Morale et religion
Faire de la religion le garant et le verrou de la moralité des mœurs est une idée à l’égard de laquelle j’ai toujours eu le plus grand dégoût. C’est pourtant ce que faisait Voltaire lui même en conseillant aux bourgeois d’envoyer leurs domestiques à la messe pour que la crainte du châtiment éternel les détourne de leur dérober leurs biens. Les prêtres à tout prendre valent mieux que les instituteurs disait de même un Président pour nous de triste mémoire. Mais Rousseau lui-même pensait que seule l'institution d'une religion civile pourrait empêcher les moeurs de déborder comme si déjà se faisait jour la crainte dostoievskienne que, si Dieu n'existait pas tout serait permis...
Cette thèse sans doute se développe en terrain plat,elle a contre elle le fait qu'avec le recul de la foi religieuse l'humanité n'a pas pour autant baculé une cynique immoralité mais elle est surtout, me semble-t-il, attentatoire aussi bien à la morale qu’à la religion.
A la morale car si celle-ci a un sens alors il faut se conformer aux jugements de la conscience commune : il n’y a de d’absolument bon qu’une bonne volonté et une bonne volonté est une volonté déterminée par le devoir i.e. par le respect de la loi et non par la recherche d’un bénéfice ou la crainte du châtiment. C’est ce qui dit Kant ? Mais Kant n’a fait qu’analyser les réquisits des jugements de la conscience commune et il n’y a pas à proprement parlé de morale de Kant. D’une certaine façon pour que la morale fasse sens il faudrait que Dieu n’existe pas et c'est bien en effet l'absence totale de consensus sur des jugements de valeur absolus (Wittgenstein) aussi bien que sur les questions dernières qui fait que la réflexion morale existe. Ainsi la morale dans sa sainteté loin d’être fondée sur la théologie (théologie naturelle qu’il a définitivement ruinée dans ses prétentions rationnelles) est plutôt une introduction à la théologie dans la mesure aussi où, contre tous les anthropomorphismes elle peut donner un sens plus pur au nom même de Dieu : introïbo ad altare Dei…
A la religion ensuite qui ne prend tout son sens que par-delà bien et mal que par la suspension de l’éthique suivant l’expression de Kierkegaard. N’est ce pas ce dont Abraham fait l’expérience sur l’Oreb, n’est-ce pas ce qu’implique le comportement du père tuant le veau gras au retour du fils prodigue ou le pasteur qui abandonne le troupeau pour chercher la brebis égarée, infiniment plus chère à ses yeux ? La morale fait de l’homme un animal peureux, timide et correct un animal de troupeau écrivait Nietzsche qui n’avait, comme Peguy, que mépris pour l’immense tourbe de ceux qui ne sont même pas capables de pécher. Pour le péché comme pour la grâce tout le monde n’est pas bon disait notre cher Péguy, la morale est un enduit qui rend imperméable à la grâce écrivait-il aussi, c’est cet enduit qui ferme tous les pores, qui bouche toutes les brèches et qui protège et mure dans leur suffisance tous les pharisiens de la terre, tous les bons et les justes, toute la bien pensance, celle qui a des certitudes, celle qui jamais ne remet en question les privilèges dont elle jouit.