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Voisins

La fête des Voisins, 11ème édition

 

 

 

En tant que Président de l'association  Quinson Histoire et Devenir l'occasion m'est aujourd'hui donnée d'essayer de saisir le sens et la portée de la Fête des voisins. L'initiative de cette fête a été prise, il y a quelques années, par l'association L'art des mains. En attendant que soit organisé un véritable forum de toutes les associations du village, c'est aussi le moment d'afficher publiquement  l'accord qui règne entre des associations qui travaillent côte à côte et qui sont, elles aussi, « voisines ». 

 

1-Fêtes traditionnelles et nouvelles fêtes. On a pu dire que nous étions  entrés dans le monde de la fête éternelle. Tout se passe comme si l'homo sapiens était devenu homo festivus comme en témoignent les fêtes qui partout se multiplient à tout propos et qui deviennent toujours plus gigantesques1 ; Tout se passe comme si l'homme assoiffé de bonté et d'optimisme vivait  désormais dans un monde hyperfestif. Alors qu'hier, Jean Mouly nous l'a montré l'été dernier, les grandes fêtes -celles des solstices par exemple-  se  distinguaient du quotidien - les fêtes aujourd'hui deviennent sans véritable objet (on « fait la fête » et on fête qu'on fête). Mais cette façon de vivre dans l'euphorie perpétuelle ne serait-elle pas une façon de cacher le réel d'un monde devenu plus menaçant que jamais, de régresser à un stade infantile, de postuler magiquement une réconciliation définitive avec nos semblables ?

Depuis 1999 année où Atanase Périfan a inventé la Fête des voisins, on est passé des 10 000 participants au six millions et demi de l'année dernière et elle s'est répandue comme une traînée de poudre non seulement en France dans mille municipalités, mais aussi en Europe et dans le monde entier. Serait-elle une façon de nier comme par enchantement l'hostilité que peut représenter l'homme d'à côté, ses tapages nocturnes, les cris de ses enfants indociles ou de ceux, insolents et narcissiques qui déchirent le silence de la nuit de l'échapement libre de leur deux roues, la nullité de sa musique qu'il fait hurler à tue tête, sans parler de l'incivilité de celui qui lâche ses chiens ou décroche son fusil dès que nous arrivons ? 

La fête des voisins n'est pourtant peut-être pas une fête comme les autres. Elle a, comme on dit, de bons côtés et c'est pour cela qu'elle est devenue une opération nationale, soutenue par l'association des maires de France et les bailleurs sociaux des HLM. Elle traduit en effet une prise de conscience réelle de la faiblesse du lien social victime de la société de masse et des conditions de l'urbanisation moderne. 

 

2-Solitaire/solidaire. C'est aux grands ensembles construits après la guerre que l'opération Immeubles en fête, conçue en milieu urbain, s'adresse d'abord. Après la guerre il fallut construire vite, éradiquer les taudis urbains, accueillir l'exode rural, le baby boom, les rapatriés d'Algérie et c'est ainsi que pendant 20 ans on a construit ces barres ou ces tours anonymes qui étaient en rupture avec la continuité urbaine traditionnelle, qui détruisaient tout rapport à l'autre et faisaient de ces exilés, des hommes isolés, déracinés, indifférents à leurs voisins. Puis à partir de la circulaire Guichard de 1973, le pavillon de banlieue isolé sur parcelle fut alors l'incarnation du rêve du chez soi, du chez soi volets clos et porte close. Et l'on a tartiné des lotissements au kilomètre en les  coupant de la ville ancienne. Pour les plus riches se développent maintenant les enclaves résidentielles vidéo-surveillées2avec leurs grilles et leurs miradors pour répondre à l'insécurité grandissante. Partout  on se trouve ainsi confronté au désarroi, à la solitude, à la perte du commun, de l'être en commun, de l'être ensemble. Tout se passe comme si nous n'avions plus rien à partager, comme si nous ne pouvions nous engager avec ces gens qui dans cette rue, qui dans cette ville nous sont pourtant familiers. Je voudrais donner un symptôme particulièrement éloquent de cette désolation : il y a 2000 personnes en France qui  meurent chaque année dans l'anonymat le plus complet et qui sont enterrées sous x. Les corps sont entreposés dans des conteneurs en béton au cimetière de Chevilly-la-rue. Si personne ne les réclame, ils sont au bout d'un certain temps réduits en cendres , réduits à néant. Et tout se passe ainsi comme s'ils n'avaient jamais eu de nom, comme s'ils n'avaient jamais été, comme s'ils n'avaient jamais existé. Peut-on concevoir une manifestation aussi terrible de barbarie, peut-on trouver un symptôme aussi extrême d'inhumanité ? 

C'est pour rompre l'isolement, pour contrer cette indifférence, pour renforcer le lien social, pour créer un sentiment d'appartenance, pour constituer un esprit de la cité, que cette journée a été organisée. C'est une invitation à voisiner, comme on dit en français, à sortir de chez soi pour rencontrer celle ou celui que l'on n'a pas toujours le loisir de rencontrer.

Personnellement c'est grâce à cette fête  et à l'intensité de la vie associative dans ce village que je me suis lié avec des Quinsonnais que je ne connaissais pas, qui habitaient des lotissements où je n'avais jamais eu l'occasion d'aller. Chaque année je me promène parmi les nouveaux venus et, sur mon carnet, je note soigneusement leur nom, leur adresse et je leur fais raconter l'histoire qui les a menés ici.

 

3-Le prochain et le lointain : la bonne distance. Le voisin c'est à la fois le prochain et le lointain. C'est d'abord, comme le nom l'indique (vicinus) le proche, le prochain et sa proximité s'oppose au lointain, au distant, à l'éloigné, au différent, à l'opposé. On aime naturellement ce qui est le plus proche et un homme politique a pu dire : je préfère mes filles à mes cousines, mes cousines à mes voisines et mes voisines... à toutes les étrangères !

Mais le voisin c'est aussi le lointain, celui qui n'est pas de ma famille, de mon sang ou de mon lignage et, par opposition à la citation xénophobe (la haine de l'étranger) que je faisais , j'en ferai maintenant une autre : Je vous conseille non l'amour du prochain, non l'amour du voisin mais l'amour du lointain ! Et d'une certaine façon l'interdiction universelle de l'inceste nous contraint en effet à entrer en communication avec le lointain, avec l'étranger, nous oblige à sortir de notre chez-soi et à nous ouvrir au monde extérieur : la loi d'exogamie est la racine même de l'humanité.

Le voisin c'est donc à la fois le prochain et le lointain et entre ces deux extrêmes il faut assurer un équilibre. Il s'agit de vivre non trop loin de lui, c'est la visée de cette fête,  mais pas trop près non plus. Les  phénomènes festifs  nouveaux comme les rave party ou les apéritifs géants sont des rassemblements fusionnels de masse qui fonctionnent à l'alcool et à la drogue. Il faut à l'évidence les tempérer et chercher la bonne distance entre le proche et le lointain, entre le familier et l'étranger. Il faut à la fois  protéger le secret de notre intimité et participer à la vie collective. Comme le disait Hannah Arendt, vivre ensemble dans le monde c'est vivre dans un monde qui est entre-nous comme une table est entre ceux qui s'assoient autour d'elle : elle a le pouvoir de nous rassembler, de nous relier mais aussi celui de nous séparer. Le domaine public, le monde commun nous rassemble mais aussi nous empêche de tomber les uns sur les autres.

 

4-Le privé et le public. Nous sommes ici dans un jardin public où il y a des bancs publics, des équipements publics, dans un jardin public que est le bien commun de la république, mot à mot de la chose publique. Et il faut, je crois, comprendre à cette fête comme une  reconquête du public sur le privé et  sur cette  privatisation qui partout en Europe fait son chemin et va bon train. L'espace public se réduit comme peau de chagrin.  Un symbole : en ce moment par exemple, sous prétexte de gêner dealers et SDF, on supprime les bancs publics sur certaines places de Toulouse. Mais surtout, comme vous le savez, ce sont les services publics (enseignement, santé, logement, communication, poste...) que partout on privatise en Europe de sorte que la République, la res publica tout doucement dépérit et que l'homme devient entièrement, en effet, un homme privé, un homme qui est  privé de l'essentiel, privé de ce rapport à l'autre qui définit son humanité.

 

-Le global et le local. Cette victoire du privé sur le public à laquelle nous aimerions mettre un frein, s'accompagne de celle du global sur le local. 

Les grandes surfaces sponsorisent aujourd'hui cette manifestation et on ne voit pas pourquoi on ne profiterait pas de cette opération de marketing ; après tout, la consommation pourrait renforcer le lien social, le commerce n'est-ce pas l'échange, le mouvement et la vie ? Ne nous félicitons-nous pas  tous des quelques commerces installés à Quinson qui donnent un peu plus de vie et d'animation au village.

Mais il reste qu'aujourd'hui le marché est global, qu'il n'admet pas de frontières et que la France est devenue la championne mondiale de la grande distribution. Elle exporte jusqu'en Chine ses Carrefours et ses modèles de distribution. La démocratie par contre restera toujours locale, elle sera toujours ancrée dans un corps et dans un lieu, c'est indispensable à notre rapport aux autres et à notre rapport au monde. 

La globalisation du marché a fait en particulier que les grandes surfaces ont proliféré et se sont enrichies en dévorant les terres agricoles, en dévastant les paysages, en détruisant l'esprit des lieux, en généralisant l'empire du hangar3, en vidant les centres villes de leurs commerces,  en ruinant les pompes à essence, les commerces de bouche, les quincailleries, les commerces indépendants de proximité, les artisans, les producteurs et les fournisseurs4 et tout cela en pratiquant des prix supérieurs à ceux de nos voisins européens ; en favorisant aussi, avec la multiplication des fast-food. La « malbouffe », modèle de consomption accélérée et d'obsolescence est celui de tous les biens de consommation : jetables. Et aujourd'hui, dans le royaume de l'éphémère et de la futilité,  les carnassiers sans scrupule qui dirigent le monde, ceux-la même qui lessivent nos têtes et avilissent nos songes étendent tout azimut leurs stratégies de marketing et font main basse sur tout ce qui peut accroître leurs dividendes. La multiplication des fêtes est par excellence l'occasion de relancer la course obsessionnelle à la jouissance et d'alimenter la gloutonnerie consumériste5. Les atomes sans appartenance  que nous sommes devenus, enferrés dans leurs désirs privés, sont  désormais gouvernés, du dedans, par le marché.  On peut sans doute ainsi tout réintroduire dans les circuits marchands globalisés mais, avec des consommateurs, on ne fera jamais un monde, un monde commun que l'on puisse partager. 

 

C'est pour contrer le glissement vers l'anonymat, vers l'indifférenciation, vers l'uniformisation qu'en 1999 un certain nombre de personnes ont éprouvé le besoin de réagir et de résister à ce monde qui a assuré la victoire de la marchandise sur le projet de vivre . Cette fête est une manifestation de résistance, l'expression d'une volonté de reconquête et d'appropriation de notre autonomie et de notre humanité. Ne la laissons pas complètement dissoudre dans le marché du divertissement ! Comme les pénitents blancs ou les pénitents gris des siècles passés, ce village a su inventer des modèles d'entraide, de solidarité et de vivre-ensemble comme nulle part ailleurs. Il a des atouts surprenants, une vitalité et une sociabilité étonnante qui devraient lui permettre de relever un certain nombre de défis. Au désordre global nous savons qu'il y a des solutions locales -c'est la politique d'inspiration fouriériste du colibri- c'est en tous cas le voeu que je formule, c'est le pari que je lance ! Un pari d'amis, comme on disait dans la Capitale, un Paris d'amis, un Quinson d'amis. 

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