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Technique

La pensée de la technique chez Heidegger

 

 

I- L’esprit de la technique

Tous les bavardages sur les avantages et les inconvénients de la technique, sur le « matérialisme » du monde moderne, sur « le corps démesurément agrandi », comme disait Bergson, qui « attend un supplément d’âme » présuppose que la technique est un moyen en vue de certaines fins, une activité proprement humaine, un instrument neutre (ne-uter ni bon ni mauvais) entre les mains de l’ homme qui peut en devenir le maître et le faire servir à tous les usages. C’est cette conception courante, cette conception instrumentale et anthropologique de la technique, conception qui semble avoir pour elle l’évidence et  « l’exactitude », qui est radicalement mise en question par la pensée intempestive de celui qui fit de l’étonnement, proprement, son séjour. « L’essence de la technique n’est rien de technique », affirme t-il, elle rien de matériel et, en tant que tel n’a rien de diabolique. Il y aurait plutôt un esprit de la technique, une puissance cachée dans la technique qui détermine fondamentalement le rapport de l’homme à ce qui est et c’est cette puissance aujourd’hui devenu planétaire qui détermine de par en par notre histoire. En conséquence, on ne peut pas dire que la technique soit au pouvoir de l’homme car c’est bien plutôt l’homme qui est en son pouvoir. Loin d’être neutre, elle est une puissance (la puissance du rationnel dit D. Janicaud) qui neutralise, qui nivelle, qui indifférencie, qui uniformise et qui arrache toujours davantage l’homme à sa terre. La technique peut apparaître ainsi au penseur non comme une simple invention humaine mais, dans sa frénésie aujourd’hui  enfin libérée, comme l’ultime figure du destin d’un monde appelé à durer.

 

II- La technique comme mode de dévoilement

Le vocable « technique » qui ne devient français qu’au XVIIIe siècle, vient du grec « téchnè »   qui répond au mot latin « ars » et au mot français « art ». Ainsi c’est au grec et non aux latin qu’on a demandé un mot nouveau pour désigner une chose nouvelle. Au XVIIe et XVIIIe siècle en effet, avec l’avènement du machinisme et du capitalisme, quelque chose de nouveau est advenu. La production a tendu à échapper aux anciens métiers pour devenir l’affaire des manufactures puis des fabriques dont le centre n’est plus l’outil mais la machine. Mais que dit vraiment le mot téchnè  ?

Technique signifie à la fois métier, savoir-faire et art. Mais chez Platon pas plus que chez Aristote technè n’est un concept instrumental. La téchnè installe plutôt l’homme dans une certaine relation avec la vérité (avec l’étant lui-même tel qu’il se montre : alèthéia).

La téchnè renvoie bien à une poièsis, à une production, mais cette production n’est pas pensée comme un faire mais comme un laisser apparaître donc selon un rapport à la vérité.

Téchnè s’oppose bien à phusis comme ce dont le principe de changement réside dans le producteur et non dans la chose produite, mais cette opposition s’accomplit à l’intérieur d’une mimèsis , d’une affinité, d’une  harmonie, d’une correspondance plus essentielle. L’action humaine, chez les Grecs, n’était pas conçue comme une lutte contre la nature ; la téchnè en effet ne saurait s’opposer à la phusis sans basculer dans la convention et l’artifice, l’art imite la nature, dit Aristote. Cela ne veut pas dire qu’il la copie servilement mais qu’il prend modèle sur le mouvement qui porte les choses vers cette dimension essentielle de l’être en tant qu’être qu’est la beauté.  La téchnè n’humaniste pas la nature, il la révèle à elle-même. Ainsi dit Jean Beaufret commentant L’origine de l’œuvre de d’art, le temple grec rend hommage à la colline sur laquelle il se dresse, au ciel qui le couronne, à la mer qui lui fait face. C’est lui qui fait resplendir paysage. L’art est mis en œuvre de la vérité dit Heidegger, il ne reproduit pas le visible, Il rend visible selon l’admirable formule de Paul Klee, il donne à avoir ce qu’on avait sous les yeux et qu’on avait cependant encore jamais vu. C’est l’art, dévoilement producteur, qui fait venir la terre à elle-même et c’est ainsi, dit Hölderlin, que « l’homme habite en poète sur cette Terre ».

Pour qu’il y ait poiesis, pour que la statue ou l’escalier viennent au jour, il faut du marbre, bien sûr c’est ce qu’Aristote appelle la cause matérielle, mais il faut donner au marbre un certain visage, c’est la cause formelle et il faut aussi que l’ensemble soit adapté à sa fonction et c’est la cause finale ; il faut enfin le sculpteur, la cause efficiente. Mais le sculpteur est d’abord celui qui s’y connaît. La force du créateur en effet est pour Aristote beaucoup plus son savoir que dans cette efficience qui n’intervient qu’en sous ordre et qui deviendra, pour les romains, l’essence de la causalité. Ec-facere en latin c’est faire quelque chose à fond, l’efficience devient avec l’ontologie romaine de l’agir doublée du renfort biblique du Dieu créateur, factor omnium, le trait essentiel ou le fond même de la causalité. L’efficience c’est la dschaft, l’empire du se-faire, le règne du faire et de la faisabilité  qui joue en faveur de l'Unwesen des Seins (du nihilisme) dont parle Heidegger.

La conception grecque qui ordonnait la poièsis  au dévoilement est avec les latins totalement occultée.

 

3-Le rapport à la vérité demeure essentiel pour comprendre l’essence de la technique moderne.

Notre rapport à la vérité de ce qui est n’a plus le même visage aujourd’hui qu’à l’époque de Platon et d’Aristote. Ce rapport a changé. Il a une histoire ou plutôt il est peut-être le fondement de l’histoire. Entre la téchnè grecque et la technique moderne la différence est en effet abyssale. Le dévoilement qui régit la technique moderne n’est plus d’une celle d’une poièsis, le technitès avait un savoir, un savoir s’y prendre pour faire apparaître) elle relève d’une « provocation », d’une mise à demeure, d’une sommation, d’une réquisition, d’un arraisonnement mot par lequel on a traduit le mot allemand Gestell. Le monde apparaît maintenant comme un « objet » sur lequel la « pensée calculante » dirige maintenant ses attaques. La nature, traquée, « arraisonnée », provoquée, apparaît comme un « fonds », un réservoir, un complexe de forces calculables, une source d’énergie pour la technique et l’industrie moderne. À l’âge moderne, le mode de présence du présent se détermine ainsi comme stock, fonds disponible (Beständ), l’homme lui-même étant considéré comme Bestand, pièce du dispositif (Gestell) au titre de capital humain, d’effectif ou de ressource humaine. Car c’est dans l’horizon de l’utilisation et de l’exploitation que, a priori, l’étant est visé. Aussi entre la nature maîtrisable de la science d’un côté et la nature naturelle du séjour, de l’autre, il y a de moins en moins de rapport. La science, écrivait Merleau-Ponty, manipule les choses mais renonce à les habiter. C’est ainsi que, aujourd’hui, il n’y a plus de demeure et de ville ouverte sur la vérité des choses mais des concentrations urbaines uniformes, plus de maison mais des machines à habiter, plus d’agriculture mais une industrie motorisée d’alimentation, plus de fermes mais des firmes, plus de forêt mais des espaces verts, plus de parole permettant au monde d’advenir, mais un langage computationnel, un système de signes insignifiants et formalisables livrables comme tel à la cybernétique et à l’informatique qui inaugure la deuxième révolution technique. (Rappelons que la première a été marquée successivement la vapeur, l’électricité et l’atome). La lune elle-même disparaît comme lune pour ne devenir qu’un paramètre de l’entreprise technique de l’homme. Ainsi se cèle et se dissimulent la phusis, la nature. « Ce n’est plus une terre sur laquelle l’homme vit aujourd’hui » conclut Heidegger.

 

4- « La technique ne repose pas sur la physique mais au contraire la physique sur l’essence de la technique ».

Cela ne veut pas dire que la théorie soit sortie de la praxis et que, par exemple, le Discours de Descartes soit l’émergence au niveau théorique de ce que réclamait le développement des forces productives ou le capitalisme mercantile. Cela signifie que l’interprétation mathématique de la nature, ce projet audacieusement spéculatif dont Descartes et Galilée sont les initiateurs n’est pas vraiment, comme disait Nietzsche (« De l’immaculée connaissance ») « immaculé ». L’aiguillon secret de cette spéculation est de devenir enfin comme maîtres et possesseurs de la nature. La science comme projet mathématiques de la nature se fonde sur un rêve de puissance qui avait longtemps couvé dans cette magie dont Descartes dénoncera l’imposture mais non pas l’ambition. La science moderne se fonde sur l’essence de la technique car les sciences mathématiques ne sont qu’autant d’avant-coureur de la technicisation poussée à fond de l’étant en totalité qui est le projet le plus propre du monde moderne. La science (17e) est au service de la technique (18e) et non l’inverse. C’est le projet technique qui explique la réduction de tout changement à la translation des corps dans un espace homogène : c’est alors que la nature devient calculable, mesurable et que sa mensurabilité peut servir à la maîtrise et à la domination. « Est réel ce qu’on peut mesurer » dira encore Max Planck.

 

5. « L’essence de la métaphysique moderne et celle la technique sont du même secret », la figure ultime de la métaphysique.

Ce rapport foncièrement technique de l’homme au tout du monde est apparu pour la première froid en Europe au XVIIe siècle ; il est entièrement étranger aux autres régions de la terre et aux époques antérieures. Pour le comprendre il faut rattacher l’apparition de la technique moderne à la révolution radicale et silencieuse de notre représentation du monde qui s’accomplit dans la philosophie moderne. La science et la technique, la théoria et la praxis supposent moins, comme le dit Marx, le développement du commerce et de l’industrie[1], qu’une mutation totale de notre rapport à l’être.

 Les pensées qui mènent le monde approchent à pas de colombe, dit Nietzsche. L’interprétation mathématique de l’étant est cette révolution de pensée silencieuse qui inaugure les temps modernes et rend possible la physique mathématique… et le machinisme. Remarquons qu’ici encore la philosophie, pour l’essentiel, ne se borne pas à courir après la science mais qu’elle ouvre au contraire une région du vrai, celle qu’exploitera la science. C’est ainsi que les temps modernes ont leurs fondements essentiels dans la métaphysique moderne[2]) avec laquelle s’accomplit plusieurs mutations fondamentales : la mutation de l’homme en sujet : le cogito devient l’unique subjectum, l’unique fondement du vrai, la mutation de la vérité en certitude et celle de l’étant en objet : est réel ce dont j’ai une idée claire et distincte, la présence du présent est mesurée par rapport à la représentation. Mutation aussi de la beauté en plaisir esthétique, de l’oeuvre en produit… Nous n’avons plus d’œuvres nous n’avons que des produits dira Balzac dans Beatrix. Avec la technique s’achève ou s’accomplit la métaphysique de la subjectivité : elle  la porte à son comble et la rend inapparente en la réalisant. Avec la technique l’Occident, le pays du soir, va devenir désormais la terre entière.

 

6.  la technique est la forme fondamentale de la métaphysique achevée avec laquelle l’étant apparaît dans son être comme volonté de volonté.

Avec la dialectique hégélienne et la métaphysique de Nietzsche, le dépassement est devenu la loi du monde et la notion de volonté de puissance accomplit toute la métaphysique moderne qui a conçu l’être comme force (Leibniz) et la puissance, disait Deleuze, n’est pas ce que veut la volonté, mais ce qui veut dans la volonté et qui la porte à aller toujours plus loin sans que rien ne puisse l’arrêter. Ernst Jünger qui avait eu la révélation, en1914, du déchainement titanesque et tellurique de la technique dans la bataille de matériel, avait vu dans la figure du travailleur (opposée à celle du bourgeois) la manifestation de la puissance nietzschéenne en tant que volonté d’arraisonner le monde : total Mobilisierung, mobilisation totale. Critiquant la pensée de son ami Jünger, Heidegger répond que la volonté de puissance ainsi interprétée, n’est que l’avant dernière étape du déploiement en volonté de l’être de l’étant comme volonté de volonté car c’est bien ce monde de la volonté de puissance que nous avons désormais quitté.

Ce que vise en effet la technique n’est pas le bonheur c’est la technique elle-même. Elle se veut elle-même de manière inconditionnée, d’où l’étrange locution de Heidegger : volonté de volonté qui est la vérité cachée de la volonté de puissance à laquelle appartenait déjà « la domination sans réserve de la raison calculante ». Mais le monde de la technique moderne entraîne tout dans le tourbillon sans frein et sans but de la volonté de vouloir : faire pour faire en rivalisant de zèle, aller toujours plus loin dans la domination pour la domination, programmer, planifier, spécialiser, remplir l’espace de satellites et la terre d’explosions atomiques…

Le monde moderne est ainsi devenu le monde de l’éphémère où chaque étant devient essentiellement remplaçable : être aujourd’hui c’est être remplaçable. L’impératif du progrès implique en effet que tout ce qui est nouveau soit aussitôt immédiatement périmé, dépassé, remplacé par du plus nouveau et cette course affolée sans poteau d’arrivée ruine évidemment toute possibilité de tradition.

L’époque de la technique, on l’appelle souvent du nom de machinisme. Entre l’outil, l’instrument et la machine, la différence n’est en effet pas simplement de complexité.  La machine, en effet est un théorème réifié et non un outil amélioré, et surtout, disait déjà Hegel un outil doué d’auto-activité, l’existence autonome de la négativité (travailler c’est dire « non » à ce qui est) : machine à répétition, machine infernale au plus intime de son ordre et de ses raisons, figure de l’éternel retour de la volonté voulant son propre vouloir[3]. Comme l'a remarqué Françoise Dastur, Heidegger a réfléchi sur la technique à partir de l'usage qu'en faisait les nazis, le nazisme étant avant tout une entreprise technique qui a porté au jour dans les camps où l'on fabriquait des cadavres, l'essence intime de la technique.

 

7. Le marxisme a sa vérité dans la technique. En lui exprime une expérience élémentaire de l’histoire du monde.

 « Américanisme et communisme c’est, d’un point de vue métaphysique, la même chose ». L’homme est partout mis en demeure de correspondre à l’exploitation/consommation. Mais c’est Marx qui le seul à avoir pris en vue le Nouveau Monde. L’élément de base du matérialisme marxiste n’est nullement la matière mais la notion de forces productives (c’est seulement Engels qui, commentent J. Beaufret, dans une élucubration délirante postérieure à la mort de Marx, tentera de réinsérer le matérialisme des forces productives dans celui de la matière.  La notion de forces productives suppose bien la matière au sens de la fertilité du sol et de la richesse du sous-sol mais elle suppose aussi l’homme comme pouvoir de cultiver et d’exploiter, grâce à la mise en œuvre d’un outillage donné. La présupposition du travail humain dans l’infrastructure donne un style très particulier à ce matérialisme d’autant plus que dans le Capital Marx insiste sur l’irréductibilité du travail humain a l’automatisme animal. Si travailler, comme il le dit, c’est réaliser des idées, alors ce matérialisme est très exactement une forme d’idéalisme. Mais l’essentiel est que le marxisme en pensant à partir de la production -production sociale de la société et autoproduction de l’homme et de la société-  est la pensée qui correspond à la situation d’aujourd’hui où règne effectivement l’auto production de l’homme de la société. Il y a bien une ontologie marxienne : l’étantité de l’étant s’épuise en ceci qu’il est le produit d’un travail et une théologie marxienne : le fondement de l’étant qui livre la raison ultime de toute chose est l’absolue auto-production  des individus s’appropriant des forces productives investissant sans limite la nature. Identité totale de l’humanisme achevé et du naturalisme achevé, être et penser, le même. Plus de secret au cœur de la parution des choses comme au cœur même du penser, Marx est bien la philosophie de notre temps. Le travail qui est le fond de la production est entendu par Marx non seulement comme capacité de créer des produits pour la consommation mais de s’équiper lui-même de ses propres produits en vue de toujours plus de puissance dans la production. Impératif de la croissance dit-on aujourd’hui.

 

8. Grandeur et détresse la technique. Destin monte dans notre ciel la constellation qui sidère un monde qui est de plus en plus le monde de la technique. Fuite des dieux, obscurcissement du monde immonde Le caractère destinal du Gestell nous échappe appartenance la plus intime et la plus indestructible de notre être  à cette dispensation de l’être

méditer sur l’essence de la technique ce n’est pas la dénoncer, elle appartient à l’essence de l’homme  n’est pas à freiner l’extension de son règne le déploiement de la technique pour deux raisons : impossible tout ce qui peut être fait sera faut quelqu’en soit le coût pour l’humaine condition.    l’illusion de sa totale maitrise leurre par excellence maitrise de la nature  

« Ce que Mars a reconnu comme étant l’aliénation de l’homme plonge ses racines dans l’absence de patrie de l’homme moderne ». Si le monde est détraqué il se pourrait que le fondement d’un tel état de choses ne soit nullement le capitalisme mais quelque chose de plus secret. Aussi ce qui devait marquer pour Marx le passage du règne de la nécessité au règne de la liberté serait plutôt, pour Heidegger, l’avènement sans réserve du nihilisme. L’oubli total de l’être au profit du faire, . Ce nihilisme il n’y a pas à l’entraver, car « ce n’est qui là où la perfection des temps modernes les fait atteindre à la radicalité de leur propre grandeur que l’histoire future se prépare ». un destin l’homme ne rencontre plus que lui-même mesure de l’homme

 

9. Le totalitarisme n’est pas une simple forme de gouvernement mais bien plus la conséquence de la domination effrénée de la technique.

Elle a livré à l’Etat les conditions d’une mobilisation totale et permanente de ses forces.

 

 10. La où est péril, grandit ce qui sauve La lumière n’éclate que si les ténèbres ont tout envahi (Bernanos) @

L’homme ne rencontre plus que lui-même Le désir du tiers-monde de bénéficier des avantages la technique aussi bien que le combat des écologistes et en dénoncent certains dangers sont parfaitement justifié dans leur ordre. Cependant les zélateurs comme les détracteurs de la technique restent totalement aveugles à l’essence de la technique. Prométhée, le voleur de feu (de ce feu qui est le résumé de l’être-homme), le héros de la transgression et de la transformation de la nature ne se laissera pas enchaîner pour la bonne raison qu’il est le jouet de la technique et non son maître. Optimisme et pessimisme demeurent des catégories enfantines et ridicules sans rapport avec la proportion du péril, péril plus inquiétant que la destruction de la terre puisqu’il menace « l’enracinement de l’homme dans son être le plus intime ».

Il ne s’agit plus de se mettre à penser ce présent que nous est aujourd’hui la technique, destin de notre époque. Il se pourrait alors que l’homme acquiert une liberté qui lui permette de connaître une vie « habitable ». Une voie s’ouvre devant nous : « nous pouvons faire usage des objets techniques comme il faut qu’on en use. Mais nous pouvons du même coup les laisser à eux mêmes comme ne nous atteignant pas dans ce que nous avons de plus intime et de plus propre. Nous pouvons dire « oui » à l’emploi indispensable des objets techniques et nous pouvons en même temps lui dire « non », en ce sens que nous les empêchions de nous accaparer et ainsi de fausser, brouiller et finalement vider une être… (alors) notre rapport au monde technique devient, de façon merveilleuse, simple et paisible ». C’est ainsi que la pensée agit en tant que pas quelle pense. Cela ne veut pas dire qu’elle serve à quelque chose ; la question : « à quoi ça sert », questions servile, est totalement sous l’emprise de l’esprit de la technique,  ni qu’on puisse « en faire quelque chose » car c’est plutôt elle qui pourrait faire quelque chose de nous, à supposé que nous nous engagions en elle.

 

 

[1] L’invention de la boussole au XIVe siècle, par exemple ou celle du collier d’épaule a certes permis l’extension du commerce mais n’a rien changé à l’essentiel qui demeura longtemps  de même nature que dans le monde antique.

[2] Metaphysica generalis ou ontologie ou philosophie transcendantale, méta-physique : science du dépassement de l’étant en direction de son être. C’est Kant qui a réactivé sous le nom de philosophie transcendantale la question de la métaphysique générale ou ontologie (détermination de l’étant dans son être) longtemps éclipsée par celle de la métaphysique spéciale (dépassement de l’étant vers son fondement : que celui-ci soit Dieu ou matière, c’est toujours la même tentative de conjurer la menace du Néant). Mais la question de la vérité de l’étant n’est pas encore celle de la vérité de l’être comme si la philosophie n’arrivait pas a rejoindre ce qui dès le départ nous tient dans l’émerveillement devant le il y a et que la parole poétique au contraire sait si bien dire, à sa façon.

 

 

[3] « Qu’est-ce donc que l’essence de la machine moderne sinon une configuration du retour éternel du même » ? Essais et Conférences, p. 147.

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