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L'art et la guerre

 

LES M ACHINES DE MORT

de Pierre de Maria

Je me suis engagé en 1914 par goût du spectacle rare,

Celui-ci fut long et atroce mais j'y pris l'amour des payages calcinés,

des monstres de fer et d'acier crachant du feu".

P. de Marial

L'espect hideux de la réalité n'avait pas été peint. 

Je dois expérimenter les abysses de la vie. Je ne suis pas obsédé par le fait de montrer des choses horribles.

La guerre c'est une chose horrible et pourtant sublime. Tout ce que j'ai vu était beau.

 Tout art est exorcisme

Otto Dix

 

Savez-vous que, tout près de chez nous, à Régusse, a vécu un grand peintre du nom de Pierre de Maria et qu’il a travaillé de nombreuses années avec Hélène Bottet  dont la peinture fantastique est apparentée à la sienne ?

Cet ingénieur de formation s’est engagé en 1914 et a été traumatisé par l’atroce spectacle de la guerre. Aussi, écorché  vif, il a cherché toute sa vie, quarante ans durant, à transfigurer et à mettre à distance la vie monstrueuse de machines surhumaines et terribles, trouvant ainsi dans son art, comme en autant de toiles d’exorcisme, un certain apaisement. Et il a peint la guerre jusqu’à l’obsession et il s’est moqué avec humour des machines de guerre, de ces délirantes « machines célibataires » comme disait Duchamp, automates au mouvement saccadé, obstiné, répétitif et fatal (Tinguely n’est pas loin) si profondément étrangers à la procréation et à la vie : Quand la machine enfantera-t-elle ? interrogeait ironiquement Paul Klee dans le Bauhaus de Gropius et de Schlemmer. L’immense armée des fantassins de l’apocalypse –hommes mécanisés, machines humanisées (et on pense, mais sur un mode pessimiste et satanique, à Fernand Léger)- ont envahi la terre, se sont retournées, comme un Golem, contre son créateur et ce ne sont plus que d’inhumaines et fantastiques machines, que des monstres aux allures de coléoptères géants évoquant Jérôme Bosch ou les guerriers caparaçonnés comme des insectes blindés de la bataille de San Romano de Paolo Uccello, que des robots agressifs faits d’un grouillement de rouages articulés rappelant les premiers tanks qui libérèrent Cambrai… tout un univers hostile, implacable et barbare  dans lequel l’homme et la vie n’ont plus aucune place.

Cet univers mystérieux et absolument étrange de « surdéveloppés surhumains » disait à son sujet Jacques Prévert, nous donne peut-être, disait le peintre en riant,  un avant goût de la sauce à laquelle nous serons mangés. La race impudente de nos nouveaux maîtres, les cyborgs ou les hommes « augmentés » de la Silicon Valley, sera en effet bientôt prête à régner sur la foule innombrable des superflus. Et on ne fait jamais machine arrière.

 

Ce grand face à face de la guerre et de l’art avait commencé en 1909, par la célébration fasciste de la guerre. « Nous allons glorifier la guerre, seule hygiène du monde », écrivait Marinetti dans le manifeste futuriste et les futuristes en effet, amoureux des conflits et du danger, persuadés que la machine, le mouvement et la vitesse allaient régénérer le monde  et rendre l’Italie plus forte,  de s’engager dans un élan de nationalisme intense contre l’empire Austro-hongrois.  Le plus talentueux d’entre eux, Umberto Boccioni, s’engage en 1915 et peint, la même année, La charge des lanciers qui évoque, à la fois, St Georges terrassant le dragon et les batailles d’Ucello. Il réussit à traduire le dynamisme et la violence de la guerre par les diagonales répétées des lances qui contrastent avec les courbures de la croupe des chevaux, par les effets de la décomposition du mouvement inspiré de Marey et Duchamp. On peut distinguer (en bas à gauche) les soldats casqués comme des chevaliers médiévaux et le collage d’un journal sur lequel on peut lire : Prise des Français, progrès en Alsace. Mais cette glorification de la belle guerre comble de l’art pour l’art est interrompue par la mort de Boccioni écrasé par un cheval.

 

 

 

 

Comme tant d’autres peintres, De Maria avait revisité lui aussi l’histoire de la peinture et interprété à sa manière, dans un langage qui n’appartient qu’à lui et qui, avec des couleurs délicates, porte à son comble un processus de déshumanisation, une des célèbres batailles de San Romano de Paolo Uccello, celle qui se trouve au Louvre, en lui donnant le nom de Montjoie-St Denis : l’humour, la seule façon de s’en sortir disait-il.

 

 

 

Mais la guerre moderne, celle qui va être gigantesque (Riesenhaft) et qui, avec l’industrialisation de la violence, commence à Verdun, n’a plus rien à voir avec les combats héroïques des chevaliers. C’est désormais à distance que l’on tue, aujourd’hui par drones interposés ou par robots-tueurs, et à chaque fois, ce qui fait retour dans l’interminable série des guerres, c’est ce mal atterrant qui ne vient pas d’ailleurs mais qui est voulu par l’homme, ce mal qui n’a pas de sens, ce mal qui défie la représentation et que la peinture la plus déshumanisée échoue encore à dire, ce mal qui n’est pas réparable et qui est, par excellence, le mal moderne.

Seule la poésie hallucinatoire de G. Trakl, le rimbaud autrichien qui succomba à la guerre en 1914, a su hurler devant « les champs d’horreurs » et pressentir la venue d’un hiver sans fin : Ô de l’homme/La face défigurée,/Son agencement de froids métaux/Et, feu grillant,/La sauvagerie de la bête/. G. Trakl

 

 

[1] « Je me suis engagé en 1914 par goût du spectacle rare. Celui-ci fut long et atroce mais j’y pris l’amour des paysages calcinés, des monstres de fer et d’acier crachant du feu. » mais j'y pris l'amour des paysages calcinés des monstres de fer et d'acier crachant du feu. »

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