révolutions arabes

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Dix thèses sur le réveil du monde arabe

(2011)

1-Personne n'avait prévu le profond mouvement de libération populaire qui soulève le monde Arabe. Hier encore, il semblait pris dans l'étau du seul dilemme, de l’alternative perverse : soit la dictature, soit l'islamisme. Il a longtemps semblé à certains légitime de soutenir dans le monde musulman le despotisme éclairé de gouvernements tyranniques seuls capables d’imposer une modernisation forcée à des sociétés tentées par le retour du religieux. Cette idée faussement rassurante de la stabilité des autocraties s’est désormais effondrée.

2- Personne ne peut prévoir quelles seront les conséquences à long terme de cette lame de fond, de cette onde de choc, de cet effet domino qui se propagent maintenant jusqu'aux rives de la Chine. Une seule chose est sûre : le mur de la peur a cédé, l’imagination est au pouvoir,la parole est libérée et malgré la diversité des contextes et la difficulté de combats héroïqueset risqués qui sont loin d’être gagnés, les tyrans du monde arabe et iranien qui paraissaient lesplus indétrônables sont fragilisés et irréversiblement discrédités par une révolte non-violenteet disciplinée qui a refusé toute compromission avec eux.

3- La dynamique de ce bouleversement géo-politique a une force et une portée qui dépasse les bouleversements sismiques consécutifs à l’effondrement de l’Empire soviétique et à la chute du mur de Berlin mais se heurte aux mêmes problèmes : en Syrie, en Lybie, à Bahreïn, comme hier en Yougoslavie, la question des minorités et des frontières enraye et empoisonne la dynamique démocratique. Le souvenir que nous avons de Srebenica est encore douloureux, il a sans doute justifié, aux yeux de l’opinion, l’engagement militaire français pour sauver Bengazi, engagement qui risque pourtant de précipiter la guerre civile et la partition du pays.

4- Le conflit israélo-arabe et la distribution de la rente pétrolière a longtemps permis à des régimes despotiques de freiner ce mouvement en censurant l'expression des oppositions suspectes de faire le jeu de l'Impérialisme occidental. Ce prétexte est devenu obsolète et seul Israël n’a pas tiré les conséquences de cette nouvelle donne.

5- Le monde arabe sort aujourd’hui de l'opprobre d'une humiliation et d'une malédictionpluriséculaire ; il ouvre une troisième voie qui bouscule nos catégories et nos oppositions binaires. On peut la qualifier de post-idéologique (demandes pragmatiques sans aucun mots d’ordre hostile à l’Occident) et, comme Olivier Roy, de post-islamique (l’islamisation des sociétés s’est banalisée et ce sont des femmes voilées qui, après la prière, lèvent le point non pour demander l’instauration de la charia mais pour dégager les despotes et dénoncer le fondamentalisme). La Turquie, dirigée depuis huit ans par l’AKP, la Turquie à la fois « développée » et musulmane offre à cet égard un modèle, celui qu’a déja choisi Ganouchi en Tunisie pour le Nahda et, implicitement, les frères musulmans en Egypte même si bien des incertitudes pèsent encore sur l’avenir de ce mouvement.

6- Aujourd’hui les Arabes se révoltent au nom des valeurs occidentales (dignité, liberté-....) celles qu’Israël a longtemps incarnées au moyen-orient avant de s’isoler et de se mettre à l’écart de l’Histoire, celles que nous avons nous-mêmes trahi en confortant les dictatures qui servaient nos intérêts. Ils se révoltent contre la dictature et le déni des libertés fondamentales,contre la corruption, contre le népotisme, contre la tradition ottomane du monde arabe qui n'accordait aucune place à l'espace public et qui par le jeu de la corruption assurait à travers des corps intermédiaires (oulémas, guildes, corporations, associations charitables religieuses, confréries) une forme de redistribution. Désormais la demande est adressée à l'Etat qui doit être le garant de l'espace public. La place Tahrirdu Caire, la place de la libération offre à tout le monde arabe le modèle d'une agora arabe, d'une place de discussion et d'une nouvelle scène symbolique.

7- A l’époque sinistre du Président Bush on vivait dans la peur du clash des civilisations et le livre d’Huntington constituait la référence majeure qui confortait l’islamophobie dominante à

l’époque du 11 septembre. La contagion de la liberté qui a mis debout un monde arabe qui relève la tête (c’est le sens du mot intifada) pourrait plutôt permettre aujourd’hui aux prophéties de Fukuyama de refaire surface : si ce n’est pas la fin de l’histoire, la page historique de l’autoritarisme a été définitivement tournée.

8- La demande de liberté et la revendication de droits sociaux fait le fond de ce mouvement qui est à la fois pacifique et laïque et qui marque l’échec de l’islamisme politique qui, avec Al-Qaida, n’a jamais constitué un mouvement de masse et qui n’a atteint aucun de ses objectifs. Il est nourri comme par une base arrière, par Facebook, Twitter et internet, porté massivement par une nouvelle génération de jeunes diplômés qui, comme chez nous en 1968, veulent en découdre avec la résignation de leurs aînés. La nouveauté de ce changement de mentalité consécutif à une transition démographique, sa jeunesse et sa légitimité ne sauraient être contestés même si les barbus et leurs vieilles crispations identitaires n’ont pas désarmé et sont en mesure de confisquer au profit de la pire des dictatures, la victoire populaire. Se focaliser comme le font certains historiens sur le caractère « tribal » de la rébellion libyenne (l’Afrique bien sûr ne connaitrait que des guerres « tribales » et non des guerres politiques..) n’y voir que la résurgence de la dissension séculaire entre les Warfala de cyrénaïque et les Maghara de tripolitaine c’est resté tourné vers le passé et aveugle au poids d’une mondialisation qui désenclave intellectuellement les peuples, ouvre la totalité de la planète à l’information, développe l’autonomie du jugement et les aspirations individualistes :

quelque soit l’avenir politique de cette effervescence fraternelle si souvent héroïque, son chant profond a déjà, historiquement, gagné.

9- La Tunisie et surtout la Lybie constituait un entonnoir qui retenait par la force les flux migratoires venus surtout d'Afrique sub-saharienne (soit 500 000 à 1,5 millions de travailleurs venus d’Erythrée, de Somalie mais aussi du d’Egypte, du Bangladesh...). Les vieux parapets de l'Europe étaient ainsi protégés. La partie la plus nostalgique et la plus rancie de la France, encouragée dans ses aigreurs par la droite populiste, ne réagit au printemps arabe que par la peur et la haine de l’autre. Le seul problème pour le pouvoir instrumentalisant la crise étant de prétendre repousser à la mer quelques 20 000 réfugiés victimes d’une crise économique qui ne fait que s’aggraver.

10- Notre solidarité idéologique avec la révolte arabe doit s'accompagner de discernement et d'un devoir de réserve. Aucune révolution violente ne peut accoucher sans coup férir de la démocratie. Elle est l'aboutissement d’un long et lent processus et elle ne s’est jamais

imposée, dans un monde devenu chaotique, qu'au terme de multiples conflits et retournements : contre-révolution, radicalisation, terreur, dictature militaire... Si l’on songe aux différentes étapes, toutes marquées du sceau de la tragédie, que la Révolution Française, matrice de toutes les Révolutions, a franchi, on peut sans doute dire que les révolutionnaires

du monde arabe ont à peine entamé la première étape : la page de l’autoritarisme est tournée, le premier acte est terminé mais la lutte, pour le moins, ne l'est pas...

 

EPILOGUE (2013)

ACTE II. A l'acte deux après la chute des dictatures les islamistes, les frères musulmans structurés par des années de clandestinité,  ont récupéré, confisqué, tiré profit de ce vent de liberté, ont ramassé la mise, confisqué l'espoir du Printemps arabe et dévoyé, détourné à leur profit l'élan démocratique en prenant le pouvoir et en remettant en honneur, deux siècles après la disparition de l'Empire Ottoman le rève du califat islamique, le rêve d'un Etat islamique mondial avec pour capitale Jérusalem. Mais les islamistes sont divisés entre ceux qui acceptent le jeu démocratique et les partisans d'un autocratisme religieux. L'antagonisme chiite-sunnite, Iran-pétromonarchie se déchaine sur le champ de bataille de la Syrie de sorte que  la révolution contre la dictature s'est métamorphosée en djihad antichiite. Faudrait-il déchanter et se lamenter non pas d'un simple retour à la case départ mais d'une immense régression sociale et politique ? L'instauration de regimes islamistes et de dictatures théocratiques dans des pays arabes populistes et fiévreux seraient-ils inéluctables ? A 'linverse de ce qui s'est passé dans les pays de l'est dans lesquels des bureaucraties ont pu recycler rapidement leurs privilèges, les régimes absolutistes des pays arabes avec leurs gardes prétoriennes sont aux mains de famillles qui se sont appropriées le pouvoir et qui ne le lacheront qu'au terme d'un changement politique et social qui ne pourra être que lointain mais radical.

ACTE III. Les frêtes musulmans en Egypte et Ennharda en Tunisie ont montré leur incapacité à gouverner et à répondre aux aspirations sociales des populations paradoxalement prises en charge par des salfistes à la solde d'un monarchie saoudienne au conservatisme absolu. On assite à un retour du refoulé social et, face à la montée des Salafistes et à l'effondrement de la popularité des islamistes, à un retour des sociétés civiles qui n'ont pas dit leur dernier mot et se révèlent capables de mobilisations jamais vues (à Tunis après l'assassinat de Chokri belaïd, en Egypte, ils étaient selon l'armée (relayant la rue, lieu de la démocratie directe et désireuse d'écarter l'accusation de coup d'Etat et tout rapprochement avec le processus algérien qui, rappelons-le  itinitia une terrible guerre civiile) 15 millions dans la rue avant la destitution de Morsi orchestrée par les pétitions de la jeunesse rebelle Tamarod -qui veut dire rébellion)... on ne confisquera pas impunément la liberté de parole à laquelle ont pris goût ces sociétés qui ont surmonté héroïquement la peur et qui, face à l'alternative infernale islamisme/pouvoir militaire sont en train d'inventer, comme en Tunisie, une troisième voie. Il y a déjà 126 000 morts en Syrie et 2 millions et demi d'exilés mais la révolution, envers et contre tout, tient toujours ! Après le printemps arabe et l'hiver (et le Termidor) islamiste l'été sera-t-il citoyen ? 

L'espoir que l'on avait mis dans les révolutions arabes s'est effondré et la plupart des pays ont sombré soit dans le chaos (Lybie), soit dans la dictature (Egypte), soit dans le terrorisme (Syrie), seule la Tunisie, le pays où tout a commencé, a réussi une ouverture démocratique et son succès est plus important et significatif que celui, vertigineux et sanglant mais sans véritable avenir de DAESH et de l'islamisme politique. Le vieux cheikh bourguibiste candidat du parti Nidaa Tounes (Appel de la Tunisie), Béji Caïd Essebsi a devançé  Rached Ghannouchi fondateur d'Ennharda qui s'est trompé d'époque et qui, à l'écart du grand mouvement d'émancipation qui travaille tout le monde arabe, vit encore dans la nostalgie de la grande nation islamique du temps de Mahomet... Les attentats du Bardo ont marqué encore un nouveau tournant : l'impératif de la lutte contre le terrorisme a aujourd'hui complètement éclipsé le printemps arabe des peuples, reconduit la situation géo-politique antérieure, replacé aux commandes de nouveaux dictateurs...  Impuissants, nous en sommes réduits à leur vendre nos rafales. L'échec des révolutions arabes doit s'inscrire dans le temps long d'un monde musulman qui malgré convulsions et terribles régressions, est en train de s'arracher à son passé, aux ténèbres de l'idôlatrie religieuse et à l'immobilisme qui s'était emparé de cette religion. Le think tank Carnegie endowment for peace le dit : le printemps des peuples qui secoua l'Europe en 1848 fut écrasé partout et chez nous le gouvernement républicain fit tirer sur les ouvriers révoltés. Mais l'esprit de 48, le libéralisme politique et le principe des nationalités finit par triompher. Un processus du même ordre est en train de se produire dans le monde arable où 240 millions de personnes sont connectées et en phase avec la modernité mondialisée. L'histoire est de leur côté, pas de celui des dictatures militaires, des régimes corrompus, des systèmes éducatifs et économiques obsolètes et désuets. La parenthèse des révolutions arabes ne s'est pas refermée, elles triompherons nécessairement mais au bout d'un certain temps. Pour l'heure, comme le disait Gramsci, ce ne sont que les symptomes morbides que génère l'ancien temps qui meurt alors que le nouveau tarde à venir

 

L'Algérie 2019. "La Justice cette fugitive du camp des vainqueurs". S. Weil

Etre du bond, n'être pas du festin, son épilogue, écrivait rené Char. En fait de festin nous savons aujourd'hui ce qu'il est advenu des révolutipons arabes... Cela ne nous détourne pas d'avoir donné notre adhésion au processus révolutionnaires qui ont traversé et continuent de traverser le monde arabe, quelqu'en soit l'issue. Deleuze dans l'abécédaire a tenu la dessus  des propos décisifs et mémorables.

La révolution algérienne toute en joie, toute en puissance, toute en dignité, toute en non-violence, en auto-discipline pacifique, toute en maturité politique, toute instruite du péril islamiste que certans  cherchent à instrumentaliser, toute hantée par l'échec et le chaos syrien  qui vient de chasser Abdelasis Bouteflika du pouvoir. Grosse de toute la mémoire des révolutions arabes, elle entend bien le faire de toute la nomenklatura prédatrice du FLN  modelée par les agents d'influence venus d'URRS qui tenait le pays, depuis une de:i-siècle, en oubliant l'exigence de justice et de liberté qui l'avait porté au pouvoir. Assise  sur la rente pétrolière, sur la rente  maudite et contre-productive du pérole depuis l'indépendance, afin d'ouvrir enfin, envers et contre tout (absence totale d'alternative, risque démographique et migratoire, risque géopolitique sur la frontière malienne, risque d'explosion interne des 3 millions  de français issus de l'immigration), une fenêtre de liberté.  

 

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