’inscrit dans l’optique du darwinisme social, celle de Herbert Spencer, âme et épine dorsale du libéralisme. Elle revient à sacrifier  cyniquement les populations les moins aptes. Elle a pour corollaire la critique du surveiller-punir d’un Etat qui prendrait prétexte de la maladie pour attenter à nos libertés fondamentales, pour justifier son pouvoir arbitraire et verrouiller toujours plus une société de surveillance et de contrôle.

On voit que le conflit de ces deux stratégies repose sur des présuppositions morales et philosophiques. Analysons les systématiquement en mettant le doigt sur les points de bascule entre quatre séries d’antinomies correspondant aux quatre titres des catégories : quantité, qualité, relation, modalité.

 

Premièrement.  Quantité.

Mondialisation versus repli nationaliste.

 

On a accusé la mondialisation d’avoir transformé en pandémie l’épidémie née sur les marchés d’animaux sauvages à Wuhan. Cette mondialisation n’est autre en effet que le visage économique de l’arraisonnement planétaire de la technique.  Car quand les flux continus de personnes, de biens, de marchandises, de capitaux circulent toujours plus vite de par le monde, la différence entre le proche et le lointain se neutralise et ils réduisent tout à quelque chose de disponible jusqu’à l’anéantisssement. « Supprimer la distance tue », écrit René Char, et peu à peu,  le monde devient immonde et au terme de l’anthropocène, le « désert croît » et nous engage dans une sixième extinction.

 

Mais il y a un autre visage de la mondialisation qui nous a fait prendre conscience comme jamais que nous étions embarqués dans une aventure commune et qu’une con-corde, qu’un développement des liens et des coopérations étaient nécessaire. « La seule façon de mettre les gens ensemble c’est encore de leur envoyer la peste » écrivait Camus. Et il vrai qu’il y a aujourd’hui chez nous un consensus au sujet du retour de l’Etat-Providence, du chômage partiel, d’une politique de relance keynésienne sans parler des tentatives de mutualisation de la dette au sein de l’U.E.

 

Et pourtant si la peste nous a été envoyée, elle a provoqué aussi le grand retour du souverainisme, du nationalisme, du populisme, du repli identitaire sous toutes ses formes. A l’occasion de cette crise, l’UE a donné elle aussi le triste spectacle d’une « foire d’empoigne ». L’extrême droite et l’extrême gauche souverainiste ont beau jeu maintenant de réclamer des mesures en faveur de la « préférence nationale » et de l’autonomie vivrière et sanitaire des nations, exigence à vrai dire moins contestable.

Si la globalisation capitaliste a sorti de la misère des millions de pauvres hères[2], le nationalisme, en revanche, c’est la guerre, disait Mitterrand, et il faudra bien sortir par le haut en trouvant un point d’équilibre entre ces deux solutions extrêmes. De même la démocratie parlementaire exposée à la corruption et à l’usure qui génèrele désintérêt des citoyens devra bien se conjuguer avec la démocratie participative locale, celle que les Russes appelaient du nom galvaudé de soviets (conseils) [3].

 

Deuxièmement.  Qualité.

Nature versus civilisation

 

C’est au moment où il y a, de par le monde, des hommes qui suffoquent, qui s’étouffent et qui s’éteignent dans d’effroyables convulsions que la planète, elle, respire, que le ciel de Pékin retrouve l’azur, que les canaux de Venise redeviennent clairs et poissonneux. Entre la nature et la civilisation il faudrait donc choisir. C’est en tous cas la thèse de l’antispécisme ou de l’animalisme de Peter Singer. L’écocentrisme qui intègre les animaux, sans distinction d’espèce, dans la même communauté morale que l’homme, serait radicalement incompatible avec l’anthropocentisme d’un humanisme qui perpétue l’insularisation de l’homme, à l’origine de l’exploitation effrénée de la nature.

Mais en dégageant sous le sujet auto-fondé de l’humanisme métaphysique le Dasein qui dit la dignité de l’homo humanus foncièrement ouvert à l’ek-sistence, Heidegger nous a rappelé qu’il n’y a d’humanité véritable que dans la pauvreté, le remerciement et la gratitude[4]. Tant que l’homme est sans merci à l’égard des animaux, tant qu’il n’entend pas leurs appels et ne parle pas en faveur de ceux qui, justement, ne sont pas transis par le logos, il demeure inhumain. Entre nature et civilisation il n’y a pas à choisir, les deux thèses concurrentes sont parfaitement compatibles et le funambule rétablit son équilibre.

 

Troisièmement. Relation.

Monde d’avant/monde d’après.

 

 « Ma crainte c’est que le monde d’après ressemble furieusement au monde d’avant, mais en pire » nous dit J. Y le Drian. Comme la récession menace, l’urgence est maintenant à la relance. Et bientôt avec les plans sociaux et les  premiers licenciements, la protection de l’environnement n’apparaîtra plus comme une priorité. Les seuls gagnants de la crise risquent d’être la pollution au plastique devenue exponentielle et le renforcement des pouvoirs autocratiques, ceux que mérite un peuple qui se balkanise et une société qui se délite.

Mais par ailleurs avec le confinement, nous avons fait ce que nous devions faire depuis longtemps pour le climat : suspendre, ralentir, consommer moins, découvrir ce à quoi nous tenions vraiment. C’est possible, nous en avons administré la preuve. La crise sanitaire pourrait donc être l’occasion providentielle d’atterrir enfin, selon l’expression de Bruno Latour, c’est-à-dire de préserver une terre habitable.

Et pourtant de même que les conquêtes sociales ne sont pas tombés du ciel à l’initiative des juristes bourgeois mais ont été arrachées à la classe dirigeante par des grèves illimitées et des occupations d’usine, de même la sortie de l’im-monde, le retour au monde, ne peut venir que de l’action des « classes géosociales », comme les appelle Latour, qui sont en train de se constituer de façon latérale et virale.  Il n’y a rien en effet à attendre d’un Etat trop sensible, en matière écologique, aux pressions des lobbies. 

On nous dira que le nouvel âge de la solidarité que certains nous promettent n’est qu’une incantation de plus et que rien ne se fera sans engager un rapport de forces. Mais justement le dérèglement climatique est là qui va précipiter les conflits et nous obliger à des choix cruciaux et drastriques. Il va de nouveau affecter très douloureusement les plus pauvres, les « indésirables », au moment où les plus riches se mettrons, comme toujours, très confortablement à l’abri. Cela va nécessairement provoquer une interconnexion de toutes les inégalités, de ces inégalités qui ont été mises à nu et qui sont devenues déjà particulièrement insupportables avec le confinement. Sur les deux versants du problème (demain sera pire/demain sera meilleur) le dernier versant est seul une promesse d’avenir. Mais cette promesse ne peut être tenue que si elle se garde sur sa droite comme sur sa gauche, que si la liberté se conjugue avec sa sœur ennemie, l’égalité. Entre le pessimisme de la raison et l’optimisme de la volonté (Gramsci), le funambule doit à chaque fois rétablir l’équilibre.

 

 

 

 

 

Quatrièmement.  Modalité.

La nécessité versus la contingence.

 

L’Europe aux anciens parapets vivait à l’abri dans une bulle ou une parenthèse enchantée, elle  avait rejeté à la périphérie guerres, famines et mort.  En quelques jours elle est devenue l’épicentre d’une pandémie planétaire et un silence de mort s’est abattu sur ses villes d’habitude si animées. Aussi la tentation a été grande d’assigner une cause à ce  bouleversement, et de voir dans l’épidémie un formidable retour de bâton. Nous allions bientôt vaincre la mort et même nous programmer nous-mêmes, et en un instant, nous avons régressé au statut de victimes incapables d’anticiper ce qui allait  advenir. Quels enfers nous faudra-t-il encore traverser pour que nous apprenions enfin que nous ne nous faisons pas nous-mêmes ? demandait Heidegger à Hannah Arendt.

 

Nous savons que le mal qui nous frappe est le produit d’une mondialisation qui importe et exporte à tout va et qu’il est imputable à notre ubris, à notre démesure. La déforestation qui depuis les années 70, atteint maintenant la superficie du continent africain tout entier, l’urbanisation et l’industrialisation à outrance expliquent que les virus, avec leurs porteurs, se réfugient où ils peuvent, à proximité des villes. Cela a été le cas d’Ebola, de Nipah, de Marburg, du SRAS, du VIH et peut-être de la Covid-19 en attendant ceux qui vont apparaître sans doute avec le dégel du permafrost.

 

Mais, bien avant que les apprentis sorciers que nous sommes aient déclenché d’irréversibles désastres écologiques, les épidémies exterminaient régulièrement les humains. Elles étaient vécues comme châtiments divins, punition de la Némésis, la puissance vengeresse. Pierre Nakoulima, nous rappelait sur ce réseau, la façon dont pour Boko Haram, la covid 19 était considérée comme une aide providentielle à l’extermination programmée d’une civilisation occidentale particulièrement maudite.

 

Cette mentalité que nous jugeons archaïque, est peut-être encore la nôtre quand on voit avec quelle hargne et quelle violence les nôtres intentent des procès en tout genre à un gouvernement qui, quoi qu’il fasse, aurait de toutes façons, été jugé coupable, liberticide quand il n’était pas jugé meurtrier . Avec ces mises en accusations, nous sommes en présence de ce que Bergson appelait le « mouvement rétrograde du vrai ».  Il consiste à chercher dans le passé les éléments qui ont conduit à l’imprévisible nouveauté du présent et donc à projeter après coup le possible dans le passé comme s’il préexistait au réel ce qui donne une illusion de fatalité. Ainsi, imputer retrospectivement des torts aux acteurs d’hier, incriminer ici leur impréparation et leur incurie c’est leur attribuer des connaissances que nous sommes les seuls à pouvoir posséder, nous qui venons « après » et qui expérimentons seulement aujourd’hui les conséquences d’une crise dont l’ampleur planétaire, le taux de létalité, la puissance de contagion  étaient, pour la plupart, absolument imprévisibles.

 

Que l’Ouest de la France, par exemple, soit très sensiblement moins contaminé que le grand Est c’est le fait, encore inexpliqué dans le comportement du virus, d’une chance, de la chute d’un dé, d’un partage improbable qui apporte aux uns la paix, aux autres le souci.  Quand les choses arrivent sur les pieds du hasard qui distribue heurs et malheurs, astres et désastres, cela peut provoquer ce qu’on appelle une tragédie. Alors il n’y a plus d’imputation de responsabilité possible, plus de soupçon de culpabilité, plus de théorie du complot même si l’homme du ressentiment peut continuer à mâcher et à remâcher son impitoyable vengeance. 

 

Après tant de disputes, de querelles, de chamailleries, on pourrait, perdre l’équilibre[5] et déclarer comme certains : « je hais mon époque ». Mais on peut au contraire se réjouir de voir s’écrouler tous nos remparts, se défaire toutes nos certitudes. Renvoyés à la mer, rappelés à notre fragilité, à notre finitude, nous voici dans l’obligation de tout repenser. Oui, nous avons tout perdu mais comme le disait Simone Weil : «  Je ne saurais vivre à une meilleure époque que la nôtre où l’on a tout perdu ».

 

 

[1] « Le fléau concerne tout le monde, non ce n’est pas un mauvais rêve qui va passer : « cette cochonnerie de maladie, même ceux qui ne l’ont pas, ils la portent en leur cœur », écrivait Camus dans La Peste. 

[2] La corona va annuler en un instant 10 ans de progrès.

[3] Nous savons au moins qu’il n’y a pas de capitalisme viable sans un service public fort, sans la fixation de limites à la concurrence libre et non faussée, unique boussole de la Commission européenne, sans l’instauration d’une taxe carbonne qui ne fasse pas hurler les bonnets rouges et les gilets jaunes, sans le renoncement au dogme de l’austérité budgétaire qui a aveuglé les gestionnaires de nos systèmes de santé, sans la réorientation des 750 milliards d’euros promis vers les PME plus que vers les banques.

[4] On trouve quelque chose de cet anti-humanisme dans ce passage de la Peste, où l’homme est accusé de ne pas reconnaître ce qui est plus grand que lui, qu’il soit objet d’effroi ou d’admiration. « Ils étaient comme tout le monde, ils pensaient à eux-mêmes, autrement dit ils étaient humanistes. Ils ne croyaient pas aux fléaux. Le fléau n’est pas à la mesure de l’homme, on se dit que le fléau est irréel, c’est un mauvais rêve qui va passer. Mais il ne passe pas toujours et de mauvais rêve en mauvais rêve ce sont les hommes qui passent et les humanistes en premier lieu, parce qu’ils n’ont pas pris leurs précautions ».

 

[5]  En équilibre entre l’animalité et le divin et tourné en dérision par la foule, le funambule avoue qu’il savait bien que « le diable me mettrait le pied en travers ». Ainsi parlait Zarathoustra, Prologue 6.

Le fil du funambule

 

 

Sur le fil étiré, le danseur de corde défie l’abîme et échappe par son art à la catastrophe. La métaphore nietzschéenne du funambule est le modèle dont nous voudrions nous inspirer pour essayer de penser la situation de crise qui est la nôtre. Si j’ajoute un discours à tant de discours déjà tenus, c’est en effet pour dire simplement ceci : oui, nous sommes dans une situation instable, dangereuse, critique, susceptible de mal se terminer, oui nous sommes sur une ligne de crête entre deux versants vers lesquels il nous faut, tant bien que mal, éviter de verser. Nous avons l’art pour ne pas sombrer en vérité…et nous verrons que les points de bascule qui à chaque fois nous menacent sont légions.

 

Ceci pour dire mon agacement devant les réactions malveillantes de tous les bavards arrogants et charlatans immodestes qui prétendent avoir trouvé la bonne stratégie, la solution miracle qui pourrait mettre fin définitivement à la pandémie. Devant l’ampleur de la crise, en ce moment qui est le plus dramatique de notre histoire, il  me semble que nous vivons en pleine situation d’incertitude et que nous marchons dans les ténèbres. Cette crise, d’origine écologique, n’est pas seulement sanitaire mais elle est aussi économique, sociale, politique, elle ne nous lâchera pas, on ne vaccine pas contre ce genre de périls[1].

 

La double stratégie qu’on nous propose dans la lutte menée aujourd’hui contre la maladie. nous met déjà en présence d’une antinomie, de deux propositions contradictoires, d’une sorte de curieuse ventriloquie de la raison. Dans l’arène dialectique, comme l’appelait Kant, la thèse s’oppose à l’antithèse et elles nous mènent toutes à l’impasse, c’est-à-dire, en ce qui nous concerne, à la catastrophe. Sur la longue durée, le confinement conduit à brève échéance au chaos donc à un mal pire que le remède.

Mais viser l’immunité collective en laissant se développer l’épidémie ferait exploser les systèmes de santé et conduirait au sacrifice des plus fragiles. L’héroïsation de cette stratégie par Giorgio Agamben et, sur un mode mineur, par André Comte-Sponville ne change rien à l’affaire. Cette vision héroïque qui refuse de sacrifier la liberté à la santé ou à la « vie nue » dépourvue de toute dimension symbolique, s’inscrit dans l’optique du darwinisme social, celle de Herbert Spencer, âme et épine dorsale du libéralisme. Elle revient à sacrifier  cyniquement les populations les moins aptes. Elle a pour corollaire la critique du surveiller-punir d’un Etat qui prendrait prétexte de la maladie pour attenter à nos libertés fondamentales, pour justifier son pouvoir arbitraire et verrouiller toujours plus une société de surveillance et de contrôle.

On voit que le conflit de ces deux stratégies repose sur des présuppositions morales et philosophiques. Analysons les systématiquement en mettant le doigt sur les points de bascule entre quatre séries d’antinomies correspondant aux quatre titres des catégories : quantité, qualité, relation, modalité.

 

Premièrement.  Quantité. Mondialisation versus repli nationaliste.

 

On a accusé la mondialisation d’avoir transformé en pandémie l’épidémie née sur les marchés d’animaux sauvages à Wuhan. Cette mondialisation n’est autre en effet que le visage économique de l’arraisonnement planétaire de la technique.  Car quand les flux continus de personnes, de biens, de marchandises, de capitaux circulent toujours plus vite de par le monde, la différence entre le proche et le lointain se neutralise et ils réduisent tout à quelque chose de disponible jusqu’à l’extermination. « Supprimer la distance tue », écrit René Char, et peu à peu,  le monde devient immonde et au terme de l’anthropocène, le « désert croît » et nous engage dans une sixième extinction.

 

Mais il y a un autre visage de la mondialisation qui nous a fait prendre conscience comme jamais que nous étions embarqués dans une aventure commune et qu’une con-corde, qu’une union des cœurs était possible. « La seule façon de mettre les gens ensemble c’est encore de leur envoyer la peste » écrivait Camus. Et il vrai qu’il y a aujourd’hui chez nous un consensus au sujet du retour de l’Etat-Providence, du chômage partiel, d’une politique de relance keynésienne sans parler des tentatives de mutualisation de la dette au sein de l’U.E.

 

Et pourtant si la peste nous a été envoyée, elle a provoqué aussi le grand retour du souverainisme, du nationalisme, du populisme, du repli identitaire sous toutes ses formes. A l’occasion de cette crise, l’UE a donné elle aussi le triste spectacle d’une « foire d’empoigne ». L’extrême droite et l’extrême gauche souverainiste ont beau jeu maintenant de réclamer des mesures en faveur de la préférence nationale.

Si la globalisation capitaliste a sorti de la misère des millions de pauvres hères, le nationalisme, en revanche, c’est la guerre, disait Mitterrand, et il faudra bien sortir par le haut en trouvant un point d’équilibre entre ces deux solutions extrêmes[2].

 

Deuxièmement.  Qualité. Nature versus civilisation

 

C’est au moment où il y a, de par le monde, des hommes qui suffoquent, qui s’étouffent et qui s’éteignent dans d’effroyables convulsions que la planète, elle, respire, que le ciel de Pékin retrouve l’azur, que les canaux de Venise redeviennent clairs et poissonneux. Entre la nature et la civilisation il faudrait donc choisir. C’est en tous cas la thèse de l’antispécisme ou de l’animalisme de Peter Singer. L’écocentrisme qui intègre les animaux, sans distinction d’espèce, dans la même communauté morale que l’homme, serait radicalement incompatible avec l’anthropocentisme d’un humanisme qui a mis l’homme au centre du monde et qui est à l’origine de l’exploitation effrénée de la nature.

Mais en dégageant sous le sujet auto-fondé de l’humanisme métaphysique le Dasein qui dit la dignité de l’homo humanus foncièrement ouvert à l’ek-sistence, Heidegger nous a rappelé qu’il n’y a d’humanité véritable que dans la pauvreté, le remerciement et la gratitude. Tant que l’homme est sans merci à l’égard des animaux, tant qu’il n’entend pas leurs appels et ne parle pas en faveur de ceux qui, justement, ne sont pas transi par le logos, il demeure inhumain. Entre nature et civilisation il n’y a pas à choisir, les deux thèses concurrentes sont parfaitement compatibles et le funambule garde son équilibre.

 

Troisièmement. Relation. Monde d’avant/monde d’après.

 

 « Ma crainte c’est que le monde d’après ressemble furieusement au monde d’avant, mais en pire » nous dit J. Y le Drian. Comme la récession menace, l’urgence est maintenant à la relance. Et bientôt avec les plans sociaux et les  premiers licenciements, la protection de l’environnement n’apparaîtra plus comme une priorité. Les seuls gagnants de la crise risquent d’être la pollution au plastique devenue exponentielle et les régimes devenus plus autoritaires que jamais.

Mais par ailleurs avec le confinement, nous avons fait ce que nous devions faire depuis longtemps pour le climat : suspendre, ralentir, consommer moins, découvrir ce à quoi nous tenions vraiment. C’est possible, nous en avons administré la preuve. La crise sanitaire pourrait donc être l’occasion providentielle d’atterrir enfin, selon l’expression de Bruno Latour, c’est-à-dire de préserver une terre habitable.

Et pourtant de même que les conquêtes sociales ne sont pas tombés du ciel à l’initiative des juristes bourgeois mais ont été arrachées à la classe dirigeante par des grèves illimitées et des occupations d’usine, de même la sortie de l’im-monde, le retour au monde, ne peut venir que de l’action des « classes géosociales », comme les appelle Latour, qui sont en train de se constituer de façon latérale et virale.  Il n’y a rien en effet à attendre d’un Etat trop sensible, en matière écologique, aux pressions des lobbies. 

On nous dira que le nouvel âge de la solidarité que certains nous promettent n’est qu’une incantation de plus et que rien ne se fera sans engager un rapport de forces. Mais justement le dérèglement climatique est là qui va précipiter les conflits et nous obliger à des choix cruciaux et drastriques. Il va de nouveau affecter très douloureusement les plus pauvres au moment où les plus riches se mettrons, comme toujours, très confortablement à l’abri. Cela va nécessairement provoquer une interconnexion de toutes les inégalités, de ces inégalités qui ont été mises à nu et devenues déjà particulièrement insupportables avec le confinement. Sur les deux versants du problème (demain sera pire/demain sera meilleur) le dernier versant est seul une promesse d’avenir. Mais cette promesse ne peut être tenue que si elle se garde sur sa droite comme sur sa gauche. Entre le pessimisme de la raison et l’optimisme de la volonté, le funambule doit toujours rétablir l’équilibre.

 

Quatrièmement.  Modalité. La nécessité versus le hasard.

 

L’Europe aux anciens parapets vivait à l’abri dans une bulle ou une parenthèse enchantée, elle  avait rejeté à la périphérie guerres, famines et mort.  En quelques jours elle est devenue l’épicentre d’une pandémie planétaire et un silence de mort s’est abattu sur ses villes d’habitude si animées. Aussi la tentation a été grande d’assigner une cause à ce  bouleversement, et de voir dans l’épidémie un formidable retour de bâton. Nous allions bientôt vaincre la mort et nous programmer nous-mêmes, et en un instant, nous avons régressé au statut de victimes incapables d’anticiper ce qui allait  advenir. Quels enfers nous faudra-t-il encore traverser pour que nous apprenions enfin que nous ne nous faisons pas nous-mêmes ? demandait Heidegger à Hannah Arendt.

 

Nous savons que le mal qui nous frappe est le produit d’une mondialisation qui importe et exporte à tout va et qu’il est imputable à notre ubris, à notre démesure. La déforestation qui depuis les années 70, atteint la superficie du continent africain tout entier et qui continue de plus belle, l’urbanisation et l’industrialisation à outrance expliquent que les virus, avec leurs porteurs, se réfugient où ils peuvent, à proximité des villes. Cela a été le cas d’Ebola, de Nipah, de Marburg, du SRAS, Lentivirus du macaque devenu du VIH et peut-être de la Covid-19 en attendant ceux qui, sans doute, vont apparaître avec le dégel du permafrost.

 

Mais, bien avant que les apprentis sorciers que nous sommes aient déclenché d’irréversibles désastres écologiques, les épidémies exterminaient régulièrement les humains. Elles étaient vécues comme châtiments divins, punition de la Némésis, la puissance vengeresse. Pierre Nakoulima, nous rappelait sur ce réseau, la façon dont pour Boko Haram, la covid 19 était considérée comme une aide providentielle à l’extermination programmée d’une civilisation occidentale particulièrement maudite.

 

Cette mentalité que nous jugeons archaïque, est peut-être encore la nôtre quand on voit avec quelle hargne et quelle violence les nôtres intentent des procès en tout genre à un gouvernent qui, quoiqu’il fasse, aurait de toutes façons, été jugé coupable. Avec ces mises en accusations, nous sommes en présence de ce que Bergson appelait le « mouvement rétrograde du vrai ».  Il consiste à chercher dans le passé les éléments qui ont conduit à l’imprévisible nouveauté du présent et donc à projeter après coup le possible dans le passé comme s’il préexistait au réel ce qui donne une illusion de fatalité. Ainsi, imputer retrospectivement des torts aux acteurs d’hier, dénoncer ici leur impréparation et leur incurie c’est leur attribuer des connaissances que nous sommes les seuls à pouvoir posséder, nous qui venons « après » et qui expérimentons seulement aujourd’hui les conséquences d’une crise dont l’ampleur planétaire, le taux de létalité, la puissance de contagion  étaient, pour la plupart, absolument imprévisibles.

 

Que l’Ouest de la France, par exemple, soit très sensiblement moins contaminé que le grand Est c’est le fait, encore inexpliqué dans le comportement du virus, d’une chance, de la chute d’un dé, d’un partage improbable qui apporte aux uns la paix, aux autres le souci.  Quand les choses arrivent sur les pieds du hasard qui distribue heurs et malheurs, astres et désastres, cela peut provoquer ce qu’on appelle une tragédie. Alors il n’y a plus d’imputation de responsabilité possible, plus de soupçon de culpabilité, plus de théorie du complot même si l’homme du ressentiment peut continuer à mâcher et à remâcher son impitoyable vengeance. 

 

Après tant de disputes, de querelles, de chamailleries, on pourrait, perdre l’équilibre et déclarer comme certains : « je hais mon époque ». Mais on peut au contraire se réjouir de voir s’écrouler aujourd’hui tous nos remparts, se défaire toutes nos certitudes. Renvoyés à la mer, à notre fragilité, à notre finitude, nous voici contraint de tout repenser. Oui, nous avons tout perdu mais comme le disait Simone Weil : «  Je ne saurais vivre à une meilleure époque que la nôtre où l’on a tout perdu ».

 

[1] Le fléau concerne tout le monde, non ce n’est pas un mauvais rêve qui va passer : « cette cochonnerie de maladie, même ceux qui ne l’ont pas, ils la portent en leur cœur », écrivait Camus dans La Peste. 

[2] Nous savons au moins qu’il n’y a pas de capitalisme viable sans un service public fort, sans la fixation de limites à la concurrence libre et non faussée, unique boussole de la Commission européenne, sans l’instauration d’une taxe carbonne qui ne fasse pas hurler les bonnets rouges et les gilets jaunes, sans le renoncement au dogme de l’austérité budgétaire qui a aveuglé les gestionnaires de nos systèmes de santé, sans la réorientation des 750 milliards d’euros promis vers les PME plus que vers les banques.

 

 

 

FORMIDABLE RETOUR DE BÂTON 

 

 

Quels enfers l’être humain doit-il encore traversé

jusqu’à ce qu’il apprenne qu’il ne se fait pas lui-même ?

Heidegger à H. Arendt, 1968

Ce qui se perfectionne par le progrès

périt par le progrès.

Pascal

 

L’Europe aux anciens parapets avaient depuis longtemps externalisé la guerre, renvoyé les famines et la mort à la périphérie et vivait dans une bulle ou une parenthèse enchantée.

Et la voilà désemparée, devenue l’épicentre d’une pandémie planétaire, déclarant la guerre, sans armes ni armures, à un ennemi invisible et attendant convulsivement les derniers jours. Dans la gigantesque machinerie géopolitique, un grain de sable infiniment petit a interrompu les flux et suspendu… jusqu’aux activités meurtrières.

En 10 jours un silence de mort s’est abattu sur ces villes d’habitude si animées. Elles sont devenues soudainement désertes de sorte que c’est la paix des cimetières qui règne dans la ville. Les êtres fondamentalement relationnels et actifs que nous sommes ont été sommés d’éviter le face à face, de s’isoler, de ne tendre la main à personne, de s’enfermer, de « demeurer en repos dans une chambre » (disait Pascal !), de se « désœuvrer » (Blanchot), de cesser de se « divertir ». Quant aux terriens interconnectés, quant à la « planète » mondialisée, ils sont moins solidaires que jamais. Morcèlement, divisions, bravades et surenchères nationalistes, les communautés se défont (et dans un ultime soubresaut, l’U.E. elle même tente de s’affirmer encore à l’intérieur des frontières de Shengen) chaque nation cherchant à ériger autour de soi des remparts : c’est chacun pour soi dans la solitude de sa prison et demain, dans les hôpitaux engorgés, se posera la question biopolitique par excellence : qui doit vivre, qui doit mourir ? (Foucault).

 

La tentation est grande de se laisser porter par la fièvre interprétative, de donner un sens à notre malheur pour essayer de le supporter, de désigner un responsable, peut-être un coupable et d’assigner enfin une cause à cette conversion, à ce retournement, à ce renversement  bouleversant qui, de maîtres et possesseurs de la nature que nous étions, nous a fait passer, en un instant, au statut d’esclave et de victime incapables d’anticiper ce qui va advenir.

 

Hier déjà les pestes noires et autres grippes espagnoles étaient interprétées et vécues comme  châtiments des dieux, le mal étant considéré comme exogène au corps social. Nous savons depuis les travaux de Pasteur qu’il n’est plus divin mais qu’il est humain, humain trop humain disait Nietzsche, qu’il est endogène, qu’il est non seulement le produit d’une mondialisation libre-échangiste qui importe et exporte à tout va : virus, populations et marchandises, mais qu’il est produit par nos conditions de vie et notre alimentation souvent toxiques de telle sorte que l’humanité se sent dépassée par des événements et des situations qu’elle a elle-même produits (J. L. Nancy). Les épidémies sans doute ne datent pas d’hier et ne sont pas toujours imputables à notre ubris, mais la déforestation, l’urbanisation et l’industrialisation à outrance sont en particulier à l’origine de la multiplication et de la mutation des microbes et virus animaux réfugiés, avec leurs porteurs, à proximité des ville. Cela leur permettent de passer ainsi la barrière d’espèce et de deviennir, pour l’homme, extrêmement pathogènes : Ebola, Nipah, Marburg, SRAS, Lentivirus du macaque devenu VIH et peut-être Covid-19…

 

Mais par un choc en retour et comme par une « ruse de la raison » (Hegel) c’est maintenant la planète qui, loin elle de suffoquer, respire, Pékin qui profite d’un ciel bleu, Venise qui, libérée de ses « vaux » (M. Deguy),  retrouve ses poissons et c’est le modèle même de la « croissance » qui est remis en cause par celui qui voulait être le Président d’une start-up nation courant après le seul profit ! Sauve qui peut ! Les « décisions de rupture » depuis si longtemps attendues, sont au moins annoncées. Qu’on dépense sans compter car il y a bel et bien des richesses non marchandes. Bientôt, pour un peu, c’est le vent de l’esprit qui pourrait souffler ! La vie, en tous cas, plutôt que l’économie ! Après ce qui n’est pas une crise dont on peut « revenir » mais une catastrophe ou un désastre ou un fléau au potentiel révolutionnaire, tout ne peut justement pas recommencer « comme avant ». Les déséquilibres et les désastres environnementaux provoqués par une globalisation devenue proprement im-monde sont, pour tous,  désormais visibles et constituent un coup de semonce sans précédent. Même si nous risquons hélas de restaurer à l’identique et contre toute raison les conditions qui nous ont mené à l’abîme nous avons découvert que nous pouvions décélérer, que la course à la croissance indéfinie et la réduction des gaz à effet de serre que nous jugions structurellement inenvisageable est possible.

 

Il y a encore beaucoup d’esprits forts qui rechignent à l’union sacrée, qui cherchent « la petite bête » à nos gouvernants, préférant ne pas être dupes, ne pas s’en faire accroire et qui tentent toujours de dénicher quelque complot, quelqu’intérêt caché (cf. la polémique sans fin autour de la chloroquine) pour finir par imputer la faute à ceux qui nous gouvernent.

 

La rhétorique martiale du Président est pourtant de saison et, l’analogie aidant, ce n’est certainement pas par pur anthropomorphisme qu’il qualifie d’ « ennemi » le virus et qu’il en appelle à la mobilisation générale et à des « mesures d’exception » qui stérilisent nos espaces de liberté ne brident pas encore pour l’instant notre liberté de penser. Elles évoquent sans doute « l’état d’exception » dont G. Agamben, commentant C. Schmitt, s’est fait l’implacable scrutateur. Que cela permette à des gauchistes aussi incivils qu’impénitents de considérer aujourd’hui l’épidémie et le surveiller-punir mis en oeuvre par le gouvernement comme autant de constructions étatiques, de prétextes et de stratagèmes destinés à légitimer l’arbitraire du pouvoir et à verrouiller toujours plus une société de surveillance et de contrôle est une réaction malheureuse et une injure pour ceux qui nous soignent.

 

Révélateur puissant de nos contradictions et gigantesque symptome d'un désastre environnemental, d’une inégalité sociale révoltante et de la politique des Etats, le virus l’est aussi de cet entre-deux mondes où nous nous trouvons bel et bien. En cette heure indécise, peut-être nous voilà. L’occasion donnée en tous cas, puisque nous avons loisir (skôlè, otium)  de tout repenser, de relocaliser, de changer les règles du monde, de redéfinir nos besoins en conformité avec les possibilités de la terre, de retrouver, avec notre fragilité, « notre être essentiel », et ces  nouvelles formes de dévouement et de solidarité dont le « personnel de santé » nous donne aujourd’hui  un modèle exemplaire : celles du voisinage, pour le moins, et pour les amis des confins, celles, libérées par l’internet, d’une viralité qui aurait cette fois-ci retrouvé paradoxalement usage et visage humain.

F. Warin

Le fil du rasoir

 

La métaphore du rasoir est éloquente et elle a pour elle une vieille et longue tradition. Les barbiers qui doivent raser toute la population du village qui ne se rase pas elle-même est une de ces paradoxes qui nous mettent en face d’antinomies, de propositions indécidables analogues à celles que nous allons rencontrer. Au XIVe siècle le rasoir de Guillaume d’Ockham qui nous enjoint de raser les hypothèses improbables et de faire simple plutôt que compliqué pourra nous servir pour écarter les solutions erronées proposées à la crise. Le fil du rasoir enfin, le fil étiré sur lequel le danseur de corde défie l’abîme et échappe par son art à la catastrophe, la métaphore nietzschéenne du funambule est le modèle dont nous essaierons de nous inspirer. Nous avons l’art pour ne pas sombrer en vérité…

Mais je ne voudrais pas « raser » mon auditoire et si j’ajoute un discours supplémentaire à l’interminable ressassement des discours que nous entendons quotidiennement, c’est pour dire simplement ceci : oui, il y a de l’indécidable et pas de solution satisfaisante à la crise, oui il y a des positions, des affirmations qui sont erronées et qu’il faut raser, oui nous sommes dans une situation instable, dangereuse, critique, susceptible de mal se terminer, oui nous sommes sur une ligne de crête entre deux versants et, tant bien que mal, il nous faut éviter de verser, de basculer d'un côté comme de l’autre.

Ceci pour dire mon agacement devant les réactions malveillantes de tous les bavards et les charlatans, aussi arrogantes qu’immodestes qui prétendent avoir trouvé la bonne stratégie, la solution miracle qui pourrait mettre fin définitivement à la pandémie. Il  me semble que, devant l’ampleur de la crise, en ce moment qui est le plus dramatique de notre histoire, nous marchons dans les ténèbres, que nous vivons en pleine situation d’incertitude. Cette crise, d’origine écologique, n’est pas seulement sanitaire mais elle est aussi économique, sociale, politique, elle ne nous lâchera pas, on ne vaccine pas contre ce genre de périls. Le fléau concerne tout le monde, non ce n’est pas un mauvais rêve qui va passer : « cette cochonnerie de maladie, même ceux qui ne l’ont pas, ils la portent en leur cœur », écrivait Camus dans La Peste. Les catastrophes en chaîne s’annoncent, personne ne connaît encore vraiment la vraie nature de la covid 19, ni la pérennité d’une éventuelle immunité naturelle ou artificielle. Personne ne sait non plus si, en situation de mondialisation où les échanges vont nécessairement reprendre, nous aurons à faire aujourd’hui ou demain à une deuxième vague ou même à faire face bientôt à quelqu’autre tsunami. 

 

La double stratégie qu’on nous propose dans la lutte menée aujourd’hui contre la maladie nous met en effet en présence d’une antinomie, de deux propositions contradictoires, d’une sorte de curieuse ventriloquerie de la raison elle-même qui relève de ce que Kant appelait du nom de dialectique. Sur la place de combat, dans l’arène dialectique, la thèse s’oppose à l’antithèse et elles nous mènent toutes à l’ impasse, c’est-à-dire, pour la question qui nous concerne, à une catastrophe : sur la longue durée, le confinement conduit à la destruction de l’appareil productif, au chômage de masse, à la famine et à bref échéance au chaos donc à des maux pires que le remède.

Mais viser l’immunité collective en laissant se développer l’épidémie fait exploser les systèmes de santé et, dans l’optique spencérienne du darwinisme social, âme et épine dorsale du libéralisme, cela revient à sacrifier  cyniquement les populations les moins aptes, les plus fragiles. L’héroïsation de cette stratégie par Giorgio Agamben et, sur un mode mineur, par André Comte-Sponville ne change rien à l’affaire. Ils se plaisent à stigmatiser une société qui ne croit plus à rien sinon à la « vie nue », à la vie biologique dépourvue de toute dimension symbolique[1], dans une société qui ne reconnaît pas d’autre valeur que la survie et qui sacrifie tout à la santé. Mais la santé disent-ils n’est qu’un moyen et non une fin, un bien relatif et indifférent et non une valeur pour laquelle on pourrait se sacrifier.  Cette vision héroïque a pour corollaire une stigmatisation de la biopolitique d’Etat, du surveiller-punir d’une société de contrôle qui selon toute logique va pérenniser l’état d’exception qui a été mis en oeuvre par notre gouvernement. Ces atteintes aux libertés fondamentales sont pour eux autant de constructions étatiques, de prétextes et de stratagèmes destinés à légitimer l’arbitraire du pouvoir et à verrouiller toujours plus une société de surveillance et de contrôle. Celle-ci nous prive d’avenir et nous fait vivre derrière des barreaux comme vient de nous le rappeler le vote par l’assemblée du traçage numérique « stop covid » sensé être anonyme et provisoire[2].

On voit que le conflit de ces deux stratégies repose sur des présuppositions morales et philosophiques. Essayons de les analyser systématiquement en distinguant quatre séries d’antinomies en les faisant correspondre librement aux quatre titres des catégories : quantité, qualité, relation, modalité.

 

Premièrement.  Quantité. Mondialisation versus repli nationaliste.

 

On a accusé la mondialisation d’avoir transformé en pandémie l’épidémie née sur les marchés à bestiaux sauvages de Wuhan mais il serait plus juste de l’appeler à l’anglo-saxone du nom de globalisation. Cette mondialisation n’est autre en effet que le visage économique de l’arraisonnement planétaire de la technique.  Car quand les flux continus de personnes, de biens, de marchandises, de capitaux circulent toujours plus vite de par le monde, quand le télé-travail, le télé-achat… se généralisent, cela provoque une neutralisation de la différence entre le proche et le lointain. Supprimer la distance tue, écrit René Char, et c’est ainsi que, peu à peu,  le monde devient immonde et qu’au terme de l’anthropocène, le désert croît engagé dans une sixième extinction.

 

Mais il y a un autre visage de la mondialisation qui a peut-être émergé avec cette épreuve, un autre visage qui nous a fait prendre conscience comme jamais que nous étions interconnectés, que nous formions une unique humanité, que nous étions embarqués dans une aventure commune sur le même bateau et que cela rendait possible une con-corde, c’est-à-dire une union des cœurs et une union sacrée. « La seule façon de mettre les gens ensemble c’est encore de leur envoyer la peste » écrivait encore Camus. Et il vrai qu’il y a aujourd’hui un consensus autour du retour de l’Etat-Providence, d’une politique de relance keynésienne et des mesures de dédommagement du chômage partiel et qu’après bien des repentirs et des résistances les timides tentatives de Merckel Macron pour mettre en œuvre une mutualisation de la dette au sein de l’UE vont peut-être enfin aller dans ce sens[3].

 

Et pourtant si la peste nous a été envoyée, elle a amorcé et provoqué aussi le grand retour du souverainisme, du nationalisme, du populisme, du repli identitaire sous toutes ses formes. L’UE n’avait sans doute pas de compétence dans l’ordre médical mais à l’occasion de cette crise, elle a donné le triste spectacle d’une foire d’empoigne et l’extrême droite et l’extrême gauche souverainiste à beau jeu de réclamer une relocalisation de l’industrie et des mesures en faveur de la préférence nationale, avec la bénédiction de l’Elysée.

Cette option sort peut-être pourtant du cercle de la raison. Le nationalisme c’est la guerre disait Mitterrand, suspendre le libre échange c’est donner un coup d’arrêt à l’économie et recevoir en partage les faillites en chaîne, le chômage, la ruine, les vies brisées, les morts, la souffrance des plus précaires au quotidien. On ne peut dénier non plus que c’est la globalisation capitaliste qui a sorti de la misère des millions de pauvres hères.  Mais il n’y a pas de capitalisme viable sans un service public fort, sans la fixation de limites à la concurrence libre et non faussée, unique boussole de la Commission européenne, sans l’instauration d’une taxe carbonne qui ne fasse pas hurler les bonnets rouges et les gilets jaunes, sans le renoncement au dogme de l’austérité budgétaire qui a aveuglé les gestionnaires de nos systèmes de santé, sans la réorientation des 750 milliards d’euros promis vers les PME plus que vers les banques.

 

Deuxièmement.  Qualité. Nature/civilisation

 

On l’a récemment remarqué : c’est au moment où il y a de par le monde des hommes qui suffoquent, qui s’étouffent et qui s’éteignent dans d’effroyables convulsions que la planète, elle, respire, que le ciel de Pékin s’éclaircit et retrouve son azur, que les canaux de Venise redeviennent clairs et poissonneux. Entre la nature et la civilisation il faudrait donc choisir. Ce conflit a été porté à sa plus haute puissance par l’antispécisme ou l’animalisme de Peter Singer. L’humanisme qui a mis l’homme au centre du monde serait pour lui à l’origine de l’exploitation sans mesure de la nature. L’écocentrisme qui intègre les animaux, sans distinction d’espèce, dans la même communauté morale que l’homme, serait radicalement incompatible avec l’anthropocentisme.

Mais quand on utilise le mot d’humanisme[4], on ne sait pas très bien de quoi on parle. Heidegger est un des rares à l’avoir pensé. L’homme de l’humanisme, c’est l’ego cogito de la métaphysique, le sujet auto-fondé, mesure de toute chose, dressé au sein de l'étant dans une posture de domination et de maîtrise, portant à son comble l'oubli de l'être.  Heidegger a dégagé sous le sujet de la métaphysique, le Dasein qui dit la dignité de l’homo humanus : être c’est se tenir selon cette modalité d’être  foncièrement ouverte et disponible qu’est l’ek-sistence[5]. Humanitas, humilitas, il n’y a d’humanité véritable que dans la pauvreté, le remerciement et la gratitude et tant que l’homme est sans merci à l’égard des animaux, tant qu’il n’entend pas son appel et ne parle pas en sa faveur de celui qui n’est pas transi par le logos, il demeure inhumain. Entre nature et civilisation il n’y a pas à choisir, les deux thèses concurrentes sont parfaitement compatibles[6].

 

Troisièmement. Relation. Monde d’avant/monde d’après.

 

 « Ma crainte c’est que le monde d’après ressemble furieusement au monde d’avant, mais en pire » nous dit J. Y le Drian. La façon dont le gouvernement, à coup de milliards d’euros, cherchent à restaurer « comme avant » notre appareil productif sans trop se soucier de l’urgence écologique devenue pourtant absolument impérative ni de l’explosion sociale qui se prépare pourrait en effet le faire penser. Les seuls gagnants de la crise risquent d’être la pollution au plastique devenue exponentielle avec les milliards de masques jetés de çi de là et la multiplication des atteintes à nos libertés chaque jour rognées par des régimes de plus en plus autoritaires. Comme nous ne pourrons pas éternellement nous endetter et que les taux auxquels nous empruntons ne resteront pas toujours aussi ridiculement bas, l’urgence est donc à la relance. Avec les premiers licenciements, la protection de l’environnement n’apparaîtra plus comme une priorité d’autant plus que les dégâts environnementaux n’auront jamais la même immédiate visibilité qu’une explosion sociale.

Mais par ailleurs nous avons fait l’expérience des bienfaits du déconfinement, nous avons décarbonné la planète, déconsuméirisé l’économie, décongestionné les villes, bref nous avons fait ce que nous devions faire depuis longtemps pour le climat : suspendre, ralentir, consommer moins, découvrir ce à quoi l’on tient vraiment. Nous avons maintenant fait la preuve que des changement profondes, rapides, globales, des modifications drastiques de nos comportements étaient possible et cela s’est réalisé. La crise sanitaire pourrait donc être l’occasion providentielle d’accélérer une mutation sans précédent. Il était temps d’atterrir comme dit Bruno Latour, c’est-à-dire de préserver l’habitabilité de la terre.

Mais de même que le droit du travail, les congés payés, la semaine des 40 heures ne sont pas tombés du ciel à l’initiative des juristes bourgeois mais ont été arrachées à la classe dirigeante par des grèves illimitées et des occupations d’usine, de même la sortie de l’im-monde, le retour au monde, le changement de monde ne peut venir que de l’action des classes géosociales qui sont en train de se constituer de façon virale car il n’y a rien à attendre d’un Etat trop sensible aux pressions des lobbies en matière écologique.   C’est par contagion, contamination, mobilisation, connexion latérales que ces classes sont en train de se former dans la société civile. Car le temps est venu d’explorer enfin –c’est l’occasion et notre dernière chance-, le commun, le bien commun mis à mal par des dizaines d’années de rigueur et de restriction budgétaire et de sonner le tocsin. Mais, au-delà des revendications aussi vagues qu’incantatoires,  cela ne se fera pas évidement sans que ne se forme un clair rapport de forces.

Or le dérèglement climatique qui va de nouveau affecter et condamner très durement les plus pauvres au moment où les plus riches se mettrons comme toujours très aisément à l’abri, va nécessairement provoquer une interconnexion de toutes les inégalités, de ces inégalités qui ont été mises à nu et qui sont devenues parfaitement visibles et particulièrement insupportables avec le confinement.  Déjà les appels, pétitions, tribunes, pétitions, revues, journaux se multiplient et nombreux sont ceux qui sont décidés à prendre un nouveau départ, à inaugurer un nouvel âge de la solidarité. Le Conseil National de la Nouvelle Résistance le répète : il faut prendre pour modèle les folles utopies du CNR qui ont fait hurler la classe dominante mais qui sont devenues réalité. Sur les deux versants du problème (demain sera pire/demain sera meilleur) seul ce dernier versant est porteur d’avenir et, des deux thèses envisagées, c’est à la première qu’il faut résolument donner un coup de rasoir.

 

Quatrièmement.  Modalité. Némésis. Le hasard et la nécessité.

 

Lorsque l’Europe aux vieux parapets, l’Europe qui vivait à l’abri dans une bulle et une parenthèse enchantée, l’Europe qui avait rejeté à la périphérie les guerres, les famines et la mort est devenue en quelques jours l’épicentre d’une pandémie planétaire et qu’un silence de mort s’est abattu sur nos villes d’habitude si animées, la tentation a été grande d’assigner une cause à ce renversement  bouleversant, à ce formidable retour de bâton qui, de maîtres et possesseurs de la nature que nous étions, nous a fait passer, en un instant, au statut d’esclave et de victime incapables d’anticiper ce qui allait  advenir.

 

Hier déjà les pestes noires et autres grippes espagnoles étaient interprétées et vécues comme  châtiments divin mais le mal étant considéré comme exogène au corps social. Nous savons depuis les travaux de Pasteur qu’il n’est plus divin mais qu’il est humain,  qu’il est non seulement le produit d’une mondialisation libre-échangiste qui importe et exporte à tout va : virus, populations et marchandises, mais qu’il est imputable à notre ubris, à notre démesure. La déforestation qui depuis les années 70 a teint la superficie du continent africain tout entier et qui continue de plus belle, l’urbanisation et l’industrialisation à outrance sont à l’origine de la multiplication et de la mutation des virus animaux réfugiés, avec leurs porteurs, là où ils peuvent, à proximité des villes. Cela leur permettent de passer la barrière d’espèce et de devenir, pour l’homme, extrêmement pathogènes : Ebola, Nipah, Marburg, SRAS, Lentivirus du macaque devenu VIH et peut-être Covid-19 en attendant ceux qui vont venir sans doute, notamment, avec le dégel du permafrost. Quels enfers l’être humain doit-il encore traversé jusqu’à ce qu’il apprenne qu’il ne se fait pas lui-même ? demandait Heidegger à Hannah Arendt.

 

Mais il est plus facile de se servir autrement du rasoir d’Ockham. Le principe de parcimonie qu’il nous enjoint de suivre l’hypothèse la plus simple, peut consister à dire tout bonnement : cela est parce que Dieu l’a voulu, sans se rendre compte que cette proposition est relative a une hypothèse dont la pertinence ou de la rationalité n’a pas été établie.  Ce qui relève pour nous d’une mentalité archaïque est pourtant encore bien présente, en Afrique par exemple, comme nous le rapportait sur ce réseau, mon ancien étudiant Pierre Nakoulima, enseignant à Ouagadougou, qui nous rappelait la façon dont pour Boko Haram[7], la covid 19 était considérée comme une aide providentielle à l’extermination, à l’extermination programmée d’une civilisation occidentale considérée comme décadente et perverse.

Mentalité archaïque qui, mutatis mutandis est peut-être encore la nôtre quand on voit avec quelle frénésie, avec quelle hargne et violence les nôtres mettent en accusation, intentent des procès en tout genre à un gouvernent qui, quoiqu’il fasse aurait de toutes façons été jugé coupable d’avoir mis en danger la vie d’autrui. Nous sommes en présence ici de ce que Bergson appelait le « mouvement rétrograde du vrai » qui consiste à chercher dans le passé les éléments qui ont conduit à l’imprévisible nouveauté du présent et donc à projeter après coup le possible dans le passé comme s’il préexistait au réel pour donner une illusion de fatalité. Ainsi, imputer retrospectivement des torts aux acteurs d’hier, dénoncer ici leur impréparation et leur incurie c’est leur attribuer des connaissances que nous sommes les seuls à pouvoir posséder, nous qui venons « après » et qui expérimentons aujourd’hui seulement les conséquences d’une crise dont l’ampleur planétaire, le taux de létalité, la puissance de contagion  étaient, pour la plupart, absolument imprévisibles.

 

Que l’Allemagne soit moins touchée que la France cela tient sans doute à l’efficacité de son industrie, à la rapidité et à la souplesse de sa reconversion industrielle, au système décentralisé des Länder, à sa richesse, à son excédent commercial, à un certain nombre de causes, de concaténations ou de consécutions nécessaires. Mais que l’Ouest d’un pays jacobin, centralisé et bureaucratique comme la France soit très sensiblement moins contaminé que le grand Est c’est le fait, encore inexpliqué dans le comportement du virus, d’une chance, de la chute d’un dé, d’un partage improbable qui apporte aux uns la paix, aux autres le souci.  Quand les choses arrivent sur les pieds du hasard qui distribue heurs et malheurs, astres et désastres, cela peut provoquer, comme on dit, une tragédie.  Alors il n’y a plus d’imputation de responsabilité possible, plus de quête acharnée et de soupçon de culpabilité, plus de théorie du complot même si l’homme du ressentiment peut inlassablement continuer à ourdir sa revanche, à mâcher et à remâcher sa Rache, son impitoyable vengeance. 

 

Après tant de disputes, de querelles, de chamailleries, de différends et de questiones disputatae on pourrait, par lassitude, n’avoir envie que de déclarer comme certains : « je hais mon époque ». Mais on peut au contraire se réjouir de voir s’abîmer aujourd’hui tous nos remparts, de voir s’abolir toutes nos certitudes et, renvoyé à la mer, à notre fragilité, à notre pauvreté, à notre finitude, d’être obligé de tout repenser. Oui nous avons tout perdu mais comme le disait Simone Weil : «  Je ne saurais vivre à une meilleure époque que la nôtre où l’on a tout perdu ».

 

..

[2] La Chine elle-même pourtant, fidèle ici à une optique confucéenne qui commande de respecter les personnes âgées, a refusé de céder à la stratégie de l’immunité collective tout en développant dans les plus fins détails de l’existence individuelle un système de surveillance qui était pour Foucault le fondement des sociétés disciplinaires.

 

[3] Le confinement nous a fait redécouvrir des formes de solidarité et de souci de l’autre. Même masqués et objets de suspicion et de défiance les uns pour les autres comme si nous étions des pestiférés,  les hommes  ne sont pas devenus seulement des loups pour les hommes mais ils sont demeurés  des dieux et l’étoffe profuse de leur Mitsein, de leur être-ensemble n’a jamais pu être vraiment entamé.

 

[4] On trouve quelque chose de cet anti-humanisme dans ce passage de la peste, où l’homme est accusé de ne pas reconnaître ce qui est plus grand que lui que celui-ci soit l’objet d’effroi ou d’admiration. « Ils étaient comme tout le monde, ils pensaient à eux-mêmes, autrement dit ils étaient humanistes. Ils ne croyaient pas aux fléaux. Le fléau n’est pas à la mesure de l’homme, on se dit que le fléau est irréel, c’est un mauvais rêve qui va passer. Mais il ne passe pas toujours et de mauvais rêve en mauvais rêve ce sont les hommes qui passent et les humanistes en premier lieu, parce qu’ils n’ont pas pris leurs précautions ».

[5] Si l’être est fermé à l’animal parce qu’il n’est pas dans la langue, parce qu’il n’est pas transi par le logos, cela ne justifie en rien la perpétuation de la souffrance animale par une humanité prédatrice et devenue entièrement carnivore.

[6]Pelluchon, Corine, Les Nourritures. Philosophie du corps politique. Seuil, « L’Ordre Philosophique », Paris, 2015 p. 128.

[7] i.e. ceux pour qui les livres, les Books en anglais, sont non pas Hallal, bénis, autorisés mais Haram, interdits, maudits.

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